Jean-Baptiste Del Amo lauréat du prix du roman Fnac pour "Le fils de l'homme", un roman sombre sur la folie d'un père
Jean-Baptiste Del Amo remporte le prix du roman Fnac 2021 avec "Le fils de l'homme", un roman très pessimiste sur la folie d'un père entraînant sa propre famille dans une impasse mortifère au fond d'une montagne perdue.
Le romancier Jean-Baptiste Del Amo marque une fois encore la rentrée littéraire. Après Une éducation libertine (2009), Goncourt du premier roman, et Règne animal (2016), Prix du Livre Inter 2017, le romancier de 39 ans remporte avec Le fils de l'homme, publié le 19 août aux éditions Gallimard, le prix du roman Fnac, qui ouvre traditionnellement la saison des prix littéraires et qui fête cette année son vingtième anniversaire.
Roman sombre sur sur la répétition de la violence familiale, Le fils de l'homme met en scène la folie d'un père en quête de réparation, entraînant à la perte sa propre famille. La tragédie se joue dans une nature sauvage, à la montagne aux confins d'une forêt humide et menaçante, un cloaque à l'image de la vie dévastée de ce père cinglé.
Son livre a été choisi par un jury composé de 400 adhérents et 400 libraires Fnac, qui avaient d'abord sélectionné 32 titres parmi les parutions de la rentrée littéraire 2021. Le roman de Jean-Baptiste Del Amo faisait partie des quatre finalistes avec Milwaukee blues de Louis-Philippe Dalembert (Sabine Wespieser Éditeur) S'il n'en reste qu’une de Patrice Franceschi (Grasset) et Où vivaient les gens heureux Joyce Maynard (Philippe Rey). Il succède à Tiffany McDaniel, primée en 2020 pour son roman Betty (Éd. Gallmeister – traduction François Happe).
L'histoire : après avoir disparu pendant plusieurs années, un homme revient vivre avec sa femme et son fils. Il a décidé de se donner et de donner à sa famille une nouvelle chance, qu'il espère voir éclore aux Roches, la maison où il a lui-même grandi avec son père. La jeune femme se laisse convaincre et accepte de suivre avec son petit garçon ce compagnon retrouvé sur le chemin de cette maison délabrée perdue au fond des bois humides. Le père, persuadé de pouvoir ainsi se sauver de son passé tragique, impose à sa femme, enceinte d'un autre, et à son fils, son emprise, sombrant peu à peu dans la folie, jusqu'à les enfermer dans une prison morbide qu'il a lui-même édifiée.
Répétition
Avec ce cinquième roman, Jean-Baptiste Del Amo, une fois encore, frappe fort. Il avait marqué les esprits avec Règne animal en 2016, un roman réquisitoire sur la souffrance animale, à travers le portrait d'une famille de paysans du Gers, sur trois générations. Le romancier de 39 ans revient ici sur cette question de la violence traversant les générations comme une malédiction impossible à stopper.
C'est au bord de cette tombe, sous cette pluie torrentielle que je me suis promis de terminer de relever les Roches, d'achever ce que nous avions commencé ensemble, sans me douter qu'il y a des choses qu'il est préférable de ne pas réveiller, des souvenirs et des hommes qui doivent rester ensevelis. Car ils n'attendent en réalité que cela, que l'on vienne les tirer de leur profonde torpeur pour ressurgir et répéter sans cesse les mêmes hantises, les mêmes désastres.
Jean-Baptiste Del Amo"Le fils de l'homme", page 158
Le livre s'ouvre sur une extraordinaire scène préhistorique, inaugurant cette intrigue d'aujourd'hui où "le père", "la mère", ou "le fils" ne sont jamais nommés, comme les figures d'une organisation sociale immuable, parcourant le temps, et charriant dans son sillage toute la violence des hommes, à la manière d'une tragédie antique tendant à l'universalité. Ici seule "la mère", comme parfois la nature sait le faire, semble pouvoir offrir une éclaircie dans les ténèbres, un moment suspendu de sécurité dans un monde rugueux.
Peut-on échapper à la nature, à sa puissance ? Le romancier joue du contraste entre la vie du garçon avec sa mère, avant le retour du père, dans un cocon douillet, une vie en sécurité, en ville, presque monotone, à l'image d'un quartier pavillonnaire sans relief et celle, ensuite, qu'ils entament avec le père, dans un environnement totalement sauvage, un retour à la nature, où seuls les forts pourront survivre, comme dans les temps anciens.
L'enfant découvre la puissance de cette nature, y trouve une joie intime en même temps qu'il la redoute, comme il craint la violence de son père. Et c'est dans le silence qu'il résiste à la folie du père, qui s'exprime par de longues logorrhées que l'enfant reçoit comme un chant lugubre dont il ne comprend pas toujours les paroles.
L'écho de la nature
Peu de mots sont échangés entre les trois protagonistes de cette histoire, racontée à la troisième personne du point de vue de l'enfant. La relations, les sentiments qui lient ou déchirent s'expriment davantage à travers les gestes, les regards, les corps en mouvement, ou même les odeurs. A aucun moment le romancier ne décrit l'intériorité de ses personnages, leur psychologie, comme s'il souhaitait effacer tout point de vue extérieur, et laisser seul le lecteur dans le huis clos de cette tragédie.
Le fils de l'homme, qui se lit comme un thriller, plonge le lecteur dans la mécanique implacable de la folie. Le décor joue ici un rôle majeur. La nature, un bourbier apparaissant sous la plume de Jean-Baptiste Del Amo comme l'image organique de cette enclume accrochée au pied de son personnage, comme le reflet de son cloaque intérieur. Une nature indifférente au drame qui se joue.
Phrases rythmées, parfaitement construites, vocabulaire riche et précis (quel bonheur), Jean-Baptiste Del Amo abreuve son lecteur de cette langue magnifique, ne le lâchant pas une seconde, jusqu'à l'issue, fatale, qui saura peut-être, enfin, arrêter la mécanique de la violence.
Jean-Baptiste Del Amo recevra son prix lors de l’inauguration du Salon Fnac Livres le jeudi 30 septembre 2021.
"Le fils de l'homme", Jean- Baptiste Del Amo (Gallimard, 240 pages, 19 €)
Extrait :
"Il se met en marche, la mère et le fils lui emboîtent le pas. Le garçon regarde autour de lui le calme du sous-bois où rien ne bruit, rien ne se meut. Il prend conscience de l'odeur de la montagne, un parfum violent pétri de pourrissement végétal, d'écorces, de polypores et de mousses gorgées d'eau, de choses invertébrées rampant en secret sous de vieilles souches et de roches friables dans le lit des ruisseaux. Ce parfum, le garçon l'inspire à chaque pas, il en est étourdi, pénétré, et il lui faut faire un effort considérable pour se concentrer sur la cadence du père dont les semelles foulent impitoyablement la terre caillouteuse, pour ne pas perdre le rythme de la marche malgré le vertige qui l'étreint. ("Le fils de l'homme", page 33)
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