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"Les Trois Mousquetaires" : manga, roman, BD, abrégé... comment un film familial à gros budget profite à l’édition

La sortie le 5 avril du premier volet du film "Les Trois Mousquetaires", est à l'origine de la parution en librairie d’une kyrielle de livres, romans, rééditions “collector”, BD, abrégés, un manga ou encore une “novellisation”. Pourquoi les éditeurs misent-ils sur le cinéma ? Franceinfo a enquêté pour comprendre comment la sortie d’un film peut bénéficier au secteur de l’édition, et à la mise en valeur de textes patrimoniaux.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 16min
Couvertures des livres "officiels" publiés à l'occasion de la sortie du film "Les Trois Mousquetaires", de Martin Bourboulon, avril 2023 (FLAMMARION/ CASTERMAN / PATHE FILMS)

Les Trois Mousquetaires - D’Artagnan, réalisé par Martin Bourboulon sort le 5 avril 2023 au cinéma. Adapté du merveilleux roman de Dumas, doté d’un gros budget (72 millions d’euros, le plus grassouillet du cinéma français pour l’année 2023) et d’un casting de luxe (François Civil, Eva Green, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Louis Garrel...), le film a tout pour faire un succès public.

Il sera suivi par Milady, le second volet de la saga, attendu en décembre 2023. Cette double sortie au cinéma s’accompagne de la parution de plusieurs livres, des rééditions, un poche, une édition de luxe  "collector", mais aussi des formats plus inattendus, comme un manga ou une “novellisation” du film, proposés dans le cadre d’un partenariat entre un groupe d'édition Madrigall, et la production du film, Pathé-Films.

"On doit en être !"

“Quand nous avons entendu parler du projet de ce film, un film familial, qui rassemble toutes les générations, et respectueux de l’œuvre et de l’esprit de Dumas, nous avons pensé qu’il était proche dans ses intentions de l’ADN de Flammarion Jeunesse, en accord avec notre politique éditoriale, qui propose de faire découvrir ou redécouvrir des textes classiques aux enfants de manière attractive", commence Céline Vial, éditrice chez Flammarion Jeunesse.   

“C’était un projet avec une forte ambition, une volonté de faire quelque chose de spectaculaire, de bien produit, de bien réalisé, avec un casting de rêve. Il y avait une énergie autour de ce projet, on s'est dit on a envie de participer à ça, on doit en être !”, se souvient Céline Vial.

“C’est un énorme film, un des plus gros budgets du cinéma français de l’année, et notre groupe,  Madrigall est le partenaire exclusif de Pathé Films pour toute la partie éditoriale”, se réjouit Gaétan Akyuz, qui s’est occupé chez Casterman de ce projet. Deux maisons d’édition du groupe, Casterman et Flammarion Jeunesse, ont ainsi proposé chacune dans le cadre de ce partenariat deux projets éditoriaux.  

D’un roman à l’autre  

“Notre idée, comme celle du film d’ailleurs, c'était remettre en avant les fondamentaux de Dumas, les valeurs de l'œuvre, qui sont aujourd’hui toujours actuelles", explique Céline Vial. "Chez Flammarion Jeunesse, nous avons à cœur de montrer la modernité, l'actualité des œuvres classiques, de montrer que les classiques parlent à toutes les époques”, assure l’éditrice, qui a choisi d'éditer dans ce projet deux ouvrages de formes très différentes : un abrégé, et une “novellisation” du scénario du film, autrement dit un roman, adapté d’un scénario lui-même adapté du roman de Dumas.   

“Mon premier réflexe quand on m’a proposé le projet", se souvient Christine Féret-Fleury, autrice de l’adaptation en roman du film, "cela a été de me précipiter vers ma bibliothèque pour relire Les Trois Mousquetaires, que je n’avais pas relu depuis 20 ans. Mais au bout de quelques pages, je me rendu compte que j’allais être pétrifiée par le respect dû à Dumas, et j'ai refermé le livre. Je crois que ce n'était pas la bonne méthode. Cela m’aurait totalement paralysée de repartir du texte de Dumas”, raconte l’autrice. “Je me suis donc appuyée uniquement sur le film, que j’ai vu plusieurs fois, dès la phase de montage”, relate l’écrivaine.   

“Je me suis inspirée vraiment du scénario, des images, de la dynamique du film, qui est quand même assez différente du roman de Dumas. Donc je me suis plutôt fait l’interprète d’un interprète. Je suis partie d’une interprétation, pour en donner mon interprétation”, explique Christine Féret-Fleury, qui confie avoir pris beaucoup de plaisir dans cet exercice inédit.

"J’ai retranscrit ce que j’ai vu, senti, éprouvé en tant qu’écrivain, en voyant ce film”

Christine Féret-Fleury, autrice

à franceinfo

Que reste-t-il de Dumas après toutes ces adaptations ? Pour Céline Vial, les deux projets sont clairement différenciés. “On a d'un côté l'abrégé, qui est uniquement du Alexandre Dumas -et c'est vraiment un abrégé très puriste- et de l'autre le roman du film, fidèle au scénario. Il reste donc dans la novellisation la fidélité du scénariste à l'œuvre originelle. Dans les répliques du film, par exemple, qui sont aussi dans la novellisation, on retrouve vraiment les mots de Dumas”, assure Céline Vial.   

“On boucle la boucle”, s’amuse l'éditrice. “Notre choix est d'avoir fait paraître une version abrégée de l'œuvre avant la sortie du film pour offrir la possibilité aux enfants de découvrir le roman avant de voir le film, et ensuite de retrouver la magie du film avec cette novellisation du scénario, ce qui ne l'empêchera pas non plus de venir ou de revenir ensuite au texte de Dumas".

“Génial et indigeste” 

“Au départ, on a un roman, un roman au 19e. Ce roman, il a été adapté une multitude de fois en série, en film, en France, aux États-Unis...  Il fait 600 pages, c’est à la fois génial et indigeste à lire en une fois !”, explique de son côté Gaétan Akyuz, chez Casterman. “C’est d'une richesse, d'une densité absolument folle, et même en termes de péripéties, il se passe énormément de choses dans Les Trois Mousquetaires. C’est une véritable saga, un feuilleton, et c’est d’ailleurs comme ça que ça a d’abord été publié, sous forme de feuilleton dans les journaux. Or, il se trouve que nous, en bande dessinée, on vient de là, on vient de la tradition du feuilleton. Donc ce projet, on l’a accueilli très favorablement”, poursuit l’éditeur.   

“Ce que l’on aurait pu proposer, qui aurait été le plus simple et le plus évident pour la BD officielle du film, c’est de faire un album franco-belge avec un dessin réaliste qui suit de manière littérale le scénario, mais cette option manquait de notre point de vue d'ambition artistique", estime l’éditeur, qui a préféré faire d’autres choix.   

“Une adaptation oui, mais dans le genre de bande dessinée contemporain le plus repéré, le plus apprécié par le lectorat jeunesse, celui de Dumas : un manga”, explique l’éditeur. “Et plus précisément le shonen, qui est un manga qui s'adresse traditionnellement aux garçons. C’est un récit picaresque en forme de feuilleton, une quête initiatique avec jeune homme qui, à la fin de l'histoire, doit en savoir plus qu'il n'en savait au départ. Or qui est D’Artagnan? Un jeune homme de 18 ans, fauché, qui vient de Gascogne à la capitale, et qui rêve d'accomplissement... On voit bien que l'on est très proche du shonen !”. 

“Je pense que Dumas a écrit sans le savoir le premier manga shonen de l’histoire”

Gaétan Akyuz, éditeur Casterman

à franceinfo

Nejib au scénario et Cédric Tchao au dessin se sont attaqués à ce monument, main dans la main. “Le manga est basé sur des constructions extrêmement précises, des montées et des descentes, et ce qui est génial, c’est qu’il y a plein d'effets comme ça dans Les Trois Mousquetaires, avec un récit plein de suspense, qui alterne des moments d’errance et des scènes d'action, des climax... Le manga est basé sur cette espèce de rhétorique visuelle”, explique Gaétan Akyuz.

"Les Trois Mousquetaires Tome 1 - D'Artagnan" (Manga) de Néjib (scénario) et Cédric Tchao (dessin), page 41 (CASTERMAN)

Les deux auteurs ont ainsi travaillé pour adapter le scénario selon ces codes du manga, proches de la manière d’écrire de Dumas. “Il fallait aussi faire rentrer tout ça dans un format, celui du manga, 13-18, 200 pages, une jaquette, une sous-jaquette, et des pages en noir et blanc, donc c’était très contraint, mais c'est ça aussi qui était assez génial”,  s’enthousiasme l’éditeur.   

"Le défi pour nous était de proposer quelque chose d’inédit artistiquement, tout en produisant clairement -on ne va pas se cacher derrière notre petit doigt-, une bande dessinée officielle, qui a vocation à bénéficier du succès d’un film”

Gaétan Akyuz, éditeur Casterman

à franceinfo

Gags et gros nez

Les éditions Casterman ont souhaité faire un autre “pas de côté”, avec leur deuxième projet, “qui n'est pas du tout une adaptation pour le coup du scénario du film”, mais un album de gags, gros nez, parodique, “un autre standard de l'édition, ce bon vieil album, 48 pages, cartonné, couleur, en vente dans toutes les bonnes librairies” s’amuse Gaétan Akyuz. “On est une maison d'auteurs, on travaille sur le temps long, et donc on essaie de faire les choses en mettant toujours les auteurs au centre de la création”, précise l’éditeur. “On a donc choisi de proposer ce projet à Gilles Rochier, un auteur que l’on connaît, avec lequel on travaille déjà, un auteur qui a plus d'un tour dans son sac, mais qui, si vous le connaissez, n'était pas dans sa zone s'expression habituelle”.   

“Au départ, ça a commencé avec un message énigmatique sur mon répondeur, de la part de l’éditeur, dans lequel il me demandait si je connaissais Dumas, et rien d’autre. J’avoue que cela a piqué ma curiosité” , se souvient Gilles Rochier, connu pour ses albums autobiographiques à caractère social.

“Je ne suis pas un très grand lecteur, mais là je me suis 'retapé' les trois épisodes des Trois Mousquetaires et je dois dire que ça a été un bonheur de vivre pendant tout ce temps avec eux, et avec Dumas”

Gilles Rochier, auteur, dessinateur de BD  

à franceinfo

“Avec ce projet, j’ai pu concilier deux passions, la BD, et l’observation du quotidien” confie Gilles Rochier. Et c’est en effet une chronique du présent déroulée à travers les aventures des Trois Mousquetaires que brosse Gilles Rochier. “C’était assez marrant de faire de Porthos un personnage stigmatisé, de faire peser sur Athos une charge mentale, et puis pour le personnage de Milady, je me suis amusé à faire le grand écart entre Simone de Beauvoir et Sandrine Rousseau”, sourit-il.

"Les Trois Mousquetaires tome 1 - D'Artagnan dans la place"
de Gilles Rochier (Scénario) et Fabrice Erre (dessin), page 33 (CASTERMAN)

“Je me suis rendu compte que le roman est très trash, avec des vrais moments de violence, de douleur, et donc il n’y avait pas tellement besoin de grossir le trait”, assure-t-il. “Et j’ai travaillé avec Fabrice Erre au dessin, qui est historien, c’était très rassurant”, explique Gilles Rochier, qui a glissé dans la bouche des personnages de Dumas les mots d’aujourd’hui, ceux de sa langue de titi de banlieue.   

360°

“Nous avons été complètement laissés libres par la production du film”, assure Gaétan Akyuz. “On nous a juste demandé de respecter les températures de couleur du film” , précise Gilles Rochier. “C’est une super expérience, et puis quand même, c’est la première fois que je vais avoir un album vendu en supermarché !”, se réjouit l'auteur de bande dessinée.  

Les deux albums ont été tirés à 40 000 exemplaires. “C’est un des enjeux commerciaux majeurs de la maison pour cette année”, confirme Gaétan Akyuz. Une opération marketing ? “Je ne suis pas vraiment un spécialiste de ces questions, disons, du potentiel commercial d’un tel partenariat, mais ce qui est certain, c'est que ce film est bien le point de départ d’une action éditoriale, et que le partenariat est très certainement envisagé au départ en termes de marketing, pour servir la visibilité de la marque du film. Il est évident que pour la production du film, c’est envisagé vraiment comme du 360°. Ils ont des partenariats médias, commerciaux puissants, un partenariat avec Intermarché par exemple. Nous dans ce dispositif, nous sommes la déclinaison éditoriale. L'essentiel pour eux c'est de pouvoir “brander” le plus possible, c’est certain." admet Gaétan Akyuz. 

"Il y a une réciprocité : la visibilité des livres peut faire un peu pour la visibilité du film. Et bien entendu la visibilité du film fait beaucoup pour les livres”

Gaétan Akyuz, éditeur chez Casterman

à franceinfo

Une réalité que la maison a déjà pu constater. Les deux albums, sortis le 15 mars, ont déjà démarré très fort en librairie, avant même la sortie du film.  

“Pour notre maison d'édition, c'est aussi un des projets ambitieux de l'année, parce que c'est une façon de toucher un large public, moins familier peut-être avec le roman jeunesse”, précise de son côté Céline Vial chez Flammarion Jeunesse. “Les ponts entre le cinéma et l'édition jeunesse sont relativement réguliers, à travers des adaptations de livres en films, en séries ou en animés, et inversement l'adaptation de films en livres, c'est une vraie interaction entre les différents supports qui est hyper intéressante. Mais là, le côté inédit qui nous titillait, c'est que l’on pouvait apporter avec cette novellisation un guidage, un accompagnement, une passerelle supplémentaire pour aider les enfants à passer plus facilement de l’écran au livre, et ensuite peut-être à Dumas”, espère l’éditrice.  

“Il faut dire que pour un enfant aujourd'hui, se plonger directement dans l'œuvre de Dumas, c'est ardu”

Céline Vial, éditrice chez Flammarion Jeunesse

à franceinfo

“Le fait de mettre en images des œuvres classiques, ça permet de les rendre vivantes, et cela permet aux jeunes lecteurs d'être moins intimidés par l'œuvre et par l'objet livre. Cela peut les pousser vers le texte”, poursuit Céline Vial. “C'est aussi notre travail en édition jeunesse. Quand on veut mettre en avant une œuvre classique, on essaie de la rendre accessible, ne serait-ce que visuellement, dans une collection de littérature jeunesse, avec une couverture jeunesse, on essaie de dire aux enfants, vos codes parlent avec le texte”, souligne l’éditrice, qui explique certaines réticences des enfants par le fait que “le livre semble ne pas leur être destiné”.   

“La lecture est une autre occupation, plus solitaire que le cinéma, qui est plus familial, plus collectif, plus collaboratif, et je pense que le va-et-vient entre ces deux activités est hyper intéressant”, conclut Céline Vial.

- Les Trois Mousquetaires Tome 1 - D'Artagnan (Manga)
de Néjib (scénario) et Cédric Tchao (dessin)
(Casterman, 200 p., 7,95 €)

- Les Trois Mousquetaires tome 1 - D'Artagnan dans la place (BD)
de Gilles Rochier (Scénario) et Fabrice Erre (dessin)
(Casterman, 48 p., 9,95 €)

- Les Trois Mousquetaires Tome 1 - D'Artagnan (roman, novellisation du film) de Christine Féret-Fleury, d’après le chef-d'œuvre d’Alexandre Dumas
(Flammarion, 250 p., 14 €, à partir de 9 ans)

- Les Trois Mousquetaires, (abrégé)
de Pierre Laporte, d’après Alexandre Dumas
(Flammarion Jeunesse, 368 pages, 15 €, à partir de 9 ans)

- Les Trois Mousquetaires , d’Alexandre Dumas (intégral, format Poche)
(Hugo Poche, 928 p., 8,90 €)  

- Les Trois Mousquetaires , d’Alexandre Dumas (Edition de luxe)
(Larousse, 800 p., 25 €)

- 150 énigmes des Trois Mousquetaires, (Livre jeu)
de Gilles Saint-Martin
(Larousse, 192 p., 10,95 €, à partir de 3 ans)

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