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Pierre Lemaître offre à ses lecteurs son premier roman, un polar : "Le serpent majuscule"

"Le serpent majuscule", publié aux éditions Albin Michel le 6 mai, a été écrit en 1985 et "jamais envoyé à un éditeur". Ce premier roman de Pierre Lemaitre, qui raconte l'équipée sauvage d'une vieille tueuse à gages amnésique, porte déjà en germe la patte du Goncourt 2013.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Portrait de l''écrivain Pierre Lemaitre, juillet 2019 (PHOTOGRAPHER: SAMUEL KIRSZENBAUM)

Pierre Lemaitre n'écrira plus de polars, et c'est en quelque sorte pour dire au revoir à ses lecteurs de la première heure, ceux d'avant Au revoir là-haut, les amateurs de ses romans noirs, qu'il s'est décidé à publier son premier roman, écrit en 1985 et "jamais adressé à un éditeur". Le serpent majuscule (Albin Michel) est en librairie depuis le 6 mai.

"Ce qui me laisse une impression pénible, c'est d'être parti sans prévenir. De n'avoir, en quelque sorte, dit au revoir à personne, ce qui n'est pas mon genre."

Pierre Lemaitre

"Le serpent majuscule", avant-propos

L'histoire : Mathilde n'est plus toute jeune. Avec sa panoplie de parfaite retraitée tranquille au prestigieux passé de résistante –une maison en banlieue, une Renault 25, un chien, et un peu d'embonpoint- il ne viendrait à l'idée de personne que la vieille dame est une redoutable tueuse à gages : "jamais une balle plus haute que l'autre, du travail propre et sans bavures". Les ordres lui arrivent toujours de la même manière, via son ancien camarade de résistance, Henri Latournelle, et les contrats sont exécutés à la lettre, selon un protocole minutieux, auquel il est déconseillé de déroger.

Mathilde et Henri, qu'on appelle le commandant parce qu'il a autrefois dirigé un réseau de résistance dans le Sud-Ouest, ont vécu ensemble le pire comme le meilleur pendant la guerre. Ils se sont éloignés, mais jamais perdus de vue. Mathilde s'est mariée avec un médecin, puis l'a perdu. Elle n'a jamais oublié l'attraction qu'exerce sur elle Henri et c'est avec enthousiasme qu'elle a accepté au début des années 60 la proposition d'Henri de travailler pour lui. Pour quelle organisation ? Le roman n'en dit pas plus, mais ça sent le travail de barbouze… Jusque là, Mathilde a parfaitement exécuté toutes ses missions, mais depuis quelques temps, Henri s'inquiète. Le travail de Mathilde laisse à désirer…

Boucler la boucle

Si Le serpent majuscule sent bon les années 80 - cabines téléphoniques, Stéphanie de Monaco, le 20h00, Platini…- il porte aussi la patte du Goncourt 2013. Lemaitre nous offre déjà une très belle galerie de personnages, qu'il dessine d'un trait, avec en premier chef Mathilde, aussi belle que féroce, femme forte et indépendante, gagnée par la vieillesse.

On retrouve aussi dans ce premier roman ce parfum de chronique sociale aux effluves d'anarchie, avec des thèmes qui lui sont chers, comme les rapports de domination, qu'il a largement déployés ensuite dans ses romans noirs, puis dans sa trilogie historique inaugurée avec Au revoir là-haut (plus d'un million d'exemplaires vendus), refermée avec Miroir de nos peines, en 2020.

Lemaitre s'attaque également ici, et c'est plus inattendu dans un polar, à la question de la fin de vie, du vieillissement, de l'affaissement des corps, mais aussi de l'esprit, qui n'épargne pas les héros. En écho au personnage de Mathilde, le romancier nous offre un portrait au masculin de la vieillesse à travers le personnage de Monsieur de la Hosseray, alias "Monsieur", un homme lui aussi plongé dans la confusion du grand âge, que visite tout au long du livre le jeune policier René Vassiliev.

"Les roman noir est fréquemment circulaire : une boucle narrative se referme sur elle-même. Aussi m'a-t-il semblé assez logique que mon dernier roman noir publié soit précisément… le premier que j'ai écrit."

Pierre Lemaitre

"Le serpent majuscule", avant-propos

Ce premier roman, un excellent polar bien sanglant, tient son lecteur en haleine de bout en bout, avec une construction irréprochable et une écriture incisive, teintée d'humour (on pense à Audiard). Mais il est aussi traversé tout du long par des questions laissées en suspens, des mystères irrésolus, et une sorte de mélancolie qui interroge le lecteur sur la vacuité du monde, et sur ce qui, arrivé au bout du chemin, compte vraiment dans la vie d'un homme, ou d'une femme. Un fort joli cadeau de Pierre Lemaitre à ses lecteurs.

Couverture du roman "Le serpent majuscule", de Pierre Lemaitre, mai 2021 (EDITIONS ALBIN MICHEL)

"Le serpent majuscule", Pierre Lemaitre (Albin Michel – 338 pages – 20,90 €)  

Extrait :

"Mathilde vient de manger des sardines. Elle n'y a pas droit, évidemment, mais c'est la récompense qu'elle s'offre après une mission réussie. Elle a toujours réussi ses missions. Elle termine de saucer l'huile en regardant la télévision. Elle trouve que le bonhomme était mieux en vrai que sur le portrait du journal TV. Mieux, du moins jusqu'à ce qu'elle intervienne. Elle regrette qu'on n'ait pas assez parlé de son teckel, on dirait que ça ne les intéresse pas, les chiens… Elle se lève lourdement et, tandis que les images agrandissent la trace de sang sur la chaussée, elle débarrasse sont bout de table." (Le serpent majuscule, page 39)

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