"Flâneries littéraires" au salon Livre Paris : sur la piste de la littérature érotique avec Belinda Cannone
La première flânerie littéraire de ce 37e salon Livre Paris avait lieu ce vendredi matin en compagnie de la romancière Belinda Cannone, sur le thème du désir. Quoi de mieux que le désir pour ouvrir cette nouvelle série de flâneries littéraires, proposées par Marie-Rose Guarnieri, libraire aux Abbesses.
Le principe et simple, mais enthousiasmant : proposer aux visiteurs de cheminer dans les allées du gigantesque et prolifique salon Livre Paris en compagnie d'un écrivain, ou d'un chercheur, ou d'un historien, pour découvrir des livres à travers une thématique. La Flânerie dure une heure, et c'est le guide qui choisit son axe et les livres dont il a envie de parler. "Les flâneries, c'est comme une petite île ensoleillée dans l'environnement un peu froid du salon. Nous, ce que nous voulions proposer avec ces flâneries, c'est accompagner les visiteurs, donner un sens à la visite, en remettant les écrivains au cœur du salon, et permettre la rencontre", explique la libraire, enthousiaste et très heureuse que cette initiative s'installe au salon.
"Je vais vous emmener à la découverte de 7 livres érotiques"
"Pourquoi avoir choisi ce thème ?", commence Belinda Cannone. "D'abord parce que j'écris sur le désir depuis longtemps. C'est une question qui m'intéresse. Pourquoi ai-je envie de vivre la journée qui vient, ou pas ? Qu'est-ce que le désir de vivre ? C'est une question mystérieuse, vitale, et surprenante". "Donc depuis le temps que j'écrivais sur cette question du désir, il est forcément arrivé un moment où je me suis mise à écrire aussi sur le désir sensuel, qui la manifestation la plus intense du désir", explique la romancière.Belinda Cannone, qui est aussi essayiste, a signé plusieurs livres où il est question du désir, "L'écriture du désir" (Gallimard, Folio, 2001), "Le baiser" (Alma, 2011), ou encore "Petit éloge du désir" (Gallimard, Folio, 2013).
"J'ai construit cette flânerie autour de deux fils rouges", explique la romancière, "D'abord autour de la question suivante : que racontent les auteurs qui écrivent des livres érotiques ? Car il me semble que les enjeux vont bien au-delà de l'érotisme", poursuit-elle, "et puis second fil rouge : les femmes. Je ne suis pas une maniaque de la cause féminine, qui aurait plutôt tendance à m'agacer, mais là, on se trouve avec l'érotisme et le désir dans un lieu où le féminin joue à plein".
"Découvrir des auteurs autour d'une thématique, cela me plaît beaucoup"
Le petit groupe, ils sont une vingtaine, s'ébranle alors pour commencer la flânerie. Parmi eux, Tiphaine et Pascale ne sont pas là par hasard. Étudiantes en master d'édition, elles préparent un projet éditorial autour d'un livre épistolaire érotique. "Du coup cette flânerie nous intéressait particulièrement", explique Pascale, deux livres de la romancière à la main. "Le sujet nous intéresse et cela nous donnera peut-être des idées en découvrant les livres dont elle va nous parler", ajoute Tiphaine. Yolande, elle, est bibliothécaire, elle est venue de Sarrebourg pour le salon du livre. "J'aime bien cette auteure, et je trouve cette idée des flâneries très intéressante. Cette perspective de découvrir des auteurs autour d'une thématique, cela me plaît beaucoup", ajoute-t-elle.Belinda Cannone entre dans le vif du sujet avec un roman du XVIIIe siècle, "Point de lendemain", de Vivant Denon, "un petit livre libertaire extraordinaire", commence la romancière. "Dans ce roman, d'abord il y a la beauté de la langue, qui court comme un fil", dit-elle, avant de lire quelques extraits de ce roman qui fait le récit des aventures amoureuses d'un homme un peu naïf qui se laisse entraîner par une comtesse manipulatrice.
La romancière embraye sur "Les liaisons dangereuses" et souligne le féminisme souvent ignoré de Pierre Choderlos de Laclos "Il défend la Merteuil, et les difficultés pour une femme de cette époque de vivre sa sensualité sans se cacher", explique la romancière. "Femmes, révoltez-vous ! disait-il, persuadé que l'éducation des femmes passait nécessairement par une révolution", poursuit Belinda Cannone. "Et Pierre Choderlos de Laclos est resté marié toute sa vie avec la même femme, dont il était manifestement très amoureux. Il n'était donc pas libertin mais avait cet imaginaire libertin". La romancière explique ensuite combien au XVIIIe siècle l'érotisme est surtout une affaire de manipulation, de mensonges, de pouvoir.
"L'amant de Lady Chaterley"
Belinda Cannone embarque ensuite les visiteurs directement au début du XXe siècle, "J'ai sauté le XIXe siècle, qui est un siècle de régression pour les femmes", explique Belinda Cannone. "La condition de la femme se dégrade. Elle est cantonnée à la maison pour s'occuper des enfants, et l'érotisme est totalement absent de ses préoccupations", raconte Belinda Cannone, avant de parler de "Trois filles et leur mère", un livre dont la lecture d'extraits, très crus, fait sourire ou grimacer les uns et les autres. "C'est vrai que si l'on n'a pas de goût pour la scatologie…Si j'avais relu en détails ce livre je ne l'aurais pas forcément mis dans ma sélection", sourit Belinda Cannone.La flânerie se poursuit avec "L'amant de Lady Chaterley", de David Herbert Lawrence. "C'est un roman écrit en 1928, qui a posé des problèmes, publié officieusement et vendu sous le manteau, et publié officiellement et dans sa version complète seulement en 1960 en Angleterre !", raconte Belinda Cannone. "Il y a dans ce roman bien plus que la simple histoire d'une lady de l'aristocratie anglaise avec son amant garde-chasse, sinon il ne ferait pas 400 pages", souligne-t-elle.
"Il y a dans ce roman une peinture sociale de la société anglaise en pleine industrialisation. Ici l'érotisme est posé pour la première fois comme une valeur, et non pas comme un péché. La sensualité est présentée comme ce qui nous relie aux forces cosmiques. Entrer dans la sensualité est comme entrer en relation aec les forces cosmiques. Donc là je trouve que même si cela n'est pas explicitement présent dans ce roman, il y a un lien avec la psychanalyse, qui fait son apparition au même moment. On voit ici apparaître la sensualité comme une valeur qui participe à la construction de l'individu. C'est ce que défend la psychanalyse", ajoute la romancière.
"Rien n'est plus compliqué que d'écrire sur l'érotisme"
"Il faut se battre pour décrire des sensations et trouver les mots pour traduire des sensations, qui pourront être perçues par le lecteur", ajoute Belinda Cannone, après avoir lu un court passage de "L'amant de Lady Chatterley". "Je pense qu'il y a deux façons d'écrire sur l'érotisme. Une façon masculine, qui est plutôt de parler d'une chose vue, des tableaux, des scènes, et puis une autre manière, plus féminine (mais qui peut être écrite par un homme !), qui cherche plus à décrire des sensations. Et je trouve que chez D. H. Lawrence, on retrouve cette approche, cette tentative d'écrire l'érotisme comme une sensation, un effort pour décrire ce qui constitue pour lui un mystère, la sexualité des femmes. Et c'est pourquoi j'ai choisi de de vous parler de ce roman, qui est un très bon roman et très intéressant".La flânerie se poursuit avec "Thérèse et Isabelle", de Violette Leduc, roman écrit en 1907, écrit en 1954, publié expurgé en 1966, et dans sa version intégrale en 2000 seulement, le récit d'une histoire entre deux femmes. "On retrouve dans ce roman une écriture de la sensation, qui se sert beaucoup des métaphores", explique Belinda Cannone, qui poursuit avec "Venus Erotica", d'Anaïs Nin. "Elle a écrit des romans érotiques sur commande et qui note en préface du livre qui rassemble ces écrits que cette écriture sur commande maque de poésie, "
La flânerie s'achève avec "Petite table, sois mise !", d'Anne Serre. "Un roman très transgressif, stupéfiant, vous allez voir !", explique Belinda Cannone avant de lire un extrait.
"Un guide comme ça aux visiteurs dans cet univers froid du salon, ce hangar… Je trouve ça vraiment réjouissant !"
La flânerie touche à sa fin. Applaudissements. "Je trouve ce concept formidable, confie Mathieu Hippeau, professeur de lettres et d'histoire dans un lycée technologique parisien. C'est cette idée de partage qui me plaît : partage avec un auteur vivant, partage avec des auteurs et des textes du patrimoine, et partage avec les autres visiteurs, avec qui l'on peut échanger. Et puis donner un guide comme ça aux visiteurs dans cet univers froid du salon, ce hangar… Je trouve ça vraiment réjouissant !", conclut-il.Les visiteurs sont invités à échanger s'ils le désirent avec la romancière, qui dédicace aussi ses derniers livres : "S'émerveiller", un essai sur cet "état intérieur" que la romancière suggère de cultiver (Stock) et un autre, "Un chêne", publié aux éditions Le Vistemboir.
"C'était vraiment amusant, de lire ces extraits assez crus. Je suis d'une nature assez pudique", raconte la romancière, visiblement heureuse d'avoir accompagné son petit groupe dans les allées du salon. "D'abord c'est une manière de mettre en ordre dans ma tête sur une question qui m'intéresse particulièrement. Et puis dans ce salon énorme, où l'on se perd, où l'on traîne, je trouve que cette idée de flânerie très belle", conclut la romancière.
Les grandes œuvres littéraire adaptées au cinéma avec Didier Decoin, l'aventure avec Céline Minard, Appolinaire avec Laurence Des Cars, des flâneries sont proposées tout le week-end au Salon Livre
Le programme des flâneries littéraires au Salon Livre Paris
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