"Désintégration" d'Emmanuelle Richard, les confessions uppercut d'une enfant du siècle
Un livre comme un cri de rage. Dans "Désintégration", la narratrice du roman traque les moyens de subsister dans un Paris hors de prix pour suivre ses études de lettres. De la galère des colocs à la traque aux boulots qui vous laissent exsangues, comment atteindre le Graal, un travail que vous aimez et qui vous permet de vivre ?
Fil conducteur de ce livre réquisitoire, l'"arrogance insupportable" d'une jeunesse dorée ne cachant plus son dédain pour ceux qui cherchent une issue, de l'autre côté de la barrière. "Je réutilise, dit la romancière, des sentiments qui m’ont traversée. Il y a un mépris qui n’est plus du tout caché, plus du tout du côté de la honte, une violence de classe qui n’a jamais disparu. C’est un même petit groupe qui jouit de tout et méprise les classes laborieuses".
"Nous étions le nouveau siècle"
Cette glissade dans la précarité, elle l'a connue de près, enfilant les emplois non qualifiés pour survivre et s'obstiner, la tête haute, à vouloir écrire. D'où une "autosociofiction" qui tourne autour des vertus magiques ou maléfiques de "l’argent", ce "grand absent de la fiction contemporaine", juge Emmanuelle Richard. A son image (romancée), l'héroïne passe d'un monde à l'autre, de celui d'étudiante sur la corde raide à jeune romancière admirée. D'un statut de "perdante aux yeux de la société" à celui, combien plus enviable, d'écrivain reconnue. Autour de son héroïne, l'univers bascule : "plus on réussit, plus tout devient gratuit" persifle-t-elle.Le tout raconté à un rythme tour à tour rapide et ralenti, comme un arrêt sur images, dans ce roman bercé, à sa rédaction, par la scansion des rappeurs (dans la play-list mentionnée en fin d'ouvrage, Booba côtoie Médine, Nekfeu, Gaël Faye). "A dire vrai, écrit son héroïne, on ne vivait pas, on survivait (...) Nous nous croyions seuls à vivre de cette façon et pourtant nous étions le nouveau siècle".
"La colère, soeur de la haine, pulsa en moi et m'offrit son coeur noir"
La honte se mue en arme de guerre, et l'écriture se fait voluptueuse à pourfendre les nantis fredonnant la célèbre rengaine du "Pierrot le fou" de Godard : "Qu'est-ce que je peux faire, je sais pas quoi faire" ? "Bons à rien de bourgeois, siffle la narratrice. Un flash d'ultraviolence me télescope. Le mépris alors qu'ils sont pour si peu dans ce pour quoi ils se sentent supérieurs (...) Pilonner leurs dents saines. En scier les racines. Écraser leurs petites gueules imbues sur un coin de trottoir ou une arête de mur du bout de ma chaussure. Arracher des oreilles. Je ressens une bouffée de haine pure". Avant de conclure, rimbaldienne : "La colère, sœur de la haine, pulsa en moi et m'offrit son cœur noir".La "colère" de la romancière se mue en un chant tour à tour dépressif et combatif, destructeur et allègre, en un roman qui "clôt un cycle autofictionnel". Et après ? "J’aimerais m’effacer, ne plus me mettre dans les textes. Passer à la “no fiction” comme Emmanuel Carrère", confie la jeune romancière. On lui fait confiance : sa plume se glissera partout pour donner forme et vie à son ire alentueuse.
"Désintégration", d'Emmanuelle Richard
(Editions de L'Olivier, 210 pages, 16,50 euros)
Extrait :
Les gosses de riches gueulent en riant plus fort : "Qu'est-ce que je peux faire", ritournelle en scie, scie qui vrille mes tympans, implante une graine de haine qui vient se loger très profond dans mon crâne loin après le cortex.
J'sais pas quoi faire. C'est une impudeur, une impudeur intolérable".
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