"Les petits de Décembre" : Kaouther Adimi raconte l'Algérie d'aujourd'hui dans un conte tragique
Le dernier livre de Kaouther Adimi raconte la révolte d'une poignée d'enfants face au pouvoir corrompu des généraux du régime algérien.
Avec Les petits de Décembre, son quatrième roman qui paraît aux éditions du Seuil le 14 août 2019, l'écrivaine algérienne Kaouther Adimi, auteure de Nos richesses (Seuil, Prix du Style et prix Renaudot des lycéens en 2017) poursuit son exploration de l'histoire contemporaine de l'Algérie, son pays, quitté quand elle avait quatre ans, puis retrouvé en 1994, plombé par le terrorisme. C'est cette fois sous la forme d'un conte mettant en scène des enfants, des généraux, une moudjahida à la retraite et une vieille folle aux cheveux rouges que la romancière décrit la réalité de son pays.
L'histoire : Dely-Brahim, petite ville à l'ouest d'Alger. Trois enfants, deux garçons et une fille, jouent sur le terrain vague planté au cœur de la cité du 11 décembre 1960 (date des grandes manifestations dans tout le pays pour l'indépendance de l'Algérie). Inès, Jamyl et Mahdi s'y retrouvent presque tous les jours, même quand le terrain, détrempé par la pluie devient une large étendue de boue.
Les trois enfants sont tous les enfants ou petits-enfants de militaires. La Cité a été construite pour eux à la fin des années 80. Le terrain n'a jamais été aménagé, pas plus que les rues qui irriguent le quartier. Un terrain vague que les enfants ont fini par investir, en y installant des cages de foot de fortune. Depuis, les enfants de la Cité et des environs y ont disputé des milliers de parties de foot. "Oh, il ne s'agit pas d'un terrain de football comme on peut l'imaginer. Oubliez le gazon vert, le tracé parfait, les filets de but. A première vue on dirait un terrain vague. A première vue seulement".
Le peuple des enfants
Sur le terrain, en ce mois de février pluvieux, Mahdi, Jamyl et Inès ne craignent ni la boue ni les moqueries des adultes. Ils exultent, et se sentent même "voler". Loin d'imaginer que ce bonheur simple pourrait être menacé. C'est pourtant ce mois de février pluvieux que choisissent deux hauts gradés du régime, des généraux, pas moins, pour débarquer sans prévenir dans le quartier. Ils arrivent dans "une grande voiture noire aux vitres teintées", affublés d'un chauffeur armé d'un parapluie. Ils sortent des plans de leurs poches en annonçant qu'ils viennent voir "leur terrain", sur lequel ils projettent de construire "leurs villas".
Adila, ancienne moudjahida et figure du quartier, mais aussi la vieille voisine aux cheveux rouges, bientôt rejointes par des jeunes du quartier, se chargent de les chasser. Le terrain de foot devient alors le théâtre de la résistance, celui d'une révolte orchestrée par les enfants. Mais "des dizaines d'enfants peuvent-ils lutter contre tout un système ?"
Un conte tragique
Kaouther Adimi nous raconte cette histoire comme un conte, dessinant ses personnages comme dans une farce, des généraux et leurs femmes se ridiculisant, des militaires lâches et des enfants héroïques. Mais derrière l'apparente légèreté du récit, c'est la violence du régime algérien, sa corruption, ses dysfonctionnements, l'incapacité de tout un système à se réformer, les dégâts des années de plomb et les désillusions des anciens que décrit la romancière.
L'écriture est simple, les phrases sont courtes et se succèdent dans une économie de mots qui met sur le devant de la scène l'action, laissant au lecteur le soin de se forger une opinion. La révolte des enfants figure de manière allégorique (même si l'histoire est inspirée de faits réels) l'espoir d'une relève, celle d'une génération qui saurait enfin réussir là où la génération précédente, "ce maillon entre deux grandes générations" a échoué, vouée à "remplir le blanc le temps que ceux d'après arrivent…"
Les petits de Décembre, Kaouther Adimi (Seuil – 256 pages – 18 €)
Extrait :
"Les trois enfants étaient collés les uns aux autres, leur manteau fermé jusqu'au cou, en train de conspirer et de rire. Dans l'esprit des gens, les enfants ne conspirent pas, les enfants ne luttent pas. Si un seul adulte dans ce pays imaginait trois secondes qu'un petit pouvait échafauder des plans, se battre contre un ordre établi ou quoi que ce soit dans le genre sans être manipulé ou poussé par un grand, voire un gouvernement étranger, les enfants seraient sur écoute, ils seraient suivis, ils seraient arrêtés. On créerait des camps spécialement pour eux."
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