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"A la fin le silence", de Laurence Tardieu : entre attente et attentats, un roman suspendu

"A la fin le silence" est le récit d'une année 2015 triplement singulière pour la narratrice : une année de promesse, puisqu'elle attend un enfant, de nostalgie puisqu'est mise en vente la maison familiale, et de cauchemar, puisqu'elle débute et se conclut par des attentats à Paris. Histoire d'une métamorphose.
Article rédigé par franceinfo
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Laurence Tardieu
 (Hermance Triay)

Après les livres-témoignages, c'est au tour des romans de porter l'empreinte sanglante des attentats meurtriers de janvier et novembre 2015. Dès la première phrase, le roman de Laurence Tardieu témoigne que la déflagration a touché jusqu'aux intacts. "Dispersion. L'attentat a créé un trou au-dedans de moi, un trou sans fond dans lequel je tombe". Tout au long de ces 170 pages, la narratrice va chercher à se retrouver elle-même, à rassembler son moi éclaté, pendant cette année placée sous un triple sceau.

Sceau de l'attente et d'une promesse de renouveau puisqu'à 40 ans, elle attend son troisième enfant - un fils après deux filles. Sceau de la nostalgie, puisque la maison grand-maternelle, qui embaume les roses, les mûres et le parfum de l'enfance, sur les hauts de Nice, va être mise en vente. Sceau de l'épouvante enfin, avec les tueries de janvier (à Charlie Hebdo, Montrouge et à l'Hyper-Cacher), et le carnage de novembre (le Bataclan et les terrasses). Les attaques parisiennes font éclater une bulle protectrice dont la narratrice n'avait pas conscience. 

Est-ce ainsi que dans un pays, quelque chose "se modifie et bascule en silence" ?

Tout le roman est un mouvement de balancier entre ces trois émotions, la joie de sentir en soi une vie neuve, la tristesse de dire adieu à la maison du bonheur, où résonnent encore, dans la mémoire de celle qui dit "je", les rires et les voix des proches, et l'horreur d'un massacre surgi soudainement.

L'angoisse de la menace terroriste et la "perte de la maison intime" hantent ensemble la narratrice, même si ce parallèle lui semble "dérisoire" et "indicible". Elle s'interroge sur son monde qui vaccille : "est-ce ainsi que quelque chose, dans un pays,  jusqu'à la texture de l'air, se modifie et bascule en silence ?". Et de raconter la "panique irraisonnée" dans le métro, l'interdiction faite à ses filles d'aller dans les grands magasins, le sentiment de honte, aussi, lorsque son regard, désormais, s'attarde sur un voile ou une djellaba.

"Un livre ne résout rien", mais permet de "poser le pied sur un nouveau rivage"

Comment faire taire ses craintes ? Comment anéantir  ses douleurs ? En les cernant de sa plume sensible, en leur opposant l'harmonie des jours heureux dans des phrases-tableau qui ressuscitent, dans la maison méditerranéenne, les fragrances du parfum maternel, "les grandes tablées à l'ombre du mûrier", et "les discussions jusque très tard dans la nuit douce". 

Qu'il y ait une bonne dose de naïveté à n'avoir pas saisi plus tôt que "la folie meurtrière des hommes" n'est pas un leurre, on ne le reprochera pas à Laurence Tardieu. Nous sommes trop nombreux, lecteurs et lectrices, à n'avoir compris qu'en 2015 que notre univers si abrité - si égoïste ? - se fracturait. Merci à Laurence Tardieu de nous aider à trouver les mots -même quasi-indécents dans leur candeur - pour dire à quel point "tout est devenu poreux". Merci encore de nous rappeler d"opposer à la peur la "puissance de l'instant présent". "Un livre", conclut-elle joliment, "ne résout rien", mais permet de "poser le pied sur un nouveau rivage". Abordons-le avec elle.

"A la fin le silence", de Laurence Tardieu
(Le Seuil, 180 pages, 16 euros, à paraître le 18 août)

Extrait :
"Quelque chose s'était désagrégé pour toujours : depuis le 7 janvier, j'ai perdu le sentiment jusque là évident d'une ligne de démarcation nette, étanche, entre l'intérieur et  l'extérieur. Depuis le 7 janvier, tout est devenu poreux, l'effondrement s'est infiltré jusque sous ma peau. Le monde m'est rentré sous la peau".

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