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"Mauvais sang ne saurait mentir": Walter Kirn, un romancier sous influence

Le romancier Walter Kirn a croisé sur son chemin un vrai psychopathe. Il raconte cette histoire dans "Mauvais sang ne saurait mentir" (Bourgois), un roman qui explore la psychologie d'un grand mythomane, condamné pour meurtre en 2013. Le romancier tente de comprendre les mécanismes qui l'ont conduit à croire celui qui se faisait passer pour un Rockefeller. Recommandé par Ellroy.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Walter Kirn, romancier auteur de "Mauvais sang ne saurait mentir" (Bourgois)
 (ATLASPRESS/MAXPPP)
L'histoire : en 1998, le narrateur (Walter Kirn lui-même) fait le voyage entre le Montana (où il réside avec sa femme) vers New York, pour livrer une chienne paralysée à un homme qu'il croit être un membre de la richissime famille Rockefeller. Clark, c'est comme ça qu'il se fait appeler, le reçoit dans son appartement et lui montre les tableaux de maître dont il est propriétaire.

Walter Kirn est sous le charme, certain qu'il pourra se servir dans un prochain roman de ce personnage romanesque. Après cette première rencontre, il côtoie Clark pendant de longues années, sans jamais se douter de rien. Pourtant,  l'homme à qui il a affaire se nomme en réalité Christian Gerhartsreiter. Il est Allemand et n'en est pas à son premier changement d'identité… Walter Kirn découvre comme tout le monde l'imposture en 2008. Non seulement Clark Rockefeller n'est pas un Rockefeller, mais il est aussi accusé du meurtre de John Sohus, disparu avec sa femme en 1985, son cadavre retrouvé en 1994 dans le jardin d'une maison en Californie, maison où avait vécu un certain Christian Gerharsreiter…

Romancier sous influence

Le roman de Walter Kirn reprend rétrospectivement toute l'histoire, de son point de vue à lui. Il entremêle à son récit celui du procès, auquel il a assisté. Il raconte aussi les dernières entrevues qu'il a eues avec Christian Gerharsreiter en prison. Ce que le journaliste romancier explore en faisant de ce fait divers un roman, c'est autant les mystères d'un homme passablement dérangé, que sa propre crédulité, sa propre fascination.

Comment a-t-il pu être aussi naïf ? Pourquoi n'a-t-il pas vu ce qui était énorme et gober sans broncher à ce point les élucubrations de son ami ? Fascination pour la richesse ? Désir de s'approcher du pouvoir, ou d'une classe qui l'a méprisé quand il était étudiant à Princeton? Ou bien est-ce la dimension romanesque de ce personnage qui attire comme un aimant ses appétits de romancier ?

L'âme humaine disséquée

Walter Kirn décortique les mécanismes de la folie, mais aussi ce qui rapproche cette forme de folie (mythomanie) du travail de romancier. Christian Gerharsreiter puise d'ailleurs l'inspiration pour construire ses personnages dans la littérature et dans le cinéma. Des détails que Walter Kirn prend un certain plaisir à démasquer a posteriori, une fois l'imposture levée.

Partant du réel, d'une écriture efficace, Walter Kirn fait un voyage dans l'âme humaine, dans celle du fou et dans la sienne, sans concession, avec humour, une peinture de la société américaine des années 80 jusqu'à aujourd'hui en toile de fond. Un roman "éblouissant", selon Ellroy. On signe.
 
Mauvais sang ne saurait mentir Walter Kirn, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille (Christian Bourgois - 265 pages - 21 euros)

Extrait :

"Quand le menu canin commença de sortir du télécopieur, je fus convaincu du sérieux de ses intentions.
2 tasses de riz complet cuit
1 légume vert (en général une courgette) finement broyé au robot
1 légume orange (en général une carotte) finement broyé au robot
1 gousse d'ail finement broyée au robot
1 à 2 livres de bœuf persillé haché cru au robot juste avant de servir
Ou 1 à 2 livres de dinde ou de poulet cuit haché
Ou  1 boîte de saumon
1 pincée de poudre de varech, 1 c. à soupe de levure de bière, 1 pincée de cendres d'os, 2 c. à soupe de germe de blé, un peu de gelée royale.
Tout en lisant ce document aussi farfelu que méticuleux, je décidai de rencontrer Clark en chair et en os si l'occasion m'en était donnée. En tant que romancier, j'aurais commis une faute professionnelle en m'abstenant."

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