"Couleurs de l'incendie", de Pierre Lemaitre : pourquoi on s'est jeté avec joie sur la suite de "Au revoir là-haut" ?
Prix Goncourt 2013, le premier opus de cette épopée du XXe siècle, "Au revoir là-haut" (Albin Michel) a séduit 650 000 lecteurs. C'est du moins le nombre d'exemplaires vendus en France depuis sa parution en 2013, et le roman a été traduit dans 33 pays. Tel un as de la série à succès -n'oublions pas qu'il est auteur de polars- Pierre Lemaitre avait soigné la fin de ce premier volet de telle sorte qu'on l'avait refermé avec regret et une furieuse de lire la suite. Il a fallu attendre quatre ans. La sortie au cinéma l'été dernier, de l'adaptation d'Albert Dupontel, n'a fait que raviver le désir de suite.
Alors que le tout Paris assiste aux funérailles du patriarche, de manière totalement incompréhensible, le petit Paul se jette dans le vide. Avec la mort de Marcel Péricourt, et les incompétences répétées de son frère Charles, Madeleine se voit hériter de l'empire financier. Anéantie par l'accident qui a rendu son fils handicapé, et ignorante comme la plupart des femmes de son époque des rouages de l'économie, elle ne se sent ni les compétences ni les appétits pour assurer la succession Péricourt. Elle laisse donc Gustave Joubert, le fondé de pouvoir, le soin de prendre les rênes de la banque…
Paul ne peut plus marcher et Madeleine ne sait comment apaiser ses cauchemars, ni comment lui redonner le sourire. Paul sort pourtant de sa léthargie et retrouve peu à peu le sourire avec l'arrivée de Vladi, sa nouvelle nounou, une virevoltante polonaise ne parlant pas un mot de français mais emplissant la maison de ses chants et de sa joie de vivre. Paul retrouve aussi le goût de vivre avec la naissance d'une nouvelle passion pour le répertoire lyrique, particulièrement quand il est chanté par une chanteuse d'opéra virtuose et fantasque, qui le prend en amitié. Pendant ce temps, les affaires tournent très mal et Madeleine se voit dans l'obligation de vendre sa maison…
Une émancipation certes guidée par la vengeance, mais une belle émancipation quand même. Madeleine apprend à jouir de sa liberté, de son corps, et trouve la voie de son indépendance financière (avec l'aide de son fils, dont la vivacité d'esprit n'a pas été altérée par l'accident). Outre le personnage de Madeleine, "Couleurs de l'incendie" fait une belle place aux femmes. On y croise d'autres personnages féminins, secondaires mais flamboyants : Léonce, très jolie jeune femme, arriviste et fourbe ("Mais avait-elle le choix" s'interroge Madeleine), Vladi, la joyeuse polonaise, qui assume sans complexe ses désirs sexuels débordants, ou encore Solange, la fantasque et courageuse cantatrice dont s'entiche Paul.
Et si "Couleurs de l'incendie" est un brin moins lyrique qu'"Au-revoir là-haut", on retrouve quand même dans ce 2e opus les recettes du succès de Lemaitre : un talent indéniable pour l'intrigue (on ne lâche pas), un sens aigu de la formule et des dialogues aux petits oignons… Bref, "Couleurs de l'incendie" contient tous les ingrédients d'un bon roman qui s'adresse à un large, à un très large public, ce qui n'est pas la moindre de ses qualités.
"Couleurs de l'incendie", Pierre Lemaitre
(Albin Michel – 530 pages – 22,90 euros - Sortie le 3 janvier 2018)
Extrait :
"Si, les obsèques de Marcel Péricourt furent perturbées et s'achevèrent même de façon franchement chaotique, du moins commencèrent-elles à l'heure. Dès le début de la matinée le boulevard de Courcelles était fermé à la circulation. Rassemblée dans la cour, la musique de la garde républicaine bruissait des essais feutrés des instruments, tandis que les automobiles déversaient sur le trottoir ambassadeurs, parlementaires, généraux, délégations étrangères qui se saluaient gravement. Des académiciens passaient sous le grand dais noir à crépine d'argent portant le chiffre du défunt qui couvrait le large perron et suivaient les discrètes consignes du maître de cérémonie chargé d'ordonner toute cette foule dans l'attente de la levée du corps. On reconnaissait beaucoup de visages. Des funérailles de cette importance, c'était comme un mariage ducal ou la présentation d'une collection de Lucien Lelong, le lieu où il fallait se montrer quand on avait un certain rang".
"Couleurs de l'incendie", Pierre Lemaitre (Albin Michel)
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