"Le déjeuner des barricades", de Pauline Dreyfus, satire désopilante sur un palace en plein délire, en mai 68
Vous aviez aimé "Ce sont des choses qui arrivent", le précédent roman de Pauline Dreyfus ? Vous adorerez "Le déjeuner des barricades". Même plume mordante, même plaisir doux-amer, même peinture acerbe d'un tout petit monde hypocrite et ricaneur.
A l'hôtel Meurice, rien ne va plus
Visiblement bien documentée, la romancière plonge le lecteur rue de Rivoli dans un hôtel Meurice en plein délire. Nous sommes en mai 68 et rien ne va plus : ce palace parisien s'est mis à l'autogestion, virant provisoirement son directeur. Et le personnel s'interroge: doit-on laisser, comme chaque année, la milliardaire Florence Gould organiser son dîner avec quelques sommités littéraires (critiques, académiciens et autres parasites) pour remettre le prix Nimier ? La réponse sera oui, d'autant que la richissime septuagénaire a le "Racine" facile (le terme désignait alors les billets de cinquante francs, à l'effigie du dramaturge).Hélas ! Malgré la bonne volonté du personnel, le joli foutoir du mois de mai va perturber cet impromptu "Déjeuner des barricades". Le menu est un casse-tête ("mais où trouver des belons au mois de mai ?"), et, pire encore, nombre d'invités se décommandent, préférant rester au calme à Bruxelles ou en Suisse, au plus près de leurs coffres-forts.
Le roman de Modiano pris au premier degré par d'anciens collaborateurs
Qu'importe ! Dali, de passage dans l'hôtel, se joindra à la tablée. Pour faire nombre, on invite aussi un client mystérieux du palace, en réalité un notaire de province gravement malade, qui voulait se payer cet ultime luxe. En faisant feu de tout bois, une vingtaine de convives sont enfin rassemblés pour célébrer la remise du prix à un jeune romancier. Comment s'appelle-t-il, déjà ? Modiano, Patrick Modiano, qui est récompensé pour "La place de l'étoile".Ravi de ce livre vite lu (et mal compris), l'ancien ambassadeur de Vichy Paul Morand, félicite d'ailleurs l'auteur de "passages très culottés" sur le "malheur juif". Car les phrases antisémites prononcées par tel ou tel personnage sont promptement attribuées à l'auteur. Et seul le notaire a réellement lu et compris la portée accusatrice de ce roman en surimpression sur l'Occupation.
Allègre, vif et caustique, "Le Déjeuner des barricades" brocarde d'une même plume allègre vieux académiciens et jeunes ministres, militaires défaits et mécènes incultes, pique-assiette littéraires et révolutionnaires en carton-pâte. Mais il excelle aussi à faire parler les murs et la mémoire du palace et même, plus difficile peut-être, à nous faire entendre la voix si singulière de Modiano. Faut-il insister encore pour souligner que cette fiction croustillante est un délice à chaque page ?
Le déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
(Grasset, 242 pages, 19 euros)
Extrait :
"Les désistements se sont accumulés (...). Bernard Frank a fait savoir qu'il est à Saint-Tropez où il achève un manuscrit et que de toute façon, il en a assez d'entendre parler de cet étudiant au nom de machine à laver. Paul Morand n'est pas sûr d'arriver à temps de Vevey, où l'air est plus pur et les étudiants moins bruyants qu'à Paris".
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