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"Les événements" de Jean Rolin : topographie d'une guerre civile en France
Décidément la rentrée littéraire de janvier empile les scénarios catastrophes pour la France. Jean Rolin, comme Houellebecq, propose un roman de science-fiction. Quand Houellebecq imagine l'arrivée au pouvoir d'un parti musulman modéré, Jean Rolin, dans "Les événements" (P.O.L.) décrit une France aux prises avec la guerre civile, ses campagnes occupées par des milices extrémistes de tous bords.
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L'histoire : La France est en guerre. Le narrateur entame un road-movie à bord d'une Toyota "assez moche et d'un modèle ancien, mais du moins était-elle en état de rouler, et cette circonstance faisait d'elle un bien rare et précieux", des papiers "en règle", suffisamment de carburant pour rejoindre Clermont-Ferrand, et des vivres "pour tenir une semaine ou deux". C'est aussi muni d'un semi-automatique qu'il quitte Paris, cette ville où il est désormais possible "d'emprunter le Boulevard Sébastopol pied au plancher, à contre-sens et sur toute sa longueur", où "les rues sont jonchées de verre brisé, matériaux de construction hachés en petits morceaux, branchettes de platanes, boîtes de bière ou étuis de munitions"…
Le narrateur veut rejoindre le Sud. Sur son chemin il a pour mission de remettre un colis à un certain Brennecke, un ancien ami à lui, devenu le colonel d'une milice nationaliste, les Unitaires (les "Zuzus"). Sur sa route, la N20, les paysages sont dévastés, la chaussée défoncée, aux détours d'une route des cadavres de curés jonchent un champ, des combats ont lieu, les routes sont plantées de check points, la FINUF (Force d'interposition des Nations unies en France) occupe des positions stratégiques (aéroport d'Orly), mais la plus grande partie du territoire est tenue par des milices d'extrême-droite, d'extrême-gauche, ou par des islamistes…
Le chaos
Décidément, la rentrée littéraire de janvier empile les scénarios catastrophes pour la France. Jean Rolin, comme Houellebecq, propose un roman d'anticipation qui décrit une décomposition complète de la société, mais là où Houellebecq imagine pour sortir la France de la crise l'arrivée au pouvoir d'un parti musulman modéré, Jean Rolin, lui, décrit carrément une France aux prises avec la guerre civile, ses campagnes occupées par des milices d'extrême-droite, d'extrême-gauche, ou islamistes, sans qu'aucune perspective de règlement n'apparaisse, que la persistance du chaos.
"Les événements", dont la terminologie est empruntée à la guerre d'Algérie, fait surtout penser à des guerres plus récentes, et notamment au conflit en ex-Yougoslavie, que connaît bien Jean Rolin. Le narrateur n'a pas de point de vue politique, ou du moins il n'appartient à aucun camp. Il semble se laisser conduire par les événements, sans qu'on sache vraiment ni pourquoi il a voulu rejoindre le Sud, ni ce qui motive ses actes, si ce n'est les circonstances.
Topographie des événements
Le récit est fait à la première personne, sans affect. Le narrateur (sur qui un autre narrateur prend la main de temps en temps) observe le monde qui l'entoure, l'ampleur des dégâts et la violence comme le ferait un naturaliste, un géographe, ou un topographe. Plus que les événements, ce narrateur dont on ne sait presque rien décrit les paysages, la faune, la flore, les routes, les ponts, les bâtiments, comme s'il dressait la topographie d'une guerre civile, où les sentiments ont eux aussi déserté le paysage. Le résultat est étrange, parfois incongru, souvent drôle, à cause de ce décalage entre les horreurs d'une guerre civile et la tranquillité du monde, insensible aux carnages qui déchirent le pays, les oiseaux continuant à chanter, le vent à souffler, les arbres à pousser, les saisons à filer.
Le roman est porté par une belle écriture, mais laisse le lecteur un peu désemparé par son absence de point de vue (à moins que cette absence de point de vue ne soit justement un point de vue...). Cette manière de rester en surface, de se cantonner strictement à une description en périphérie des événements, apparaît d'autant plus comme un exercice de style que la publication de son livre a percuté les événements (réels ceux là) qui ont secoué la France début janvier. On peut d'ailleurs s'étonner de l'absence totale de réactions, qui se sont en revanche abattues violement sur celui de Houellebecq, à un livre qui imagine les campagnes françaises aux mains du "Hezb", un parti islamiste "dit modéré", qui pactise avec les milices d'extrême-droite, ou qui décrit la mainmise sur le Sud de la France par l'AQBRI, (Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques). Les événements Jean Rolin (P.O.L. – 193 pages – 15 euros).
Extrait :
"Au milieu du champ se voyaient les dépouilles d'un nombre indéterminé de curés morts. Peut-être six ou sept : les positions variées dans lesquelles ils étaient répandus, en vrac, autant que leur éloignement de la route, ou la hauteur des jeunes pousses – du maïs, il me semble- dont le champ était couvert, tout cela faisait qu'il était difficile d'établir leur nombre avec plus de précision. Plus de cinq, en tous cas, enveloppés dans des soutanes noires qui les désignaient – s'il ne s'agissait pas d'un déguisement, ou d'une mise en scène – comme des prêtres traditionalistes. Quant à ce champ, c'était le premier de son espèce en bordure de la N 20, et comme avant poste de la pseudo-campagne au sein de, la pseudo-ville. A l'opposé de la route nationale, il était borné par l'autoroute A 10, distante peut-être d'un kilomètre. Au sud, vers Longjumeau, on distinguait la masse sombre d'un bois, à la lisière duquel buissonnait cet arbuste – le prunelier? – qui est à la fin de l'hiver l'un des premiers à fleurir, et dont les haies blanchâtres, vues de loin, donnent une impression de légèreté vaporeuse et presque immatérielle."
Le narrateur veut rejoindre le Sud. Sur son chemin il a pour mission de remettre un colis à un certain Brennecke, un ancien ami à lui, devenu le colonel d'une milice nationaliste, les Unitaires (les "Zuzus"). Sur sa route, la N20, les paysages sont dévastés, la chaussée défoncée, aux détours d'une route des cadavres de curés jonchent un champ, des combats ont lieu, les routes sont plantées de check points, la FINUF (Force d'interposition des Nations unies en France) occupe des positions stratégiques (aéroport d'Orly), mais la plus grande partie du territoire est tenue par des milices d'extrême-droite, d'extrême-gauche, ou par des islamistes…
Le chaos
Décidément, la rentrée littéraire de janvier empile les scénarios catastrophes pour la France. Jean Rolin, comme Houellebecq, propose un roman d'anticipation qui décrit une décomposition complète de la société, mais là où Houellebecq imagine pour sortir la France de la crise l'arrivée au pouvoir d'un parti musulman modéré, Jean Rolin, lui, décrit carrément une France aux prises avec la guerre civile, ses campagnes occupées par des milices d'extrême-droite, d'extrême-gauche, ou islamistes, sans qu'aucune perspective de règlement n'apparaisse, que la persistance du chaos.
"Les événements", dont la terminologie est empruntée à la guerre d'Algérie, fait surtout penser à des guerres plus récentes, et notamment au conflit en ex-Yougoslavie, que connaît bien Jean Rolin. Le narrateur n'a pas de point de vue politique, ou du moins il n'appartient à aucun camp. Il semble se laisser conduire par les événements, sans qu'on sache vraiment ni pourquoi il a voulu rejoindre le Sud, ni ce qui motive ses actes, si ce n'est les circonstances.
Topographie des événements
Le récit est fait à la première personne, sans affect. Le narrateur (sur qui un autre narrateur prend la main de temps en temps) observe le monde qui l'entoure, l'ampleur des dégâts et la violence comme le ferait un naturaliste, un géographe, ou un topographe. Plus que les événements, ce narrateur dont on ne sait presque rien décrit les paysages, la faune, la flore, les routes, les ponts, les bâtiments, comme s'il dressait la topographie d'une guerre civile, où les sentiments ont eux aussi déserté le paysage. Le résultat est étrange, parfois incongru, souvent drôle, à cause de ce décalage entre les horreurs d'une guerre civile et la tranquillité du monde, insensible aux carnages qui déchirent le pays, les oiseaux continuant à chanter, le vent à souffler, les arbres à pousser, les saisons à filer.
Le roman est porté par une belle écriture, mais laisse le lecteur un peu désemparé par son absence de point de vue (à moins que cette absence de point de vue ne soit justement un point de vue...). Cette manière de rester en surface, de se cantonner strictement à une description en périphérie des événements, apparaît d'autant plus comme un exercice de style que la publication de son livre a percuté les événements (réels ceux là) qui ont secoué la France début janvier. On peut d'ailleurs s'étonner de l'absence totale de réactions, qui se sont en revanche abattues violement sur celui de Houellebecq, à un livre qui imagine les campagnes françaises aux mains du "Hezb", un parti islamiste "dit modéré", qui pactise avec les milices d'extrême-droite, ou qui décrit la mainmise sur le Sud de la France par l'AQBRI, (Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques). Les événements Jean Rolin (P.O.L. – 193 pages – 15 euros).
Extrait :
"Au milieu du champ se voyaient les dépouilles d'un nombre indéterminé de curés morts. Peut-être six ou sept : les positions variées dans lesquelles ils étaient répandus, en vrac, autant que leur éloignement de la route, ou la hauteur des jeunes pousses – du maïs, il me semble- dont le champ était couvert, tout cela faisait qu'il était difficile d'établir leur nombre avec plus de précision. Plus de cinq, en tous cas, enveloppés dans des soutanes noires qui les désignaient – s'il ne s'agissait pas d'un déguisement, ou d'une mise en scène – comme des prêtres traditionalistes. Quant à ce champ, c'était le premier de son espèce en bordure de la N 20, et comme avant poste de la pseudo-campagne au sein de, la pseudo-ville. A l'opposé de la route nationale, il était borné par l'autoroute A 10, distante peut-être d'un kilomètre. Au sud, vers Longjumeau, on distinguait la masse sombre d'un bois, à la lisière duquel buissonnait cet arbuste – le prunelier? – qui est à la fin de l'hiver l'un des premiers à fleurir, et dont les haies blanchâtres, vues de loin, donnent une impression de légèreté vaporeuse et presque immatérielle."
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