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Qu'est-ce qui motive les jurés d'un prix littéraire ? Réponses dans les coulisses du Prix Roman France Télévisions 2018

Ils sont 15, venus de toute la France, ils sont jurés et c'est avec passion qu'ils ont échangé mercredi 14 mars leurs points de vue sur les 6 romans parmi lesquels ils doivent choisir le Prix du Roman France Télévisions 2018. Nous avons assisté aux délibérations. En attendant l'annonce du lauréat, reportage dans les coulisses de ce prix décerné par un jury de téléspectateurs.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le jury du Prix Roman France Télévisions, 14 mars 2018
 (Laurence Houot / Culturebox)

Dans les ascenseurs de verre, le petit groupe s'élève vers le 7e étage de France Télévisions. Ils ont le sourire. Il faut dire qu'aujourd'hui c'est le grand jour. Il y a un mois, ils ont reçu 6 romans. La sélection du Prix Roman France Télévisions. Quelques semaines avant, ils avaient fait leur lettre, pour dire comment les livres comptent, dans leur vie. Et ils avaient été choisis pour être juré. Pour certains c'est une première. D'autres sont déjà des vieux briscards, même s'ils sont jeunes, avec une expérience dans d'autres prix littéraires.

Délibérations du jury Prix roman France Télévisions 2018
 (Laurence Houot / Culturebox)
Qu'est-ce qui les motive ? Pourquoi ils ont envie de participer à un jury littéraire ? Pour certains c'est l'envie de partager, pour d'autres c'est "sortir de sa zone de confort" (entendez découvrir de nouveaux auteurs), pour d'autres une occasion de confronter un point de vue, ou de conforter une émotion.

Ils s'installent autour d'une grande table dressée pour eux au dernier étage de France Télévisions. Comme au Goncourt, c'est autour d'un déjeuner que le jury va délibérer. Katia Martin, chargée des Livres à France Télévisions, leur explique tout. Ils sont prêts. On n'attend plus que le président du jury, François Busnel, présentateur de la Grande Librairie, qui arrive visiblement heureux de vivre une fois encore ce moment de partage avec les jurés."Commençons par un tour de table", commence-t-il pour ouvrir le débat. "Je vous propose de partager vos coups de cœurs".

Chacun sa stratégie pour défendre son roman préféré

Eric se lance "C'est difficile de hiérarchiser les préférences", commence timidement ce comptable de 52 ans venu de Poitiers pour défendre ses choix. "Cela demande une vraie réflexion, c'est compliqué", dit-il. "Je dois dire que j'ai lu tous les livres jusqu'au bout, alors que parfois il m'arrive de le lâcher en cours de route", avoue-t-il. "C'est une belle sélection, tous les livres m'ont plu, et c'est ce qui rend le choix difficile", explique-t-il, avant d'ajouter qu'il a lu deux fois deux livres de la sélection, avant d'expliquer pourquoi il a beaucoup aimé "La belle n'a pas sommeil", d'Eric Holder (Seuil), qu'il n'hésite pas à qualifier de "bonbon littéraire".
  (Katia Martin / France Télévisions)
Ils sont nombreux autour de la table, à souligner le bonheur de cette lecture, comme Muriel, retraitée, particulièrement touchée par cette lecture. "Pour moi le livre, c'est une rencontre. Je vis seule au milieu de mon bocage (elle vit en Vendée), avec mes livres. En lisant "La belle n'a pas sommeil", d'Eric Holder, je me suis un peu retrouvée dans la vie de ce bouquiniste, qui veut trouver le bon livre pour la bonne personne. Depuis que je suis à la retraite, je consacre beaucoup de temps aux livres, je tiens un blog, j'interviens dans les bibliothèques, je vais lire dans les écoles. J'essaie de transmettre cette passion que j'ai pour la lecture. C'est ce que j'espère laisser de mon passage sur cette terre !", s'enthousiasme Muriel, qui avoue perdre toute timidité dès qu'il s'agit de parler littérature.

À côté de lui, Julien défend avec une conviction émue "Les spectateurs", de Nathalie Azoulai, (P.O.L.), "pour sa profondeur et sa complexité, et la recherche exceptionnelle au niveau du langage. J'ai lu ce livre comme une auto-révélation", confie ce jeune homme de formation littéraire, aujourd'hui relecteur et correcteur dans une maison d'édition à Lille. C'est cette complexité qui a dérouté d'autres lecteurs, pourtant convaincus après avoir entendu Julien en parler. 

Partage

"Moi, je suis agricultrice, et ce que j'aime avec la lecture, c'est m'échapper du quotidien. Mon coup de cœur, c'est 'Nos vies', de Marie-Hélène Lafon (Buchet Chastel). Quand on commence, on n'a plus envie de le lâcher. C'est super bien écrit, et j'aime beaucoup cette façon d'imaginer des hypothèses sur les gens qu'elle croise dans son quotidien. On a envie d'être comme elle, spectatrice", les personnages sont bien campés". Sylvie a découvert Marie-Hélène Lafon, et quand on lui dit que la plupart des œuvres de cette auteure sont consacrées au monde rural, elle est surprise "Moi qui aime voyager avec les livres, là je risque de ne pas être dépaysée!", s'amuse-t-elle. Autour de la table Marie Hélène Lafon a séduit de nombreux jurés.

"Moi j'ai adoré 'Les Rêveurs' d'Isabelle Carré (Gallimard). "J'avais des a priori. Je me suis dit tiens encore une actrice qui écrit un livre. Et finalement c'est un livre qui m'a bouleversée", raconte Lamiaâ, chef de projet. "Je trouve qu'elle raconte merveilleusement bien, avec des mots justes. J'ai trouvé dans ce livre des moments d'une rare beauté", explique la jeune femme. "Je trouve qu'on entre dans une atmosphère et je suis touchée qu'elle vienne à notre rencontre à travers l'écriture. La cadence du récit, les passages introspectifs, qui alternent avec des morceaux d'un romanesque haletant… Qu'est-ce qui est vrai, qu'est ce qui ne l'est pas ?, s'interroge Lamiaâ encore pleine des émotions de sa lecture. Autour de ce livre on s'interroge : l'aurait on lu de la même manière si l'on n'avait pas su qui était l'auteur?

"Sortir de sa zone de confort"

"Moi je ne défendrai qu'un seul livre" déclare Lilia, consultante en management et boulimique de lecture. "Trio pour un monde égaré", de Marie Redonnet (Le Tripode), est son coup de cœur, et elle ne veut parler que de celui-là pour mieux le défendre (chaque juré a sa petite stratégie). "J'ai beaucoup aimé ce triptyque, la profondeur des personnages, et le rythme. J'aime qu'on ne sache pas à quelle époque cela se déroule le récit, ni où on est, et j'ai été très touchée par la façon dont chaque personnage essaie de trouver son identité. J'ai aimé l'écriture, et la structure du livre". Jusqu'au bout, Lilia Tak Tak, qui tient depuis peu un blog consacré à la littérature, n'en démordra pas. Ce livre étrange a séduit plusieurs jurés, en a rebuté quelques uns. C'est tout l'avantage des prix, "sortir de sa zone de confort", rappelle François Busnel. 

Pour Séverin pas de doute, c'est "Le bon cœur", de Michel Bernard (La Table Ronde), qui l'emporte dans le sien. "En lisant ce roman, je me suis dit que j'avais dû rater le cours sur Jeanne d'Arc au collège. L'histoire est sidérante. On réalise comment cette jeune fille qui sort de nulle part, qui ne sait ni lire ni écrire, réussit avec la seule force de sa conviction à lever une armée, et ce que réussit magnifiquement Michel Bernard, c'est la conjonction entre la forme et le fonds. Ce à quoi on assiste en lisant ce livre, c'est le verbe en action, et puis quand vous lisez ce livre, vous êtes littéralement transporté au Moyen-Age", dit Séverin, consultant en marketing. "Mon critère en lecture, c'est la question du chapitre dans le métro. Est-ce que je vais pouvoir attendre le soir pour finir mon chapitre ? Ce livre je dois l'avouer m'a fait arriver en retard plusieurs fois au travail", s'amuse-t-il. Ils sont nombreux autour de la table à défendre aussi ce roman, même si une discussion s'engage autour de la question de la nature des livres. Roman, pas roman. Ils sont intarissables. 
Le vote, Prix France Télévisions 2018
 (Laurence Houot / Culturebox)
Autour de la table les échanges vont bon train. Chacun défend avec force ses choix, et c'est ce que plusieurs jurés confient apprécier particulièrement dans l'exercice : l'échange, le partage, la découverte. "C'est pour cette raison que je défends les jurys de non professionnels", explique François Busnel. "Il y a chez les jurés non professionnels un regard frais, détaché des pression supposées des maisons d'éditions, le marketing ou autres considérations réelles ou fantasmées d'ailleurs..."

Mais il faut bien trancher. Qui sera l'élu de cette édition 2018 ?  Suspense, le résultat sera annoncé ce jeudi dans la soirée.

Le salon Livre Paris propose une rencontre autour des prix littéraires le Samedi 17 mars 15h-16h :
L’envers du décor / Le Prix des prix Quels sont les enjeux qui sous-tendent l'attribution des prix littéraires ?
Pour tenter de comprendre et d'analyser Livre Paris vous propose d'assister en direct, et pour la première fois, à une délibération de jury,celui du Prix des prix Avec Isabelle Motrot (pour le prix Hors concours : Amandine Dhee, La Femme brouillon, La ContreAllée), Eric Revel (pour le prix France Bleu – Page des libraires : Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s’effacent, Sabine Wespieser), Olivia Goudart (pour le Prix Wepler : Guillaume Poix, Les fils conducteurs, Verticales) et Lilia Tak-Tak (pour le Prix Roman France Télévisions).

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