Lectures d'été : on vous donne les extraits, vous choisissez !
Le vrai bon pavé (plus de mille pages, en même temps c'est commode, on muscle les avant-bras), à déguster tranquillement tout l'été. Un roman monumental qui met en scène la vie d'un garçon d'origine juive né en 1947. Auster y inaugure un dispositif narratif inédit en déclinant 4 scénarios possibles pour son personnage, dont la somme dessine un portrait d'une grande profondeur, l'histoire des États-Unis en toile de fond.
Ce qu'il n'avait pas prévu c'était à quel point il se sentirait excessivement vivant en pénétrant dans le gymnase de l'école et en allant prendre place auprès du marqueur officiel à la table qui chevauchait la ligne de milieu de terrain. Tout semblait brusquement différent. Et pourtant il en avait vu des matchs dans ce gymnase au cours des années, il y avait suivi tant de cours d'éducation physique depuis son entrée au lycée, il y avait participé à tant de séances d'entraînement de Baseball, mais le gymnase n'était plus le même ce soir-là, il était devenu un lieu de mots potentiels, les mots qu'il allait écrire sur le match qui venait de commencer, et comme c'était son travail d'écrire ces mots, il devait focaliser son attention sur ce qui se passait plus qu'il ne l'avait jamais fait sur quoi que ce soit, et cette intense concentration, la singularité de son but, le genre de regard qu'il fallait poser semblait le transporter et faire circuler dans ses veines de véritables décharges électriques. Ses cheveux crépitaient sur sa tête, il avait les yeux grands ouverts et il se sentait plus vivant qu'il ne l'avait été depuis des semaines, vivant et vigilant, en alerte et totalement en phase avec l'instant présent."
"4 3 2 1", de Paul Auster (Actes Sud, page 460)(traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun / Folio - 496 pages - 9,40 euros)2"La tache", Philip Roth
Lire ou relire Philip Roth, cet immense auteur américain disparu le 23 mai 2018 sans avoir eu le Nobel. Une œuvre à lire ou à relire. On vous recommande "La tache", un modèle parfait de roman. Mais vous pouvez aussi piocher dans cette liste, ou vagabonder dans son œuvre ou bon vous semble. Vous ne serez pas déçus.
Ce fut l’été du marathon de la tartuferie : le spectre du terrorisme, qui avait remplacé celui du communisme comme menace majeure pour la sécurité du pays, laissait la place au spectre de la turlute ; un président des États-Unis, quadragénaire plein de verdeur, et une de ses employées, une drôlesse de vingt-et-un ans folle de lui, batifolant dans le bureau ovale comme deux ados dans un parking, avaient rallumé la plus vieille passion fédératrice de l’Amérique, son plaisir le plus dangereux peut-être, le plus subversif historiquement : le vertige de l’indignation hypocrite."
"La tache", Philippe Roth(Gallimard - 510 pages - 21 euros)3"Le lambeau", Philippe Lançon
En écrivant "Le lambeau" (Gallimard), Philippe Lançon, rescapé de l'attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, ne fait pas seulement le choix de l'écriture ET de la vie. Il dépose à nos pieds une offrande. En partageant avec nous par la littérature son expérience, il nous autorise à faire corps avec les victimes de l'indicible événement, et ainsi, nous donne la possibilité d'en faire le deuil. Un pavé, pas très joyeux, même si malgré tout Philippe Lançon ne perd jamais son sens de l'humour, mais à lire absolument.
Dans la chambre 106, l'anémone de mer revenait chaque soir. Elle remontait du passé cubain et se substituait à la cervelle de Bernard. Elle battait sa propre mesure, mon pouls. Elle m’envoyait du sang, de l'eau sombre, des souvenirs interrompus ou menacés, comme des images projetées sur un écran dans lequel le spectateur finit par disparaître et, assez vite, ce battement m'attirait. Elle projetait de moins en moins d'images et m'aspirait de plus en plus vers son propre vide, vers le fond. Elle me pompait. Je devenais l'anémone de mer, la sanglante anémone, et, une fois à l'intérieur, dans ses tentacules, son velours, sa pulsion, je redevenais la cervelle de Bernard, une cervelle océanique détachée du petit paquet de la rue Nicolas-Appert, comme une méduse en pleine eau. À cet instant, une tristesse panique m'envahissait. Elle était le don de l'anémone, une réalité absolue et aussi peu comestible que le cacao à 100% et que pourtant il me fallait avaler. J'ouvrais les yeux pour échapper à l'attraction, à la digestion. Si j'avais continué de la fermer, la réalité de l'attentat se serait refermée sur ce qui me restait de conscience : l'anémone née de la cervelle de Bernard aurait dévoré la mienne, et, si je n'en étais pas mort, peut-être serais-je devenu fou. J'aurais rejoint le cœur de l'événement et je me serais décomposé là-bas, en lui, sur ce parquet où nous restions allongés. C'est peut-être cela qui caractérise le fou : être prisonnier à perpétuité de l'événement cruel et impensable qui, croit-il, l'a fondé."
"Le lambeau", page 209(Philippe Rey - 232 pages - 19 €)4"La bête à sa mère", de David Goudreault
"La bête à sa mère" (Philippe Rey) est le premier roman de David Goudreault, slameur et travailleur social québécois. Il nous embarque à bord du cerveau du narrateur, personnage écorché par la vie et complètement secoué. Un roman à la fois drôle et bouleversant, écrit dans un truculent français du Québec
Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Électrochocs, doses massives d’antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques et autres stabilisateurs de l’humeur ont rythmé les saisons qu’elle traversait avec peine. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. Ma mère a contribué à l’avancement de la science psychiatrique tant elle s’est investie dans ses crises."
(Seuil – 192 pages – 17 €)5"En camping-car", Ivan Jablonka
"Soyez heureux !", Quoi de mieux pour accompagner vos vacances que cet hymne joyeux au voyage et à la liberté, symbolisé par le mythique Combi Volkswagen. "En Camping-car" a reçu le Prix Essai France Télévisions 2018.
"j'étais libre parce qu'il n'y avait pas de ceinture à l'arrière et que nous nous déplacions dans l'habitacle pendant les trajets
"En camping-car", Ivan Jablonka (Seuil, page 154)
parce que je pouvais flâner dans les musées sans les visiter
parce que je pouvais rester des heures à jouer dans les vagues
j'étais libre parce qu'on campait n'importe où, sur les plages, les débarcadères, les parkings, au bout des jetées, dans les clairières
parce que mon sac de couchage était un vaisseau spatial, avec des manettes et des cadrans intégrés
j'étais libre parce qu'aucun cahier de vacances ne venait prolonger le travail scolaire de l'année
parce qu'une pression se relâchait
l'urgence était suspendue
parce qu'on changeait de destination tous les ans
parce que nos spots ne figuraient sur aucun guide de voyage
et que cela ne coûtait rien de se perdre, l'égarement n'étant qu'un autre chemin
j'étais libre de m'éprouver Juif errant, tout en étant protégé par un Etat
j'étais libre d'explorer les fonds marins avec un masque et un tuba
de lire ou de faire de la planche à voile
de jouer au tarot ou de ramasser des écorces
primitif et bien éduqué
j'étais libre parce que le camping-car était une manière d'être sans manières, détachée des choses terrestres et pourtant résolument terre à terre
parce que même le retour en France était un voyage, une régate à la surface des autoroutes, sous les grands panneaux bleus dans la succession des sorties, Villefranche, Mâcon, Tournus, Beaune, Avallon, Evry, Villejuif, avant l'approche de la porte d'Orléans et la silhouette de l'église de Gentilly dont les anges pleurent des larmes vertes
j'étais libre parce que mes parents avaient pu s'élever socialement dans un pays riche et un continent en paix
parce qu'on avait le droit de se promener sur la plage et de jouer avec les seringues des drogués
parce qu'on faisait ce qu'on voulait après le repas
parce que j'étais inaccessible dans notre camping-car inclassable
parce qu'on pouvait partir n'importe où, n'importe quand, après avoir replié la banquette, fermé le toit et claqué la porte coulissante
j'étais libre parce que mes parents voulaient que je le sois"(Seuil – 96 pages – 12 €)6"Qui a tué mon père", Édouard Louis
Pas le livre le plus gai de la liste, mais un brin de culpabilité sur la plage ne peut pas nuire. "Qui a tué mon père" est l'adresse bouleversante d'un fils à son père, soumis à la violence sociale. Ce troisième livre d'Édouard Louis est un véritable pamphlet politique, porté par une voix littéraire qui s'installe avec évidence.
"1999 - je compte sur mes doigts : une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit. Je me prépare à avoir huit ans. Tu m'as demandé ce que je voulais pour mon anniversaire, et je t'ai répondu : Titanic. La version VHS du film venait de sortir, on voyait la pub passer plusieurs fois par jour à la télévision, en boucle. Je ne sais pas ce qui m'attirait autant dans ce film, je ne saurais pas dire, l'amour, le rêve partagé de Leonardo DiCaprio et de Kate Winstlet, je ne sais pas, mais j'étais obsédé par ce film que je n'avais pas encore vu, et je te l'ai demandé. Tu m'as répondu que c'était un film pour les filles et que je ne devais pas vouloir ça. Ou plutôt, je parle trop vite, d'abord tu m'as supplié de vouloir autre chose, Tu ne veux pas plutôt une voiture télécommandée ou un costume de super-héros, réfléchis bien, mais moi je répondais Non, non, c'est Titanic que je veux, et c'est après mon insistance, après ton échec, que tu as changé de ton. Tu m'as dit que puisque c'était comme ça je n'aurais rien, pas de cadeau. Je ne me rappelle plus si j'ai pleuré. Les jours ont passé. Le matin de mon anniversaire, j'ai trouvé au pied du lit un grand coffret blanc, avec écrit dessus en lettres d'or : Titanic. À l'intérieur il y avait la cassette, mais aussi un album photo sur le film, peut-être une figurine du paquebot. C'était un coffret de collection, sûrement trop cher pour toi, et donc pour nous, mais tu l'avais acheté et déposé près de mon lit, enveloppé dans une feuille de papier. Je t'ai embrassé sur la joue et tu n'as rien dit, tu m'as laissé regarder ce film près d'une dizaine de fois par semaine pendant plus d'un an."
"Qui a tué mon père", Edouard Louis (page 38)(Grasset - 157 pages – 16 €)7"L'amour après", Marceline Loridan-Ivens avec Judith Perrignon
Marceline Loridan-Ivens, 89 ans, cinéaste, déportée à 15 ans à Auschwitz, ouvre "sa valise d'amour" pleine des souvenirs épistolaires de toutes sortes, lettres, notes, petits mots, que les hommes de sa vie lui ont adressés. Un livre solaire et sensuel, écrit dans une langue d'une jeunesse éclatante.
"Nous dansions. Moi accrochée à lui, dans l’obscurité. Mes pas dans les siens. Il a vu mon matricule.
— Tu étais là-bas ?
— Oui.
— Quel âge avais-tu ?
— Quinze ans.
Nous dansions un tango.
— Ce qui est terrible, c’est que ça va partir avec moi. Ça va disparaître.
Nous dansions encore.
— Est-ce que tu sais que des enfants ou des petits-enfants de déportés se font tatouer le numéro de leurs parents ?
— Oui, je sais.
Nous dansions toujours.
— Alors ce numéro, je te le donne. Je n’ai pas d’enfant. Je vais mourir bientôt, mais je ne veux pas que cette histoire meure avec moi. Prends ce numéro et note-le sur ton bras."
"L'amour après", Marceline Loridan-Ivens(traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle / Actes Sud - 304 pages - 22,50€)8"Instantanés d'ambre" Yôgo Ogawa,
"Instantanés d'Ambre" (Actes Sud) est le dernier roman de l'auteure japonaise Yôko Ogawa, un récit onirique qui met en scène dans un huis clos la toute-puissance d'une mère troublée par la mort d'un de ces enfants. Un très beau livre d'une figure majeure de la littérature japonaise contemporaine.
Les étoiles et le temps, Les animaux marins, Les insectes, Les végétaux, La chaleur et l'énergie, Les corps gazeux, liquides et solides, Le corps humain… Les pages se succédaient, classées par couleurs en différentes rubriques. Au point que ses yeux papillonnaient en essayant de détailler les fines couches de couleurs superposées sur la tranche du volume.
"Instantanés d'Ambre", Yôko Ogawa (page 11)
Il se dit que lui aussi devait absolument ouvrir cette encyclopédie à la page des minéraux. Il n'aurait pu supporter de perdre Opale et Agate en allant s'égarer dans l'espace ou les fonds marins. Il aurait même accepté la cervelle de cheval pourvu qu'ils fussent ensemble tous les trois, sinon il risquait de devenir une proie idéale pour le chien maléfique. Il baissa la tête afin que leur mère ne s'aperçût pas de ce qu'il entrouvrait légèrement les yeux dans le but d'ouvrir le volume à la page qu'il avait visée entre les cils.
- Ambre, lui dit leur mère sans lui laisser le temps de vérifier.
Ouvrant de grands yeux, il se rendit compte qu'il s'agissait de la rubrique des fossiles qui précédait celle des minéraux et se dit Zut ! Mais c'était déjà trop tard."(Actes Sud - 152 pages - 15 €)9"Fuki-no-tô", de Aki Shimazaki
Les cycles romanesques de cette auteure canadienne d'origine japonaise sont des livres parfaits à emporter dans sa valise. Après "Azami", "Hôzuki" et "Suisen", "Fuki-no-tô" est le 4e volet du cycle romanesque "L’Ombre du chardon" (Les différents opus peuvent se lire séparément et dans le désordre). Avec ce nouvel opus, Aki Shimazaki emmène le lecteur à la campagne dans une petite ferme bio exploitée par Atsuko, femme mariée et mère de deux enfants. L'arrivée d'une nouvelle employée sur l'exploitation va l'obliger à défricher la nature de ses désirs. On retrouve le talent d'Aki Shimazaki pour décrire l'intimité des sentiments de ses personnages et les paysages qui leur font écho. Si vous voulez lire un cycle entier de cette auteure, vous pouvez commencer par le premier, "Le poids des secrets", magnifique, disponible en coffret (Actes Sud-Babel).
Je flâne dans le bosquet de bambous.
"Fuki-no-tô", Aki Shimazaki (page 7)
C’est le début de mars. À l’ombre, il reste encore de la neige ici et là. Je marche lentement sur la terre humide. Les camélias rouges au cœur jaune apparaissent entre les vieux bambous vert grisâtre. C’est une beauté simple et sereine que j’adore depuis mon enfance.
J’ai hérité de mon père ce terrain avec la maison et les champs situés plus haut. Je m’attache à cet endroit sauvage et tranquille et j’aimerais bien le laisser tel quel. Malgré tout, il est temps de le nettoyer afin de faire pousser de nouveaux bambous. Sinon il deviendra un fourré impénétrable et l'opération me coûtera finalement très cher. Il faut agir bientôt."(traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Christine Agosto / Bourgois - 224 pages - 8 euros)10"La vengeance de la pelouse" Richard Brautigan
Richard Brautigan. Cet auteur culte, romancier, poète et novelliste américain est un pionnier de la beat generation. Son œuvre, onze romans, dix recueils de poésie, est un puits de beauté et de poésie. Une belle occasion de s'y replonger avec les éditions Bourgois, qui nous font la joie de rééditer. Première salve de parutions : cinq livres paraissent en juin. Des nouvelles : "Tokyo-Montana-Express" (1980) et "La vengeance de la pelouse" (1970), et deux romans "Le monstre des Hawkline" (1974) et Willard et ses trophées de bowling" (1975). À la rentrée, Bourgois annonce la sortie de trois autres titres, dont "La pêche à la truite en Amérique" (chic !).Ce n'est pas facile de vivre dans un studio de San José avec un homme qui apprend à jouer du violon.
"La vengeance de la pelouse" (1970)
C'est ce qu'elle dit aux policiers en leur tendant le revolver vide"(Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun - Gallimard - 384 pages - 21 euros)11"1984", de George Orwell
Vous avez le choix, soit lire ou relire la traduction d'origine, disponible en Folio, soit vous lancer dans la nouvelle traduction, proposée par Josée Kamoun, tout juste parue chez Gallimard, qui fait de la "novlangue" un "néoparler", et qui passe de l'imparfait au présent, dans une tentative, précise l'éditeur, "de restituer la terreur dans toute son immédiateté mais aussi les tonalités nostalgiques et les échappées lyriques d'une œuvre brutale et subtile, équivoque et génialement manipulatrice
C’est un jour d’avril froid et lumineux et les pendules sonnent 13:00. Winston Smith, qui rentre le cou dans les épaules pour échapper au vent aigre, se glisse à toute vitesse par les portes vitrées de la Résidence de la Victoire, pas assez vite tout de même pour empêcher une bourrasque de poussière gravillonneuse de s’engouffrer avec lui.
"1984", version traduite par Josée Kamoun, page
Le hall sent le chou bouilli et le vieux paillasson. Sur le mur du fond, on a punaisé une affiche en couleur trop grande pour l'intérieur. Elle ne représente qu'un énorme visage de plus d'un mètre de large, celui d'un bel homme de quarante-cinq ans environ, à l'épaisse moustache noire et aux traits virils. Winston se dirige vers l'escalier. Il est inutile de chercher à prendre l'ascenseur, qui fonctionne rarement, même en période faste, et en ce moment le couloir est coupé en plein jour par mesure d'économie à l'aproche de la Semaine de la Haine."
(traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovtch, Lisa Rosenbaum et Marc Amfreville/ L'Olivier - 352 pages -14,90 euros)12"Last night", James Salter
On pense trop rarement à lire des nouvelles. Et si on profitait de l'été pour déguster ce recueil de l'auteur de "Et rien d'autre" (L'Olivier, 2014). Vous y trouverez tout l'art de ce grand romancier américain, capable d'installer en quelques pages une ambiance, de dessiner des personnages en quelques traits, de nous livrer une tranche de leur vie, laissant au lecteur toute latitude pour rêver ce qui a précédé l'entrée en matière, ou imaginer la suite d'une histoire. Des moments de suspens qui se prêtent parfaitement au rythme distendu des vacances de l'été. Avec en prime le plaisir de retrouver cette écriture à la fois tranchée (autant de phrases si courtes !) et sensuelle. L'autre avantage des nouvelles, c'est que l'on peut en entrecouper la lecture par d'autres livres, et aussi partager son bonheur de lecture en prêtant son livre aux copains de plage (ou de randonnée) pour une ou deux nouvelles…
"Akhnilo", "Last night", page 127 James Salter.
Fenn eut une pensée troublante qu'il ne put chasser : cette chose était consciente. Ce cri frémissant, là-bas, ce cri qui se répétait à l'infini au-dessus de tous les autres bruits, semblait ne s'adresser qu'à lui. Son rythme était irrégulier. D'abord rapide, il hésitait, reprenait. De moins en moins un cri instinctif, c'était davantage une sorte de signal, un code, un son qu'il n'avait encore jamais entendu, non pas une série d'impulsions courtes et longues, mais quelque chose de plus compliqué. En un sens, cela ressemblait à la parole. Cette idée effraya Fenn. Les mots, si c'en étaient, paraissaient perçants, ténus, mais en les discernant, Fenn se mit à trembler comme s'il s'agissait de la combinaison d'une chambre forte."(Albin Michel - 560 pages - 23,90 euros)13"La terre des morts", de Jean-Christophe Grangé
Pour les amateurs de frissons et de trashitude, dans le dernier Grangé, tous les ingrédients du thriller sont là. Une histoire de meurtres sur fond de boîtes à strip-tease, d'œuvres de Francesco Goya, et de sado masochisme. Musculation des avant-bras également, mais plus vite dévoré et beaucoup moins consistant dans le genre pavé que le Paul Auster.
"Les légendes indiquaient sobrement : "Pintura roja n°1", "Pintura roja n°2", "Pintura roja n°3", mais d'après ses lectures, Corso se souvenait que les historiens d'art les avaient respectivement baptisés : Le Cri, La Sorcière, Le Mort...
"La terre des morts", Jean-Christophe Grangé (page 127)
Le plus à gauche représentait le visage balafré dont s'était inspiré de toute évidence, le tueur de Nina. Un galérien, ou un prisonnier, dont on discernait avec précision, au bas du tableau, les bracelets noirs et les chaînes. Ses commires s'étiraient douloureusement jusqu'aux oreilles dans rire avide, à la fois blessure et provocation. On ne savait plus si cet homme, souffrait ou jouissait. Son expression pernicieuse – une grimace diabolique à vous glacer les tripes – jouait à plein sur l'ambiguïté. Un initié qui vous regardait du fond de la souffrance en ruant de votre ignorance… "(Albin Michel – 530 pages – 22,90 euros - Sortie le 3 janvier 2018)14"Couleurs de l'incendie", de Pierre Lemaitre
Il aura fallu attendre 4 ans et une adaptation au ciné par Dupontel pour découvrir la suite de de l'histoire. "Couleurs de l'incendie" nous plonge dans l'entre deux guerres, aux côtés d'un personnage féminin (la sœur d'Edouard, celle qui a épousé le méchant Pradelle dans le premier volet). On retrouve avec ce deuxième volet le talent de Pierre Lemaitre pour nous plonger dans une lecture à la fois haletante et divertissante. L'écrivain injecte une fois encore dans son récit romanesque des pans de l'histoire de France, avec un point de vue toujours fermement posté du côté de la critique sociale.
"Si, les obsèques de Marcel Péricourt furent perturbées et s'achevèrent même de façon franchement chaotique, du moins commencèrent-elles à l'heure. Dès le début de la matinée le boulevard de Courcelles était fermé à la circulation. Rassemblée dans la cour, la musique de la garde républicaine bruissait des essais feutrés des instruments, tandis que les automobiles déversaient sur le trottoir ambassadeurs, parlementaires, généraux, délégations étrangères qui se saluaient gravement. Des académiciens passaient sous le grand dais noir à crépine d'argent portant le chiffre du défunt qui couvrait le large perron et suivaient les discrètes consignes du maître de cérémonie chargé d'ordonner toute cette foule dans l'attente de la levée du corps. On reconnaissait beaucoup de visages. Des funérailles de cette importance, c'était comme un mariage ducal ou la présentation d'une collection de Lucien Lelong, le lieu où il fallait se montrer quand on avait un certain rang".
"Couleur de l'incendie", (extrait)(Editions de Minuit - 127 pages - 11.50 €)15"Faire mouche", Vincent Almendros
"Faire mouche" (Editions de Minuit), un roman qui raconte le retour, avec sa compagne enceinte, d'un homme dans sa famille après une longue absence. Vincent Almendros confirme avec ce troisième roman court et tranchant son talent pour décrire en peu de mots les paysages, les atmosphères et les âmes chargées. Pour les amateurs de belle prose et de polars décalés.
Avec son ventre gonflé, sa veste de survêtement enfilée à la va-vite sur une chemise limée aux plis, mon oncle ressemblait à un vieil entraîneur de club de foot à la retraite.
"Faire mouche", de Vincent Almendros
Alors ? me demanda-t-il en s'avançant, puis il posa une main sur mon épaule. C'était moins un geste de tendresse que la nécessité de prendre appui sur moi. Il m'embrassa sur les joues. Les siennes mal rasées, piquaient. Il sentait le tabac.
Tu ne dors pas ? Il est tard.
Hé, pardi, je nous attendais.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.