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"1Q84" d'Haruki Murakami : succès d'une trilogie urbaine et onirique

Sans aucun prix, le dernier roman du Japonais Haruki Murakami explose les ventes en France. "1Q84" a dépassé les 400.000 exemplaires pour les livres 1 et 2. Le troisième tome, sorti en France début mars, est depuis en tête des ventes. Vendu à 4 millions d’exemplaires au Japon, ce roman est un beau spécimen de l’œuvre prolifique de cet auteur japonais "coureur de fond".
Article rédigé par franceinfo - Laurence Houot-Remy
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Publié
Temps de lecture : 4min
1Q84, le roman d'Haruki Murakami s'est vendu au Japon à près de 4 millions d'exemplaires
 (Shizuo Kambayashi/AP/SIPA)

Tokyo. Voie express n°3. Coincée dans les embouteillages, Aomame emprunte un escalier de secours pour rejoindre la nationale 246. Elle a une mission à accomplir : exécuter un homme qui maltraite sa femme. Et c’est le glissement. Aomame se retrouve dans un autre monde, celui de l’année 1Q84.

Tengo est un professeur de mathématiques solitaire. Pendant ses heures de loisir il écrit des romans mais n’a encore jamais publié. Son éditeur lui propose de mettre en forme « La chrysalide de l’air », le manuscrit d’une jeune fille quasi muette. Lui aussi se trouve progressivement emporté dans le monde de "1Q84".

Tokyo, jonction entre la voie express n°3 et la nationale 246. Glissement vers 1Q84
 (Googlemap)

Amours d’enfance

Tengo et Aomame se sont rencontrés il y a longtemps. A l’école primaire. Ils traînent tous les deux une histoire familiale oppressante. Tengo a été élevé par un père seul, la disparition de sa mère est enveloppée d’un secret. Aomame a grandi dans la secte des Témoins de Jéhovah.
Murakami aborde un thème qui lui est cher, celui des amours enfantines persistantes. Chacun a gardé en lui le souvenir de l’autre, au point de rendre impossible aucun autre amour. Sans le savoir eux-mêmes, ils attendent de se revoir. On navigue de l’un à l’autre au rythme du génie romanesque de Murakami.

Q comme question

Dans le monde de 1Q84, il y a deux lunes, des « Little people », lutins maléfiques modernes dont on ne comprend pas très bien les intentions, un gourou violent malgré lui, une vieille femme riche qui venge les femmes maltraitées, un garde du corps homosexuel et un chien de garde qui aime les épinards…

Aomame donne un nom à ce monde parallèle. « Après tout, on donne bien des noms aux chiens et aux chats. Il n’y a pas de raisons que ce nouveau monde altéré n’en ait pas. 1Q84 - Voilà comment je vais appeler ce nouveau monde, décida Aomamé. Q, c’est la lettre initiale du mot question. Le signe de quelque chose qui est chargé d’interrogations (…)  Il faut que je m’acclimate à ce nouveau monde lourd d’interrogations ».

Sectes : de la pureté à la violence

Murakami et son art du décalage et des frontières percées nous parle en réalité de notre monde, bien réel, issu des idéologies des années 70 et leurs dérives sectaires, celui des fondamentalismes religieux et du recours à l’irrationnel. C’est ce monde-là que décrit Murakami, un monde touffu, un monde où les idéologies et les croyances ont disparu, sauf pour une poignée de fondamentalistes ou d’illuminés. Un monde où la violence continue à faire rage. Murakami a enquêté. La secte Aum a inspiré la secte des Précurseurs, décrite dans son roman.

George Orwell

1Q84 en miroir inversé du 1984 de George Orwell. Little people contre Big brother. Contrairement au roman d’anticipation de George Orwell, qui dénonce les systèmes totalitaires, le roman de Murakami décrit la tyrannie rampante, nichée dans tous les rouages de la société. L’ennemi n’est pas désigné. Il est mouvant, protéiforme, incompréhensible.

1984, film réalisé par Michael Radford avec John Hurt, d'après G. Orwell
 (Photo12.com-Collection Cinema/Photo12/ AFP)

Le roman dans le roman

Au fil du récit, les chemins d’Aomame et de Tengo se rapprochent jusqu’à la collision.
Subrepticement, des éléments du roman « La Chrysalide de l’air », s’immiscent dans la réalité. Surgit alors une troublante interrogation :

« Impossible, songea Tengo. Comment une réalité imiterait-elle une métaphore ? C’est impossible (…) Est-ce que cela signifierait - Tengo se posait la question à lui-même - que je serais ici dans le monde du roman ? J’aurais donc été séparé du monde réel pour je ne sais quelle raison et j’aurais pénétré dans celui de La chrysalide de l’air ? »

Cette mise en abîme narrative plonge dans un trouble délicieux. Trouble oublié de l’enfance où la frontière entre le réel et l’imaginaire est encore incertaine.

L’imaginaire comme issue

Reste une question : enfermés dans le monde « altéré » de 1Q84, Aomame et Tengo peuvent-ils s’échapper ?

Murakami entrouvre des portes.

Il y a cette petite zone de retranchement. Celle de l’imaginaire. Imaginaire qui abrite l’amour, toujours possible, et l’imaginaire qui offre à l’être humain ce que Murakami nomme le présage romanesque. «Lire un roman, c’est aussi une évasion», dit  Tengo, mathématicien converti au plaisir du roman.

«Dans la forêt romanesque, quelle que soit la clarté qui relie entre eux les événements, une réponse claire ne nous est jamais offerte. Ce qui est bien différent des mathématiques. Pour l’exprimer sommairement, la fonction des récits est de substituer une forme à une autre. Par le biais du récit, une réponse se laisse présager, selon les caractéristiques et la direction de ce changement. Tengo revenait dans la réalité avec ce présage à la main. Comme une incantation intelligible notée sur un bout de papier.»

Quel « présage romanesque » Murakami nous propose-t-il  de ramener du voyage dans 1Q84 ?

Quand s'ouvre le troisième livre de "1Q84", Aomame se cache en attendant Tengo. Ce dernier au "pays des chats" pour veiller sur un père mourant, est  toujours brulant de désir pour celle qu'il n'a pas revue depuis l'enfance. Un détective aux allures de Colombo travaille à renouer les fils de cette histoire ... Tengo et Aomame finiront-ils par se retrouver ? L’amour est-il une échappée possible aux entraves et à la violence du monde ?

1Q84 , Haruki Murakami
Traduit du japonais par Hélène Morita. Ed. Belfond.
Livre 1, avril-juin : 536 p., 23 EUR.
Livre 2, juillet-septembre : 500 p., 23 EUR.
Livre 3, mars 2012.

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