Le prix Medicis à "Laëtitia ou la fin des hommes" d'Ivan Jablonka
Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais 18 ans, disparaît. Sa sœur jumelle, Jessica, découvre au petit matin son scooter couché sur la chaussée, près de la maison de leur famille d'accueil. Dans les jours qui suivent, les policiers arrêtent le meurtrier. Il leur faudra douze semaines pour retrouver le corps de Laëtitia, en plusieurs morceaux.
Quand elle croise la route de Meilhon, la jeune fille fait ses premiers pas dans la vie adulte. Elle ne s'en sort pas si mal, après une enfance marquée par la violence d'un père alcoolique qui battait et violait sa mère, devenue folle. Elle est placée, avec sa sœur jumelle Jessica, dans une famille d'accueil. On apprendra après la mort de Laëtitia que Gilles Patron, le père d'accueil, a abusé sexuellement de Jessica.
L'assassin de Laëtitia a un lourd passé lui aussi : sa mère a été violée par son propre père. Viol dont est né un premier fils, le demi-frère de Tony Meilhon. Elle se marie ensuite avec Jacques Meilhon, avec qui elle aura trois enfants, dont le meurtrier de Laëtitia. Le père est alcoolique et violent. Elle le quitte. Le nouveau compagnon de sa mère bat Tony. Il est placé en foyer, entre dans la délinquance et fait plusieurs séjours en prison dès l'âge de 15 ans, pour devenir ce que l'on appelle un multirécidiviste avec un lourd casier judiciaire.
Du lourd, il n'y a que ça dans cette affaire, de tous côtés, à tel point que si Ivan Jablonka avait inventé les faits pour nourrir une fiction, on aurait pensé qu'il en faisait des tonnes. Hélas, dans son livre, tout est vrai. Et c'est pour "honorer" la victime, la rendre à elle-même, à sa dignité, à sa liberté", pour la "rétablir dans son existence", que l'historien a décidé d'entreprendre ce travail de décortication.
Un "livre total"
"Mon livre n'aura qu'une héroïne : Laëtitia", prévient-t-il. Pour réaliser son projet, Ivan Jablonka rencontre les différents protagonistes de l'affaire : les proches de Laëtitia, Jessica, la sœur jumelle mais aussi ses amis, des avocats, des gendarmes, des magistrats. Il arpente la région, assiste au procès, longe l'étang dans lequel une partie du corps de Laëtitia a été découvert…L'historien ne laisse aucun champ d'investigation de côté. L'affaire Laëtitia est un "fait social total" explique-t-il dans l'interview à lire ci-dessous, un fait qu'il ausculte à travers tous les prismes possibles : social, historique, géographique, judiciaire, médiatique, politique. Cette exploration lui permet de faire une photographie panoramique de la France des années 2010. Une France où persistent la violence des hommes, une certaine forme de déterminisme social, mais où s'exercent aussi les différents pouvoirs et services publics qui font de ce pays une démocratie (et Ivan Jablonka rend hommage à ses acteurs).
"Laëtitia ou la fin des hommes" est un livre humaniste, et utile. Objet littéraire non identifié (une tentative de "livre total"?), que les critiques et les jurys littéraires ont du mal à mettre dans une case : il a reçu le prix littéraire du Monde, et figure à ce jour dans plusieurs listes de prix soit en catégorie romans, soit en catégorie essai. Un "travail aux frontières" qu'Ivan Jablonka revendique, et qui questionne sur la littérature contemporaine.
"Laëtitia ou la fin des hommes", Ivan Jablonka (Seuil-La librairie du XIXe siècle - 383 pages - 21 euros)
INTERVIEW Ivan Jablonka
Je le retrouve dans un café en face de la Maison de la Radio. Il a une petite heure de son temps compté à me consacrer avant d'aller enregistrer l'émission "Affaires sensibles" ("J'adore cette émission", dit-il). Il enchaîne interviews et tournées en province pour présenter son livre, et aussi les rencontres avec les lycéens du Goncourt. Il a l'air un peu épuisé, "Mais c'est génial", commente-t-il en sirotant sa "tisane des fées".
- Pourquoi avez-vous écrit "Laëtitia" ?
Cela faisait longtemps que je voulais travailler sur un fait divers, parce que le fait divers révèle les failles de notre société, et même de la démocratie. Parce que la violence bouleverse le quotidien. En revanche, je voulais prendre une perspective contraire à ce qui se fait d'habitude. D'habitude, on se focalise sur le crime et le criminel, et c'est dans la structure même du fait divers que de ne parler que du crime. La seule héroïne du fait divers, c'est la mort. Je voulais prendre le contre-pied de cette perspective et m'intéresser non pas tant à la victime – c'est encore ramener la personne au crime et à la mort – qu'à la disparue, l'absente, celle qui n'est plus là.
L'absence est fondatrice dans ma famille, parce que mes grands-parents ont été assassinés pendant la Deuxième Guerre mondiale. J'ai écrit à leur sujet un livre où j'ai raconté leur exil et leur disparition à Auschwitz ("Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus", Seuil, 2012). Ces deux livres ont pour point commun de raconter la vie des absents, des disparus, pour les arracher à la mort qui les a détruits. Dans un génocide comme dans un fait divers, la mort est tellement violente, tellement insensée en quelque sorte, que non seulement elle détruit des vies, mais elle efface jusqu'au souvenir de ces vies. Pour mes grands-parents, c’était évident. Dans le cas de Laëtitia, qui s'intéressait à elle, hormis pour dire qu'elle était la victime d'un fait divers marquant de l'ère Sarkozy ? Dans un fait divers, la victime est là "pour ça". Elle est là pour avoir été violée, frappée, massacrée, dépecée. C'est sa fonction malheureusement.
- Vous dites "Mon livre n'aura qu'une héroïne : Laëtitia". Pourquoi ?
Je voulais que Laëtitia compte pour sa vie et pas seulement pour sa mort. Mais parfois, je me demande si ce n'est pas Jessica l'héroïne de mon livre. J'ai voulu rencontrer Laëtitia, mais j'ai rencontré Jessica. Laëtitia, ce n'était pas possible, parce qu'on ne peut pas rencontrer un mort, et un livre ne suffit pas à rendre justice à la vie de quelqu’un. En revanche, j'ai rencontré Jessica, et cela a été une rencontre formidable. Cela a été le premier acte de mon livre, pour des raisons morales mais aussi opérationnelles.
- Pourquoi ce fait divers-là en particulier ?
Il s’agit d’un fait divers exceptionnel à tous égards, par la violence du crime, par la mutilation du corps, par le fait qu'on a mis près de trois mois à retrouver Laëtitia et donc à pouvoir procéder aux obsèques. Exceptionnelle aussi parce que ce fait divers est devenu une affaire d'État. Une affaire d'État, ce n'est pas une affaire nationale, comme l'affaire Gregory. En 2011, les plus hautes autorités se sont emparées du fait divers pour le hisser au rang d'objet politique. Nicolas Sarkozy, président de la République, a jugé bon de phagocyter Laëtitia, d'abord pour réclamer un durcissement de la législation pénale et, dans un deuxième temps, pour reprocher aux juges leur supposé laxisme. Ce n'était pas une première de la part de Nicolas Sarkozy. Cela a débouché sur la grève des magistrats, un événement complètement inouï. Pour l'historien que je suis, ce sont des choses sans précédent.
- A quel moment avez-vous envisagé d'en faire un livre ?
Sur le moment, je l'ai perçu comme un banal fait divers, comme tout le monde. Ce n'est que trois ans plus tard, au moment des procès (procès du meurtrier, mais aussi procès du père d'accueil) que j'ai compris quelle avait été la vie de Laëtitia. Jusque-là, je considérais comme tout le monde que c'était l'histoire d'une pauvre jeune fille qui avait fait une mauvaise rencontre. Quand j'ai compris quelle avait été sa vie, le fait divers a pris un tout autre relief. Ce n'était plus un fou qui tue une princesse, un monstre qui assassine un ange, ce genre de storytelling qui fonctionne bien. Cela devenait le parcours d'une jeune femme semé de violences.
De fait, Laëtitia a connu à peu près tout le spectre des violences masculines : son père a violé sa mère, son père d'accueil a agressé sa sœur. Laëtitia a grandi dans une atmosphère de violence masculine diffuse. Et son meurtre prenait alors une tout autre dimension. Il devenait un fait social. La mort de Laëtitia n'est pas une anecdote, un fait divers. C'est l’histoire d'une jeune fille qui a été détruite en l’espace de 18 ans : violences familiales et masculines, alcoolisme, maltraitance, scolarité chaotique, placement en foyer et en famille d’accueil, etc. Le crime devenait non pas l'entrefilet qu'on lit d'un œil distrait, mais un problème d'envergure historique, sociologique et littéraire, sur la vulnérabilité des enfants, les violences subies par les femmes, le fonctionnement de l'exécutif, l'évolution de la justice, le rôle des médias, etc. Et voilà, le livre existait.
- Vous avez dit qu'il faut de la colère pour écrire, colère contre l'oubli, contre l'indifférence.
J'ai prononcé cette phrase en tant qu'historien. La plupart du temps, on renvoie des historiens une image de gens froids, distants, qui adoptent un point de vue de surplomb. Moi, je suis dans l'histoire que je raconte, parce que je ne suis pas un extra-terrestre qui observe la Terre ; je suis un homme parmi les hommes, et cette histoire m'a touché en tant qu'historien, mais aussi en tant qu'homme et en tant que citoyen. D'autre part, je conçois l'histoire comme une enquête, et qui dit enquête dit enquêteur. Je suis un enquêteur et ce que je dis de Laëtitia, je ne le tire pas d'un chapeau. Moi enquêteur, il me paraît important de raconter comment j'ai travaillé. En histoire, le vrai n'est pas séparable d'une démarche et des opérations par lesquelles on le fait advenir. Personne n'a la science infuse et, pour dire des choses vraies sur la vie ou sur la mort de quelqu'un, il faut des sources. Il me paraît donc normal que, dans le livre, je raconte l’enquête dont je suis l'enquêteur.
- Qu'est-ce qui vous a mis en colère dans cette affaire ?
Je n'éprouve pas de la colère contre le meurtrier, ni de la haine – ce n'est pas en ce sens qu'il faut l'entendre. En revanche, ce qui me révolte, c'est le silence, c'est l'indifférence, c'est la banalité, c'est le fait qu'une jeune fille de 18 ans n'est plus qu'un spectacle de mort, un pantin désarticulé, comme si Laëtitia n'avait vécu que pour être massacrée. Mais ce n'est pas une colère dirigée contre quelqu'un. C'est la colère contre l'oubli qui a englouti mes grands-parents, contre l'indifférence qui fait que, quand on parle de génocide, on raisonne souvent en termes de statistiques, en oubliant que les millions se décomposent en 1+1+1+1+1+…, etc. Ce que j'ai appelé la "colère de la vérité", c'est cette espèce de feu sacré, de libido sciendi, qui fait qu'un individu se lance dans une enquête. Quand Florence Aubenas part travailler sur un ferry, il y a quelque chose qui la meut, qui la pousse, il y a une colère aussi, une flamme.
- Qu'est-ce qui vous différencie d'un romancier comme Emmanuel Carrère ou d'autres qui se sont eux aussi emparé de faits divers ?
Je rends hommage à des auteurs comme Truman Capote ou Emmanuel Carrère, qui ont écrit des livres incontournables. Cependant, il y a deux différences entre mon livre et les leurs. D'abord, je m'intéresse à l'absente, et non pas au criminel pour lequel je n'éprouve aucune fascination. Ensuite, je viens des sciences sociales – histoire, anthropologie, sociologie, géographie, sciences politiques, toutes ces disciplines que je mobilise dans mon livre. Cela me donne des outils pour mieux comprendre le réel, passé ou présent. Cela enrichit le protocole d'enquête, ce qui n’empêche pas, évidemment, de mener un travail littéraire.
- "Laëtitia" est un livre féministe ?
Il n'y a pas de "message" dans mon livre. Par ailleurs, le féminisme signifie beaucoup de choses. Il y a des dizaines de courants féministes depuis des siècles. Mon livre pose des questions plus qu'il ne "dénonce" quoi que ce soit. Mais, de toute façon, quand on s’intéresse à l’histoire des femmes, c'est une histoire par définition féministe, puisque les femmes sont des silencieuses de l'histoire : il y a moins d'archives sur elles que sur eux, les hommes, puisqu’elles ont été réduites au silence. S'intéresser à des silencieuses, écouter leurs voix éteintes, cela appartient à la colère que je décrivais, contre l'oubli et contre l’indifférence. Parler d'une gamine du peuple massacrée à l’âge de 18 ans, c'est déjà une démarche engagée. Cela montre que l'histoire la plus rigoureuse peut parfaitement aller de pair avec l’investissement le plus fort. La misogynie n'est pas que l'affaire des femmes, de même que l'antisémitisme n'est pas que l'affaire des Juifs.
- Dans ce livre vous ne laissez aucun champ d'investigation de côté : social, historique, politique, et même géographique.
La vie de Laëtitia est ce que l'on appelle en anthropologie un "fait social total". Dans ce microcosme, dans cette vie, il y a en miniature toute une société. Dans cette vie qui pourrait sembler anodine, et qui a duré moins de 20 ans, il y a toute la société qui se reflète. Pour appréhender un fait social total, il fallait une enquête totale, et une enquête totale suppose d'aller à l'Élysée, dans les quartiers populaires où Laëtitia a grandi, au bord de l'étang où son corps a été immergé. Mon livre est un portrait de Laëtitia, bien sûr, mais c'est aussi un portrait de la France des années 2010.
- Quelle a été la méthode appliquée pour écrire "Laëtitia" ?
Ma méthode est celle des sciences humaines – histoire, sociologie, anthropologie, sciences politiques, géographie. D'abord, il s'agit de définir un problème. Mon problème était le suivant : comment une jeune femme a-t-elle été détruite en l’espace de 18 ans, dans une société riche, démocratique, en temps de paix ? Pour le temps de guerre, j'avais déjà répondu avec l'enquête sur mes grands-parents. Une fois que l'on a défini le problème, il faut prendre de la distance vis-à-vis de ce problème. À aucun moment je ne pleure, je ne me mets en colère ou je n’exprime de la haine. Une fois le problème défini et le travail de distanciation effectué, vient le moment de la collecte des sources. Entretiens, rencontres, voyages, archives, il faut des sources pour dire quelque chose. J'ai rencontré tous les proches de Laëtitia. J'ai rencontré tous les acteurs de l'enquête criminelle. J'ai dépouillé des archives, par exemple le dossier des jumelles à l'Aide sociale à l'enfance. J'ai consulté le compte Facebook de Laëtitia (la famille m'en a donné l'accès). J'ai assisté au procès du meurtrier en octobre 2015. Ensuite, il y a la démonstration. Même s'il n'y a pas de « message », lorsque j'affirme quelque chose, c'est démontré.
Tout ce travail d'enquête m'a pris deux ans. Cela a été beaucoup plus facile que pour le livre sur mes grands-parents : dans l’histoire de Laëtitia, tout le monde est vivant, je savais où trouver les archives, elles sont en langue française, le procès a eu lieu de mon vivant, etc. Pour mes grands-parents, cela a été beaucoup plus compliqué.
- Comment avez-vous organisé cette somme d'informations ? Comment avez-vous procédé pour construire votre livre ?
Mon livre est écrit en forme de double hélice. Ce sont deux récits qui s'enroulent l'un sur l'autre. D'un côté, le récit de la vie de Laëtitia ; de l'autre, l'enquête criminelle. Le lien, c'est que la vie éclaire la mort, parce que le processus de fragilisation de Laëtitia explique qu'elle a suivi Meilhon tout au long de sa dernière journée. Inversement, l'enquête criminelle rappelle la singularité et la dignité de Laëtitia. L'enquête criminelle n'a pas consisté, comme dans un polar classique, à arrêter un coupable (l’unique suspect a été arrêté très rapidement). L'essentiel de l'enquête a consisté à retrouver un corps, à redonner sa singularité à quelqu'un qui l'a perdue parce qu'elle a été découpée en morceaux.
- Votre livre rend hommage aux personnels de service public
Mon livre est un hommage à Laëtitia, à Jessica, mais aussi aux différents services publics qui ont accompagné Laëtitia pendant sa vie et après sa mort. Pendant sa vie, c'est le service public de l'éducation au sens large : des professeurs, des éducateurs, des psychologues, des employés de l'Aide sociale à l'enfance. Dans la mort, c'est un autre type de service public, celui de la justice : des gendarmes, des juges d'instruction, des procureurs de la République, des médecins légistes, des avocats. Ce sont deux systèmes qui se sont mis en branle pour sauver Laëtitia, dans la vie, pour qu’elle s'en sorte, et dans la mort, pour que son corps soit rendu à la famille et qu’elle ait une sépulture.
- Votre livre a obtenu le prix littéraire du Monde et figure à la fois dans des listes de prix parfois dans la catégorie essais et parfois dans la catégorie romans. romans, et essais ? Qu'en pensez-vous ?
Je trouve ça très bien.
- Comment définiriez-vous votre livre ?
On peut le définir de plusieurs manières. C'est un livre de sciences humaines, pour les raisons que j'ai dites. C'est une biographie de Laëtitia, et c’est aussi une autobiographie, parce que j’ai été confronté dès l’enfance à la violence et à la mort. C'est encore un polar, parce qu’il y a une enquête criminelle. C’est une oraison funèbre à la manière de Bossuet.
On peut se poser la question de savoir si "Laëtitia" est un roman ou pas. Si l'on considère que le roman est une fiction, alors mon livre n'est pas un roman. Mais si l'on définit le roman par le romanesque, un livre qui donne envie de tourner les pages, avec une héroïne et une intrigue, un livre qui se lit « comme un roman », alors Laëtitia en est un. Mais au fond, peu importe. Je trouve cela très bien de ne pas savoir exactement ce que l'on fait.
- Vous avez dit au moment de la sortie de "L'histoire est une littérature contemporaine" (Seuil, 2014) que vous plaidez pour un échange constant entre la littérature et les sciences sociales, pourquoi ?
Je travaille aux frontières, à la limite de plusieurs genres. Faire de l’histoire une littérature contemporaine, c’est approfondir la méthode des sciences sociales. Avec "Laëtitia", j'ai appliqué ce que je dis dans ce livre.
- Qu'est-ce que l'histoire ou les sciences sociales plus généralement peuvent-elle apporter à la littérature ? Et inversement ?
Pour moi, l'histoire est une science sociale et l'un des visages de la littérature contemporaine. Les sciences humaines peuvent contribuer à renouveler la non-fiction en particulier et la littérature en général, en œuvrant à une meilleure compréhension du réel. Les sciences humaines, qui permettent de comprendre les passés et le présent, peuvent se moderniser en investissant la littérature. Les sciences humaines, notamment l'histoire, n'ont pas été touchées par le renouvellement du roman opéré au XXe siècle avec Proust, Woolf, Joyce ou Céline. Elles ont raté la modernisation du roman moderne, elles sont passées à côté de ses modes de narration, de ses constructions, de ses rythmes. Elles auraient tort de se priver de cette force.
Les sciences humaines forment un ensemble de disciplines qui éclairent la société sur elle-même. Encore faut-il qu'elles acceptent de parler à un public. C'est l’une des dimensions de mon travail : rendre plus lisibles les sciences sociales. Je ne parle pas de "vulgarisation", je n'aime pas ce mot. Il s’agit plutôt de rendre appropriable par tous la démarche des sciences sociales. Annie Ernaux est écrivain, autobiographe, sociologue, et c'est pour cela que son œuvre est extraordinaire. On pourrait citer aussi Primo Levi ou Patrick Modiano.
- Vous-même, quelles sont vos lectures ?
Je lis un peu de tout – des blogs, Facebook, des romans, la presse, des essais. En ce moment, je lis "Vernon Subutex" de Virginie Despentes. Elle a une approche très féministe elle aussi (il sourit). J'aime beaucoup son travail.
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