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"Les roses fauves", nouveau roman de Carole Martinez : un conte de fées féministe

"Les roses fauves" de Carole Martinez est en lice pour le Prix Goncourt 2020.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La romancière carole Martinez (F. Mantovani / Gallimard)

Carole Martinez s'est fait connaître en 2007 avec son premier roman, Le cœur cousu, un roman fable qui racontait la vie de trois générations de femmes espagnoles. En 2011, elle a reçu le Prix Renaudot des Lycéens avec son second roman, Du domaine des murmures, en 2011, une histoire moyenâgeuse de jeune femme emmurée dans un château. Après La terre qui penche (Gallimard, 2015)  Carole Martinez poursuit son œuvre romanesque en forme de contes merveilleux avec Les roses fauves, son quatrième roman, paru le 20 août aux éditions Gallimard, qui narre l'histoire d'une lignée de femmes espagnoles au destin à la fois passionné et tragique.

L'histoire : La narratrice est écrivaine. Après la parution de son premier roman, Le cœur cousu (Gallimard 2007), une lectrice lui a raconté une coutume espagnole ayant cours autrefois en Andalousie. Quand une femme sentait la mort approcher, elle fourrait dans un coussin en forme de cœur des petits morceaux de papiers sur lesquels elle confiait les secrets amassés tout au long de sa vie. Ce cœur cousu était ensuite confié à sa fille aînée, avec interdiction formelle de l'ouvrir.

L'écrivaine décide de faire de cette histoire un roman, en racontant l'histoire de Lola, une postière boiteuse d'un petit village breton du pays gallo, solitaire et passionnée de jardin. La jeune femme tient le bureau de poste, écoutant d'une oreille distraite les commères du village qui viennent là papoter tous les jours dans la salle d'attente de la poste, mais ne se lie avec aucune. Lola n'a ni amis ni amoureux. La seule échappée qu'elle s'autorise dans sa vie austère est son jardin, amoureusement entretenu, dans lequel elle a réservé un espace sauvage, laissé aux ronces, rempart entre elle et le monde extérieur. Dans sa chambre, sur les étagères d'une grande armoire de noces reposent cinq cœurs en tissus de ses aïeules espagnoles, cinq cœurs qui "palpitent". Quels secrets contiennent-ils ? Que disent-ils de l'histoire familiale de Lola, criblée d'exils et de trous noirs ?

L'arrivée dans son village de l'écrivaine avec son désir de raconter des histoires achève le travail de l'usure du temps : l'un des cœurs se déchire, libérant les secrets de son aïeule, Inès Dolorès, femme au destin tragique et passionné, élevée dans un jardin coupé du monde, comme une fleur sauvage, frappée en même temps par l'amour et par la tragédie. Une tragédie qui n'empêcha pas Dolorès de prendre son destin en main. La jeune fille devint une femme libre, disposant comme bon lui semblait de son corps et de sa vie. Les révélations du cœur cousu de son ancêtre feront-elles sortir Lola de son buisson de ronces ? Feront-ils éclore comme ceux de son ancêtre le cœur, le corps et la vie de Lola ?

Conte de fées à l'envers

On retrouve avec ce nouveau roman la patte de Carole Martinez, experte en contes de fées. Les femmes y ont ici une fois encore le premier rôle. La romancière nous fait partager leur intimité, la force de leurs sentiments, leurs peines et leurs jouissances. Ici les femmes sont puissantes, et leur désir quand il déferle envahit tout l'espace de son parfum entêtant de roses.

Nouveauté, Carole Martinez coud ici son histoire de chapitres brodés à la première personne, qui mettent en scène une romancière se fondant allègrement dans le fil la narration romanesque en devenant à la fois l'amie, la confidente, et même la groupie de son personnage principal, le lecteur mis en présence du roman se faisant.

Même si les états d'âme et confidences de la romancière viennent parfois briser un peu la magie et la sensualité du récit, ce roman bien construit dresse le portrait de vraies héroïnes, des femmes libres et fortes que Carole Martinez choisit de dessiner dans la guimauve d'un genre habituellement versé dans les stéréotypes. Une méthode qui fait mouche. Avec ce nouveau roman, la romancière est en lice pour le Goncourt 2020. A suivre…

Couverture du roman "Les roses fauves", de Carole Martinez, août 2020 (GALLIMARD)

Les roses fauves, de Carole Martinez (Gallimard – 347 pages – 21 €)  

Extrait :  

"Sacrilège

Nous vidons le cœur déchiré, que la tige de rose brodée ne muselle plus, sur le couvre-lit de soie au milieu des oiseaux fabuleux. J’aide Lola à déplier les vieux morceaux de papier qu’une petite écriture serrée noircit. Beaucoup de ces feuillets sont numérotés. Nous les empilons pour les lire dans le bon ordre en laissant de côté ceux qui n’entrent pas dans cette chronologie décidée par l’aïeule. Pourquoi numéroter des pages si elles ne sont pas destinées à être lues ?
L’écriture est soignée, très lisible bien que minuscule, mais quelques feuillets, rédigés d’une main tremblante, seront plus difficiles à déchiffrer. Les mots y sont jetés. Les phrases, écrites au fil de la plume, semblent avoir jailli face à l’abîme comme s’il fallait que l’aïeule se saigne de ses derniers secrets avant de mourir. Nous décidons de les lire en dernier et nous plaçons tout à la fin le plus balbutiant de tous qu’une écriture différente achève.
Il y a aussi, dans le lot, deux pages d’une vieille encyclopédie des plantes et un petit cœur de tissu brun. En le palpant, Lola devine qu’il contient des graines. Ce détail la bouleverse plus que le reste. Onze coups retentissent.
- Je déroge à toutes mes habitudes ce soir, s’étonne Lola. J’ai toujours été très ponctuelle : au onzième coup, je suis dans mon lit avec un livre.  
- Ce cœur, c’est presque un livre !
Assises l’une contre l’autre sur le petit tapis bleu, adossées au pied du lit, nous nous regardons en silence et buvons une bonne rasade de calva avant de nous plonger dans la lecture du cœur déchiré." (Les roses fauves, page 72)  

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