Cet article date de plus de cinq ans.

Prix Roman France Télévisions : "Dérangé que je suis", d'Ali Zamir, un "OVNI littéraire"

L'auteur comorien Ali Zamir emporte le Prix Roman France Télévisions 2019 avec "Dérangé que je suis", son troisième roman, publié aux éditions du Tripode. Un choix audacieux, pour un livre "à part", qui l'a emporté avec 9 voix au premier tour du scrutin. Comment les jurés font-ils leur choix ? Reportage dans les coulisses du Prix Roman France Télévisions.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'écrivain comorien Ali Zamir, Prix Roman France Télévisions 2019
 (Le Tripode)

Le roman d'Ali Zamir a été choisi par un jury de télespectateurs parmi les six romans sélectionnés par un jury de professionnels. "Dérangé que je suis" raconte l'histoire d'un docker pauvre, qui travaille chaque jour comme il peut pour se nourrir. Un jour, il croise une femme "qui ravage tout sur son passage"… Un roman écrit dans une langue d'une très grande richesse, lyrique, qui mêle la tragédie au comique pour raconter l'histoire d'un homme qui malgré la violence qu'il subit, va défendre jusqu'au bout son libre-arbitre.

 
Ali Zamir est né en 1987 aux Comores mais il vit en France. "Dérangé que je suis" est son troisième roman. Il a publié "Anguille sous roche" en 2016 (Le Tripode, Prix Senghor et mention spéciale du prix Wepler) et "Mon Étincelle" (2017). 

Pourquoi les jurés du Prix Roman France Télévisions ont choisi "Dérangé que je suis", d'Ali Zamir

Après un petit tour de table des présentations, les jurés sont invités par le président du jury, François Busnel, à défendre leurs choix. Et ils commencent tous par le même geste : plonger sous la table pour attraper dans leur sac le livre qu'ils ont préféré. Tous ont apporté avec eux leur chouchou. La couverture colorée du livre d'Ali Zamir, très vite, occupe le devant de la scène. "Pour moi l'objet livre est très important, et celui-là est vraiment beau, la couverture, la présentation", se lance Barbara. "Et puis j'ai adoré la richesse du vocabulaire, regardez !", dit-elle en montrant son exemplaire, sur lequel elle a noté des mots, "j'ai appris plein de nouveaux mots", dit-elle. "Moi aussi, j'ai aimé tous ces mots oubliés", ajoute Sybil.

"Alors moi j'ai fait une pile avec les livres en mettant au-dessus celui que j'avais le moins envie de lire. Et c'était celui d'Ali Zamir. Et en fait, passées les 16 premières pages, qui m'ont un peu désarçonnée, je l'ai lu d'un trait. C'est un livre qui m'a prise par surprise. C'est un livre à la fois lyrique et poétique, et je me suis beaucoup attachée au personnage, candide, qui pose sur le monde un regard d'enfant. J'ai été impressionnée par la richesse du langage et par la capacité du romancier à sauter du drame au comique. Il est fort parce que s'il était resté dans le registre dramatique cela aurait été insupportable, mais là il nous met dans sa poche", poursuit-elle.
 
"C'est un personnage qui m'a bouleversée", poursuit Farida. "Il est comme nous, il vit sous la pression sociale, le harcèlement sexuel, et ça nous montre qu'il y a aussi des hommes victimes, et il a le courage de continuer à vivre sa vie comme il l'entend. C'est un personnage courageux, qui reste libre jusqu'au bout. Si ce personnage existait dans la vie, alors il serait un modèle pour moi", confie Farida.
Prix France Télévisions, le vote des jurés
 (Culturebox)
"L'effet comique est très fort", poursuit Eric, "parce que c'est un drame, et raconter une telle vie de misère... C'est quand même un pays où les gens essaient de s'enfuir pour trouver une vie meilleure, et lui, il réussit à nous faire rire. Les dialogues parfois, c'est du Audiard". Fabrice qualifie ce roman d'"OVNI littéraire". "Ça ne ressemble à rien de ce que j'ai pu lire jusqu'ici. Je me suis entendu éclater de rire. C'est vraiment un écrivain à découvrir, qui dépote !", souligne-t-il. "Quand j'ai fini le livre, je me suis dit, c'est déjà fini ! J'aurais voulu que ça continue", poursuit Alexandre. "Il est jeune, il est Comorien, et il s'est réapproprié la langue française de manière extraordinaire", conclut Fabrice.

"Le roman est un lieu où peuvent se mettre d'accord des gens qui ne vivent pas du tout les mêmes vies"

Sans grande surprise, "Dérangé que je suis", d'Ali Zamir, est élu avec 9 voix dès le premier tour . "C'est assez rare", relève François Busnel, qui confie avoir trouvé les jurés 2019 particulièrement "curieux, sincères et vifs". "Ils ont défendu leur livre avec des arguments très forts. Et ils ont fait un choix audacieux, avec cette envie de défendre un auteur peu connu, et une petite maison d'édition", souligne François Busnel. "Ils ont évité tous les pièges d'un jury de lecteurs. C'est l'instinct et l'émotion qui ont primé sur l'analyse ou l'éloquence, et c'est pour cette raison aussi qu'il ont fait ce choix sincère et audacieux", se réjouit François Busnel.
Le jury du Prix Roman France Télévisions
 (Laurence Houot - Culturebox)
"C'est remarquable de voir comment un jury composé de profils aussi différents, médecin, réceptionniste, guide de montagne, bibliothécaire… des gens de professions et de géolocalisations aussi différentes se retrouvent dans un même livre. C'est bien la preuve que le roman est un lieu où peuvent se mettre d'accord des gens qui ne vivent pas du tout les mêmes vies. Et ils ont fait un très bon choix !", conclut François Busnel, qui a invité ce mercredi 13 mars Ali Zamir à la table de La grande Librairie, avec la lauréate du Prix Essai France Télévisions 2019 décerné à Valérie Zenatti, pour "Dans le faisceau des vivants"  (L’Olivier).

L'an dernier, le Prix Essai France Télévisions avait été décerné à Ivan Jablonka pour "En camping car" (Seuil) et le Prix Roman à Michel Bernard, pour "Le bon coeur" (La Table Ronde).

Les membres du jury Prix Roman France Télévisions 2019

Avant d'entrer dans le vif du sujet, c'est devenu un rituel,  François Busnel invite les jurés à un petit tour de table, chacun se présente et parle de son rapport aux livres. Difficile de résister à l'envie de partager ce moment, toujours émouvant, où des gens qui ne se connaissent pas, viennent d'horizons géographiques et professionnels complètement disparates, avec des vies très différentes, sont réunis autour d'une table pour parler de leur passion de la lecture.

Dalila Ait Ouamara, infirmière dans une unité de receveurs et donneurs de reins à Tenon:
"A l'hôpital, chacun vient avec un livre. Les livres pour moi c'est une histoire de partage".
Hélène, neurologue :
"J'habitais dans une petite ville où il n'y avait que des vieux, alors j'ai grandi avec des livres, j'ai dévoré la bibliothèque de mes parents sans discernement, et ensuite j'ai continué à lire comme ça, sans discernement".
Eric Fossart, 57 ans, guide de haute montagne dans les Hautes-Alpes :
"J'emmène toujours un livre avec moi à la montagne"
Fabrice Juery, réceptionniste de nuit :
"Je lis énormément et j'essaie de partager la lecture en participant à des actions dans les centres de détention, ou auprès d'associations qui luttent contre l'illettrisme.
Valentin Desgroisilles, étudiant en histoire :
"Je dévore de tout".
Sybil Lecoq, visiteuse médicale :
 "La lecture est une activité solitaire, mais le livre est fédérateur de rencontres".
Michel, ingénieur à la retraite : 
"Je suis un pur scientifique, mais je me soigne… avec les livres"
Farida Bouzid, responsable d'une maison de la jeunesse et des sports à Marseille
"Ce que je recherche dans la lecture : avant tout des émotions".
Barbara Krakenberg, professeure des écoles en classe de CM2 :
"Je n'ai jamais connu de périodes de ma vie sans un livre en cours de lecture et j'essaie de transmettre ma passion à mes élèves".
Marc Heim, formateur en communication :
"J'ai eu la chance d'être libraire pendant deux ans. Cela a été la période la plus heureuse de ma vie".
Isabelle Garric, consultante à Paris, ex-ingénieure dans l'agro-alimentaire :
"J'ai tout lâché pour le livre, ma passion. Aujourd'hui je suis consultante et je suis dans les livres 24h sur 24, et heureuse".
Evelyne, ancienne bibliothécaire :
"Je lis beaucoup, mais ce n'est pas le nombre qui compte, c'est le plaisir. J'ai toujours été pour la démocratisation de la lecture et donc quand j'ai arrêté d'être bibliothécaire pour suivre mon mari dans son projet d'entreprise, j'ai négocié de pouvoir continuer à garder les livres dans ma vie, et je me suis lancée dans les réseaux sociaux du livre".
Leslie, documentaliste dans un collège :
"J'ai un super souvenir de mon club de lecture quand j'étais moi-même collégienne, j'adore lire et je lis dans les transports, parfois je rate ma station".
Alexandre, courtier en assurances :
"J'ai toujours un livre avec moi, et maintenant je partage mes lectures sur Intagram".
Mireille Brochot, retraitée de la fonction publique à Chambeuf, Côte d'Or :
"Depuis que je suis à la retraite, je peux enfin lire en toute liberté, autant que je veux, et ce que je veux. C'est le bonheur !"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.