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"Molécules" : un polar décalé et ludique signé François Bégaudeau

François BĂ©gaudeau Ă©gaye la rentrĂ©e littĂ©raire avec un polar bien ficelĂ© et drolatique. "MolĂ©cules" (Verticales) raconte une enquĂȘte sur le meurtre d'une infirmiĂšre. Ecriture au cordeau et dialogues savoureux servent ce bon petit roman de la rentrĂ©e 2016.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 1min
François Bégaudeau publie "Molécules" (Verticales)
 (C. Helie)
L'histoire : 1995. JuppĂ© fait passer sa loi sur les retraites et Khaled Kelkal est en cavale. Jeanne, la quarantaine, travaille Ă  Annecy dans un Ă©tablissement pour handicapĂ©s mentaux. Elle coule des jours heureux entre Charles, un mari pharmacien plus ĂągĂ© qu'elle, et LĂ©na, sa fille de 16 ans, jusqu'au jour oĂč un voisin dĂ©couvre son corps devant la porte de l'appartement familial, "une plaie bĂ©ante au cou et les joues lacĂ©rĂ©es". Le capitaine Brun, perpĂ©tuellement enrhumĂ©e est chargĂ©e de l'enquĂȘte, qu'elle mĂšne avec professionnalisme et l'aide du brigadier Calot "cĂ©libataire et peu festif" (et fĂ©ru de statistiques).

Avec ce nouveau roman, François BĂ©gaudeau, auteur touche Ă  tout d'"Entre les murs" (Verticales, 2006), revisite le genre policier : on y retrouve les codes et les typologies de personnages, mais dĂ©calĂ©s. MĂȘme le suspense s'invite quand on ne l'attend plus.

Le romancier s'amuse Ă  baptiser ses personnages avec toutes sortes de noms empruntĂ©s aux grandes affaires criminelles (un docteur Romand en expert mĂ©dico-psychologique, une Marie-CĂ©cile Agnelet en prĂ©sidente de tribunal 
 ) ou Ă  des Ă©missions cultes appartenant au mĂȘme genre (le meurtrier s'appelle Bourrel, comme le commissaire de la sĂ©rie les Cinq derniĂšres minutes
). C'est un peu gros, mais c'est ludique. 

"Et la voix ? OĂč part la voix quand tout se consume"

En parallĂšle de l'enquĂȘte dĂ©crite avec une prĂ©cision de lĂ©giste, BĂ©gaudeau questionne le lecteur sur la mort, que  le mari et la fille de la victime doivent affronter. Un gouffre de mystĂšre et de douleur. Pendant que le corps de sa mĂšre se dissout dans les flammes de l'incinĂ©ration, LĂ©na s'interroge :

"OĂč partent les pensĂ©es les sentiments ? Maman aimait les sorbets au cassis, ça part oĂč ? Son rĂȘve de camping-car ? Papa disait : trop encombrant. Maman : au contraire on bivouaque oĂč on veut. La discussion revenait souvent, que soldait un silence plus ou moins lourd. Le souvenir de cette discorde brĂ»lera en mĂȘme temps que le foie et les yeux. Les yeux brĂ»lent sans douleur. Et la langue sans cri. Et la voix ? OĂč part la voix quand tout se consume ? Son timbre voilĂ©, fluet."

"Molécules, page 57Ces interrogations métaphysiques et tragiques n'alourdissent pas un récit déroulé par petits épisodes, scénettes construites en escalier, et émaillées de gags. Le ton est clairement installé dans l'ironie et l'humour noir, la langue travaillée à la maniÚre des "Exercices de style" de Queneau.

Habité par des personnages bien dessinés et rythmé par des dialogues sautillants, "Molécules" est un roman distrayant de cette rentrée 2016. L'auteur signe également le scénario de "Wonder" (Delcourt, septembre 2016), une BD qui raconte l'émancipation d'une jeune ouvriÚre en pleine révolution de mai 68.
 
"MolĂ©cules", François BĂ©gaudeau (Verticales – 250 pages – 19,50 €)

Extrait :
"Le photographe s'accroupit pour cadrer serrĂ© Jeanne Deligny. Les trois premiers clichĂ©s le laissent insatisfait. L'angle optimal se cherche encore. Pourtant les visages c'est ce qu'il prĂ©fĂšre shooter. Il n'a pas dĂ©jeunĂ©, c'est sa faim qui le dĂ©concentre. Il s'Ă©carte pour que le capitaine Brun examine de prĂšs la plaie bĂ©ante au cou et les joues lacĂ©rĂ©es. À premiĂšre vue, trois fois une joue, deux fois l'autre. À confirmer. Un sillon monte jusqu'Ă  la tempe, un second balafre le front. Sans cela elle serait jolie. L'Ă©tait il y a une heure. L'est encore malgrĂ© les yeux exorbitĂ©s de qui s'est vu mourir."

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