"Le jeu de la dame" : le roman de Walter Tevis qui a inspiré la série à succès se lit comme un thriller
La traduction française du roman de l’Américain Walter Tevis vient de paraître à nouveau, aux éditions Gallmeister. L’histoire de Beth Harmon, orpheline prodige des échecs dans les années 1950, est captivante : un roman à mettre dans sa valise cet été. Pour les fans d’échecs, les fans de la série, et tous les autres.
L’histoire : A la suite de la mort de sa mère, Beth Harmon est recueillie dans un orphelinat catholique du Kentucky. A 7 ans, la petite fille s’y retrouve plongée dans la solitude, malgré l’amitié un peu rude que lui porte la belle Jolene, sa copine qui étant noire, aura statistiquement moins de chances qu’elle de se faire adopter. Pour échapper aux offices religieux, Beth se réfugie dans la cave où un personnage bougon et solitaire, chargé du ménage à l’orphelinat, joue seul à un jeu étrange, avec des fous, des dames, et des rois. Fascinée, Beth va vouloir en percer les secrets. Le début d’une passion dévorante. "Le jeu de la dame", de Walter Tevis, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos, est paru aux éditions Gallmeister le 11 mars 2021.
Prodige des échecs
A huit ans tout juste, Beth analyse mentalement la nuit les détails des parties qu’elle joue le jour, et commence à dévorer le moindre livre qui lui tombe sous la main, et qui parle d’échecs. Mais la directrice de l’orphelinat, une dame rigide à la limite du sadisme, va tout faire pour l’empêcher de jouer. Dans les années 1950, par ailleurs, on donne différents cachets aux enfants pour les faire se tenir tranquille, et Beth va développer une addiction aux calmants, qui ne la quittera jamais et qui en entraînera d’autres, à l’alcool notamment. Qui des échecs ou des addictions prendra le dessus une fois l’âge adulte atteint pour Beth ? Toute l’intrigue du roman tient là-dessus, Beth étant en permanence sur la ligne de crête, prête à basculer du côté de ses démons, et à sombrer.
Walter Tevis s’est inspiré de ses propres addictions pour décrire la personnalité de Beth. Lui-même était en effet dépendant des médicaments, et allait régulièrement aux réunions des alcooliques anonymes. Son neveu le décrira plus tard comme une personne que l’on qualifie désormais de "haut potentiel", Beth elle-même ayant parfois des comportements à la limite de l’autisme Asperger, visualisant les parties sur le plafond de sa chambre pendant des heures pour en examiner toutes les variantes possibles, mémorisant dans les librairies les coups des grands maîtres et les rejouant mentalement inlassablement, sans avoir besoin d’un échiquier. Mais étant incapable d’empathie avec les personnes qu’elle croise et se retrouvant ainsi dans une grande solitude.
On s’attache très vite au personnage de Beth, à ses malheurs dont elle décide de faire une force, à ses réussites fabuleuses qui ne lui apportent pas d’apaisement, à ses rares échecs qui la font sombrer sans mesure. Walter Tevis n’était pas lui-même un joueur d’échecs, et cependant les parties qu’il décrit sont minutieusement exactes, et les amateurs pourront y apprendre des variantes qu’ils ignoraient, sans que cela ne rebute ceux qui n’y connaissent rien et qui se concentreront sur l’aspect thriller du roman qui nous tient en haleine jusqu’à la fin avec les aventures de Beth.
Série à succès
Du roman a été tirée une série qui a connu un grand succès à l’automne dernier, surprenant jusqu’à ses auteurs. Depuis, s’en est suivi un nouvel engouement pour les échecs. Sur le seul mois de novembre, la plateforme Chess.com a enregistré 2,5 millions de nouveaux membres, confinement aidant. Et l’on peut désormais y affronter Beth Harmon, ou plutôt une intelligence artificielle programmée selon le jeu de Beth aux différents âges de sa vie.
Mort en 1984, Walter Tevis n’avait évidemment pas prévu un tel phénomène. L’auteur américain a écrit plusieurs romans qui ont ensuite été portés à l’écran, comme L’Homme tombé du ciel adapté au cinéma avec David Bowie dans le rôle principal ou La couleur de l’argent, devenu un film de Martin Scorcese avec Paul Newman. La nouvelle parution du Jeu de la dame, est l’occasion de redécouvrir ce brillant conteur un peu oublié en France.
"Le jeu de la dame", de Walter Tevis, traduction (Etats-Unis) de Jacques Mailhos, paru aux éditions Gallmeister le 11 mars 2021, 448 pages, 11€40.
Extrait : "La librairie Morris faisait l'angle, à côté d'un drugstore. Beth poussa la porte et se trouva dans une grande pièce remplie de plus de livres qu'elle n'en avait vus de sa vie. Il y avait un homme chauve assis sur un tabouret derrière un comptoir, qui lisait en fumant une cigarette. Beth s'approcha de lui et lui dit :
- Vous avez Les Ouvertures modernes aux échecs ?
L'homme leva les yeux de son livre et la regarda par-dessus ses lunettes.
- Ah, ça, c'est pas commun, dit-il d'une voix affable.
- Vous l'avez ?
- Je crois que oui.
Il se leva de son tabouret et alla vers le fond de son magasin. Il revint vers Beth une minute plus tard, avec le livre dans la main. C'était le même gros livre avec la couverture rouge. Elle retint sa respiration en le voyant.
- Tenez, dit l'homme en le lui tendant.
Elle le prit et l'ouvrit au chapitre consacré à la défence sicilienne. C'était bon de revoir les noms des différents variantes - la Levenfish, la Dragon, la Najdorf. C'était comme des incantations dans sa tête, ou comme des noms de saints.
Au bout d'un moment, elle entendit que l'homme lui parlait.
- Ça vous intéresse vraiment tant que ça les échecs ?
- Oui, dit-elle.
Il sourit.
- Je croyais que ce livre n'était que pour les grands maîtres.
Beth hésita.
- C'est quoi, un grand maître ?
- Un joueur de génie, dit l'homme. Comme Capablanca, sauf que ça remonte à loin. Il y en a d'autres, de nos jours, mais je ne connais pas leurs noms."
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