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"L'archipel d'une autre vie" : le retour en Russie d'Andreï Makine, le plus russe des écrivains français

"La Russie peut être cruelle, atroce... elle n'est jamais petite", tient à souligner Andreï Makine , le plus russe des écrivains français, en colère contre ceux qui mènent "une guerre illimitée" contre son pays d'origine.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Andreî Makine publie "L'archipel d'une autre vie" (Seuil), août 2016
 (JOEL SAGET / AFP)

L'amour inconditionnel de la Russie transpire dans chacune des pages de son nouveau roman, "L'archipel d'une autre vie" (Seuil) tout à la fois formidable livre d'aventures "au Far-East" et fable philosophique dans la lignée des idées humanistes de Tolstoï.

L'histoire : elle débute en 1952, en pleine guerre froide alors que les autorités soviétiques pensent que la 3e guerre mondiale est imminente. Cinq hommes, "chacun représentant un fragment de la Russie", explique Andreï Makine au cours d'une entretien avec l'AFP, sont chargés de traquer un fugitif évadé du Goulag. La chasse dans la taïga sibérienne, aux confins de l'Extrême-Orient russe, dans les brumes du Pacifique va prendre un tour inattendu. Dans cette nature intacte, chacun va se retrouver face à lui-même. De la proie et des chasseurs qui tient l'autre ? Bien des années plus tard, au début des années 1970, un jeune garçon croisera par hasard Pavel Gartsev, un des principaux protagonistes de cette aventure.

"L'histoire est réelle"

On s'en doutait, Andreï Makine le confirme, cet adolescent c'était lui. "Bien sûr que j'ai rencontré Pavel. J'avais 14 ans", se souvient le romancier aujourd'hui âgé de 59 ans et bientôt à l'Académie française. "L'histoire est réelle", insiste-t-il en rappelant que la taïga fut une terre d'asile pour nombre de fugitifs. Andreï Makine a gardé la nostalgie de son enfance sibérienne, à Nikolaïevsk, ville sur le fleuve Amour, un grand port ouvert sur le Pacifique. "On vivait un peu dans cet esprit Far-West, ou plutôt Far-East, un peu aventureux. Tout était possible...", raconte-t-il. L'écrivain se tait un instant et murmure "on ne comprend pas la Russie". Andreï Makine se dit orphelin du général de Gaulle qui n'hésitait pas "à traiter avec Staline" et tenait la dragée haute aux Américains. "L'Europe, dit-il en paraphrasant le général, c'est de l'Atlantique à l'Oural".

"les provocations" s'accumulent contre la Russie. "Regardez toutes les bases américaines qui entourent la Russie. Ce ne sont pas les Russes qui l'inventent", soutient-il. "Ces provocations sont parfaitement orchestrées. En Géorgie ça n'a pas marché. En Ukraine on relance les provocations", poursuit-il avant de mettre en cause les Etats-Unis et "les guerres américaines en Syrie, en Libye et en Irak".

"Ce que font les Américains est tragique", déplore-t-il. "Comme dans les années 1950 on est à deux minutes de l'éclatement de la guerre", met-il en garde. S'il reprend à son compte les principaux arguments du Kremlin et certaines de ses exigences comme la suppression des visas pour les citoyens russes voyageant en Europe -"Tchekhov n'a pas eu besoin de visa pour aller à Paris"-, l'écrivain récuse avec force l'étiquette "pro-Poutine" qui lui colle à la peau. "J'essaie de dire la vérité", se justifie-t-il. "Le politiquement correct est étouffant". "Quel gain se serait pour les Français d'être amis avec cette immense Russie, ses immenses ressources", affirme l'écrivain.

"L'homme ne devrait pas oublier qu'il n'est qu'un pauvre locataire de la Terre"

Dans son roman, deux de ses personnages iront s'isoler sur une île hostile, battue par les vents, de l'archipel des Chantars. Au jeune garçon qui l'interroge sur ce choix étrange, Pavel répond: "nous y vivions". Aujourd'hui, Andreï Makine comprend de plus en plus le choix de Pavel. "On peut vivre autrement. On peut choisir un mode de vie qui exclut la pollution, la surconsommation, la surexploitation".

"L'homme ne devrait pas oublier qu'il n'est qu'un pauvre locataire de la Terre", insiste le romancier qui égratigne une nouvelle fois le mode de vie américain ("avoir chacun quatre bagnoles", résume-t-il avec provocation). "Les Américains ne comprennent pas qu'on est sur le même radeau. On détruit la planète. Il faut arrêter cette escalade", dit-il avant de s'interroger: "est-ce que les gens sont capables de l'entendre?".

"L'archipel d'une autre vie", Andreï Makine  (Seuil - 288 pages - 18 €)

Andreï Makine reçu sous la Coupole le 15 décembre

Andreï Makine , élu à l'Académie française en mars dernier, sera reçu sous la Coupole le 15 décembre prochain. "Je serai reçu à l'Académie française le 15 décembre", a confié le romancier au cours d'un entretien avec l'AFP. Il sera accueilli par le romancier Dominique Fernandez qui, comme Andreï Makine , a été récompensé par le prix Goncourt.
Né en 1957 à Krasnoïarsk, en Sibérie, Andreï Makine est arrivé en France, sans papiers, à l'âge de 30 ans. Pour faire éditer ses deux premiers romans, "naturellement" écrits en français, "La fille d'un héros de l'Union soviétique" (1990) et "Confession d'un porte-drapeau déchu" (1992), il fait croire qu'ils avaient été traduits du russe en inventant un traducteur imaginaire.
Bien que francophone et francophile, sa première demande pour obtenir la nationalité française, en 1991, lui est refusée. Il l'obtiendra finalement en 1996, un an après "Le testament français", un roman d'amour à la langue et à la littérature française, qui exceptionnellement obtiendra à la fois le prix Goncourt, le Goncourt des lycéens et le Médicis.
Son amour de la France il l'exprimera encore dans "Cette France qu'on oublie d'aimer" (2006) et "Le pays du lieutenant Schreiber" (2014) où il magnifie l'histoire de Jean-Claude Servan-Schreiber, âgé aujourd'hui de 98 ans, officier français et résistant au nazisme tombé, au grand dam de Makine, dans un quasi oubli. Le romancier vient de publier au Seuil, "L'archipel d'une autre vie", à la fois récit d'aventures au coeur de la taïga sibérienne et formidable hymne à la liberté.

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