"Maïmaï", le dernier roman d'Aki Shimazaki, reine de la "pentalogie"
"Maïmaï", (Actes Sud) d'Aki Shimazaki raconte l'histoire de Tarô, jeune homme sourd et muet dont la vie est bouleversée par la mort de sa mère, la belle Mitsuko, entraîneuse et libraire. On connaissait déjà ces deux personnages, présents dans d'autres épisodes de "L'ombre du chardon", cycle clôturé par ce 5e et ultime opus. Une troisième "pentalogie" qui finit par imposer un genre.
L'histoire : le roman ouvre sur la mort de Mitsuko, personnage central du premier volet de ce cycle. La belle entraîneuse et libraire a succombé à une crise cardiaque, laissant orphelin Tarô, son fils unique et muet. Le garçon désormais adulte est devenu mannequin. Il a une petite amie, Mina, un brin superficielle, qu'il aime avec réserve. A la mort de sa mère, Tarô décide de revenir vivre dans la maison où il a grandi, pour ne pas laisser seule sa grand-mère. A la suite de la mort de sa mère, Tarô apprend que Mitsuko n'était pas seulement libraire, mais aussi entraîneuse dans un bar pour subvenir aux besoins de la famille. Rien, en revanche sur ce mystérieux père espagnol que la mère a toujours remisé dans le flou.
Secrets de famille
Ce décès fait aussi réapparaître dans la vie du garçon Hanako, son amie d'enfance, venue pour lui présenter ses condoléances. A son grand étonnement, la jeune femme maîtrise parfaitement la langue des signes. Dès les premiers instants des retrouvailles Tarô retombe sous le charme. Les deux jeunes gens ne tardent pas à s'avouer leur amour et décident de se marier. Puis, coup de théâtre, la mère d'Hanako fait un malaise en apprenant la nouvelle. Cette femme si douce et gentille avec Tarô quand il était enfant s'oppose catégoriquement, et sans explications, à ce mariage… La romancière traite cette histoire digne d'une tragédie grecque avec un mélange de sensualité et de retenue toute japonaise.
Avec l'ultime roman du cycle "L'ombre du chardon", la romancière explore le poids des secrets intimes, les mystères et la force du désir, les tabous sexuels, les carcans sociaux… Tous ces fardeaux qu'il faut porter sur son dos, comme le maïmaï (escargot en japonais) sa coquille, dont la forme évoque le cycle infini de la vie. La nature est là, comme toujours dans l'œuvre de Shimazaki, et plus généralement dans la culture japonaise, comme élément structurel ou comme écho aux turpitudes de l'âme humaine.
Maïmaï, maïmaï, / Où vas-tu si lourdement ? / Que portes-tu dans ta maison si grande ? / Un chagrin ou un fardeau, ou bien les deux ? / Ah, tu ne peux qu'avancer, comme la vie ! Bon courage, maïmaï ! Adieu !
Aki ShimazakiMaïmaï, page 11
L'art de la pentalogie
Après Azami (2015), Hôzuki (2016) Suisen (2017), et Fuki-no-tô (2018), Aki Shimazaki clôt avec Maïmaï sa troisième "pentalogie", des cycles romanesques construits en cinq volets. Un nombre qui convient bien à la romancière puisque ses deux premiers, Le Poids des secrets, et Au cœur du Yamato comportaient également 5 épisodes chacun. La construction est habile, de telle manière que les romans, tous courts et denses, peuvent se lire séparément et dans le désordre, tout en construisant un tout cohérent. Les différentes facettes d'une même histoire, attrapée par un bout puis par l'autre, donnent au récit un relief étonnant.
Comme pour chacun de ses cycles, Aki Shimazaki choisit de nous raconter un monde, ses protagonistes, ses lieux, en plaçant sa caméra 5 fois dans des temps et dans des lieux différents. A l'instar du Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell, qui raconte la même histoire à travers quatre récits subjectifs de quatre protagonistes différents, les ensembles romanesques d'Aki Shimazaki ressemblent à des variations musicales.
La langue française en mode japonais
Chez Shimazaki, le point de vue ne se déplace pas seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. Le passé éclaire le futur, et inversement. Ce qui était caché ou en arrière-plan dans un épisode, passe au premier plan dans l'autre, et ainsi de suite. La romancière ne s'encombre d'aucune contrainte dans le déroulement de ce processus, un peu comme dans la vie les péripéties ne suivent jamais un plan préconçu. Cette méthode a l'avantage de construire un récit multidimensionnel, restituant dans toute sa profondeur le réel, cette chose vivante et plurielle que les mots tendent habituellement à figer. Chaque nouvel opus redistribue les cartes, offre un nouveau plan dans les perspectives offertes par la même histoire.
A cette construction romanesque vraiment passionnante s'ajoute une écriture singulière. Aki Shimazaki, installée au Québec depuis de nombreuses années, écrit en français. Elle est donc dans le processus d'écriture à la fois auteure et traductrice. Résultat : une langue limpide et sensible, qui éclaire singulièrement le monde. Heureux ceux n'ont pas encore lu les livres de cette romancière, et pour qui, donc, le plaisir est à venir.
Maïmaï, Aki Shimazaki (Actes Sud – 174 pages – 15 €)
Extrait :
"Par la fenêtre, je regarde le ciel entièrement dégagé. Au loin resplendit un arc-en-ciel. Rouge, orange, jaune, vert, bleu. Ses couleurs vives me rappellent les fleurs d'hortensia, que je peins souvent, surtout pendant la pleine floraison.
Captivé par ce spectacle de la nature, j'oublie un moment le sérieux de la situation. Je me répète : 'Maman est morte ? Comment est-ce possible ? A-t-elle eu une crise cardiaque ?'"
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