Le Goncourt récompense le roman "exigeant" de Mathias Enard: ambiance au Drouant
C'est chaque fois pareil, et chaque fois différent. Cette année quatre auteurs sont en lice pour le Goncourt. Les quatre romans retenus évoquent de près ou de loin les relations entre Orient et Occident. "Un hasard" a déclaré Bernard Pivot ces derniers jours. Comme chaque année les pronostics sont allés bon train. Mais rien n'a filtré.
Aujourd'hui comme chaque année la rue est envahie par une cohorte de journalistes fébriles. Les cameraman et les photographes, aux premières loges, attendent en bas de l'escalier où sont, c'est la tradition, prononcés cérémonieusement les noms des lauréats (à voix basse car une fois sur deux le micro n'est pas allumé). Mais cette fois il est dit qu'on ne se fera pas avoir et quand Didier Decoin s'apprête à faire son annonce, ça fuse : "Le micro ! Le micro ! Allumez le micro monsieur Decoin !". Souriant il obtempère. Et miracle, toute l'assemblée entend distinctement ce qui plus tôt se décida dans le secret des votes : le Goncourt est attribué à Mathias Enard pour son roman "Boussole", élu au premier tour avec 6 voix. Le Renaudot va à Delphine de Vigan pour "D'après une histoire vraie" (JC Lattès).
Françoise Nyssen la patronne d'Actes Sud fait le service d'ordre
Jusqu'ici tout va bien. En attendant l'arrivée des lauréats à l'extérieur (ça aussi c'est la tradition), on tweete, on annonce, on commente… Avec un peu d'expérience, on sent quand le Goncourt est en train d'arriver : frémissements, rumeurs, mise en mouvement. Aujourd'hui c'est l'arrivée de Françoise Nyssen, la patronne d'Actes Sud, qui lance le top départ. La meute se précipite. Hésitations, on ne sait pas de quelle voiture Mathias Enard va surgir. Bousculade. Les agents se mettent en place. Cordon de sécurité. "Reculez !" lancent-ils. Mais rien n'arrête la meute, comme mue par une force autonome.Françoise Nyssen n'hésite pas à faire le service d'ordre, les bras en croix. Elle repousse, elle implore : "Reculez ! Laissez le arriver !" Quand on lui demande si elle s'est reconvertie en agent de la circulation elle sourit "J'essaie de l'aider !". Bon, quelques mètres ont été gagnés. Mathias Enard sort du véhicule, il sourit, puis, emporté par la vague de journalistes en marche arrière, il lâche : "C'est sympathique !", avant de s'engouffrer dans l'antre de son couronnement.
Jusqu'ici tout va bien. Ça se passe à peu près comme d'habitude. Les bizuts interloqués se plaignent. "J'ai failli me casser la figure", soupire une jeune journaliste qui inaugure son premier Goncourt.
On suit le mouvement. Et c'est là que ça se gâte. En bas du petit escalier qui conduit à la fameuse salle ovale, deux vigiles intraitables, laissent passer les journalistes au compte gouttes. Après une demi-heure d'attente, ils annoncent que les jurés déjeunent. Porte close. Il paraît que là-haut, Mathias Enard s'est dit "extraordinairement heureux" (On n'en saura pas plus).
Bon. On tente notre chance par l'autre escalier. Coup de chance, Didier Decoin est là, qui veut bien nous expliquer les raisons qui ont présidé au choix du roman de Mathias Enard. (Parce que tout ce cirque, c'est bien joli, mais on aimerait quand même bien entendre un peu parler de littérature).
Un Goncourt "pour voler très très haut"
"C'est pas tous les ans pareil", commence-t-il. (Oui enfin, pour ce qui est de la bousculade, un peu quand même). "Cette année, c'était très difficile de trancher", poursuit-il. "On avait quatre romans qui méritaient le Goncourt. Alors on a discuté sur l'idée de donner un Goncourt qui pourrait voler très très haut. On s'est dit Mathias Enard est jeune. Il a 42 ans. Il a déjà derrière lui une œuvre. C'est un écrivain qui restera dans l'histoire de la littérature", explique Didier Decoin. "On s'est dit aussi que c'était bon pour le Goncourt. Parce qu'on pense que dans 20 ans, on se rappellera de "Boussole" et puis aussi l'autre argument, c'est que le roman de Mathias Enard parle de l'Orient autrement que par Daech, ou par la violence. Il parle d'un Orient lumineux, solaire, c'est les Mille et une nuits, c'est un Orient somptueux, et nous avons pensé que c'était mérité aussi pour cet Orient réhabilité dans la littérature", poursuit-il.A la question de savoir si ce roman n'est pas trop élitiste Didier Decoin répond que les jurés du Goncourt font confiance aux lecteurs. "Même les jeunes, quand on les emmène vers des auteurs vivants, ils acceptent de découvrir et de lire avec plaisir la littérature la plus exigeante", conclut-il.
Aux détours d'un escalier, pendant que la meute attend dehors sa sortie, on croise Delphine de Vigan, qui nous confie être ravie de son prix Renaudot. "J'ai appris la nouvelle par mon éditeur à la descente du train ! Je rentrais d'une signature au Croisic", raconte l'auteur de "D'après une histoire vraie". La romancière se dit d'autant plus heureuse que ce roman était pour elle un pari. "C'est un livre très différent de ceux que j'ai écrit jusqu'ici. C'est un mélange de codes de la littérature contemporaine. Et il parle des coulisses de la création. Je suis très heureuse de voir que ma démarche a été entendue", conclut la romancière avant de se prêter à la traditionnelle séance de photos devant le restaurant.
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