Rentrée littéraire - "Fief" : 5 questions à David Lopez
Ça a bien commencé. Avec un message, un dimanche midi. "Bonjour, je suis David Lopez, je viens de publier un livre aux éditions du Seuil, "Fief", et l'attachée de presse m'a dit que vous cherchiez à me joindre. Donc je vous appelle, mais je ne me souviens plus pourquoi je devais vous appeler". Plus tard, il dira combien l'engouement autour de son livre, les interviews, les lectures… lui font tourner la tête. "Ces derniers jours c'était la folie. Je suis rentré chez moi et là, pour ne rien vous cacher, je suis en pyjama !" Rendez-vous est pris pour le surlendemain. Je le retrouve à la terrasse d'un café, dans le 15e arrondissement de Paris. Il sort d'une interview avec une radio suisse. Visage sec, yeux noirs, look soigné. Pas trop la gueule cassée pour un boxeur. Quand j'arrive, il est en train de rouler une cigarette et lève la tête, souriant. Je suis à peine assise qu'il démarre. Pas de doute, la littérature, l'écriture, c'est son "kiff", et il a sa manière bien à lui d'en parler. David Lopez n'est pas un écrivain comme les autres. "Je le sens bien. Je sens bien que Paris c'est pas chez moi", dit-il. Son premier roman figure dans les 2e sélections du Renaudot et du Médicis.
J'ai eu beaucoup de mal à définir cet enjeu. J'aimerais que la réponse à cette question reste floue, nébuleuse. Je n'ai pas vraiment de réponse, mais des éléments de réponses.
Je voulais faire une "Amor fati", comme dirait le philosophe Nietzsche, cette acceptation du réel dans son entièreté. Aimer la vie, y compris pour ce qu'elle nous apporte de "merdique". Cette idée de renoncer à une vie héroïque, qui pourrait passer pour Jonas par la boxe. Mais Jonas se laisse vivre. On pourrait parler aussi du mimétisme intergénérationnel. Cette idée que j'ai fait aussi bien que mon père, et que c'est déjà pas mal. Le père de Jonas a été une petite gloire locale au foot, et il vit sur ses acquis. Ne pas se laisser écraser par l'injonction sociale du toujours plus, toujours mieux.
C'est aussi un alibi, une manière de légitimer la paresse et surtout de ne pas penser à la suite. Jonas touche cela du doigt. Il l'effleure. On voit ça dans le chapitre "Les mauvaises herbes". Il frôle cette idée, mais ça passe plutôt par un ensemble de sensations… Mais ce n'est pas la pierre angulaire du livre. Le vrai enjeu de ce texte, pour moi, c'est la langue.
"J'ai assez jardiné. J'ai bien aimé ça même si, en apercevant enfin le grillage sous les ronces que j'ai attaquées, j'ai comme de la peine pour elles. Elles n'ont rien demandé. Elles ne faisaient qu'accomplir ce que la nature leur dictait. Grandir. Moi-même je suis un genre de mauvaise herbe. Pas de plan. Pas de calendrier. Juste être."
"Fief", page 129Ce livre est né de la décomplexion, d'un affranchissement à l'instance littéraire, d'une prise de liberté, d'un rapport à soi, ou comment aller vers sa propre écriture, et l'assumer. Ce livre est né d'une désinhibition.2Comment est né le livre ?
Quand je suis arrivé dans le master de création littéraire, j'étais plein de complexes. J'écrivais avec le regard de quelqu'un par-dessus mon épaule, enfermé dans les clichés romantiques de l'écriture. Au cours de l'année, un garçon qui suivait avec moi le master m'a mis en face d'une question, celle de savoir si on écrit pour lire, ou pour faire lire. Il m'a fait comprendre qu'un auteur, quand il se pose des questions, doit s'en remettre à lui-même. Il y a eu aussi une visite à la BnF. J'ai vu les manuscrits tout raturés de Proust, et ensuite j'ai découvert "Voyage au bout de la nuit", de Céline, et là, ça a été la révélation. Je me suis dit : "on a le droit de faire ça !". Ensuite face à ma feuille blanche, j'ai pensé "Nique ta mère, j'y vais ! "
Je me suis libéré des carcans dans lesquels j'étais enfermé. Avec la "littérature", je me sentais écrasé. Je ne me sentais pas légitime, et j'avais donc un peu le syndrome de la fille trop maquillée, celle dont on se dit : elle serait beaucoup plus belle sans maquillage ! C'est à partir de ce moment-là que j'ai trouvé le plaisir d'écrire, le même que quand j'écrivais du rap. Et j'ai senti tout de suite avec les premiers jets que le degré de liberté était passé un cran au-dessus.
J'étais arrivé au master avec un projet littéraire, j'en étais au 7e ou 8e chapitre, et en fait, ce nouveau chapitre est devenu le premier chapitre de "Fief".D'abord, j'ouvre les vannes. Dans un premier temps, Je produis beaucoup. C'est le premier jet. Souvent c'est mauvais, plein de choses inutiles. Ensuite, je pars à la chasse de ce que j'appelle les "résidus de flux". Je passe le tamis. Et je fais des coupes. J'essaie d'enlever tout ce qui vient imposer une compréhension appuyée au texte. Je veux que ça reste évocateur. Par exemple, cette phrase : "Une carpe se contorsionne pour avoir la place de tourner en rond." Je ne vais pas dire que Jonas se voit dans le seau. Chacun comprend ce qu'il veut. Je ne veux pas que le texte impose son sens. Souvent dans le premier jet, il y a des phrases inutiles, explicatives. Mon objectif est d'enlever tout ça. De m'éloigner le plus possible de l'écriture explicite et d'aller de plus en plus vers une écriture évocatrice. Donc je coupe.3Comment avez-vous travaillé sur "Fief" ?
Ensuite, qui dit coupures, dit coutures, sinon ça se voit ! Donc il faut faire ce travail de raccommodage. Il y a aussi la fusion. Par exemple, il y a cette scène où ils jouent à un jeu de cartes, quand on perd on boit. J'ai commencé par mimer la scène tout seul dans ma chambre. J'ai envisagé tous les coups. Et j'ai écrit 10 lignes par retour de carte. La première version de cette scène était très longue, plus de vingt pages, et donnait l'impression qu'on n'allait jamais en sortir. Alors là, j'ai fait ce que j'appelle une "fusion rétrospective", en réécrivant au passé, pour pouvoir faire des ellipses. L'essentiel du travail pour moi, c'est d'aller toujours vers plus de sécheresse, vers plus de précision. J'adore faire ça. Prendre une page, et me dire : allez, j'en fais 6 lignes !
J'ai aussi travaillé chaque chapitre comme un exercice. La scène de Candide, par exemple, je voulais faire exister celui qui raconte, et le narrateur qui observe. J'ai donc fait un fondu prose/dialogue, ponctué par des virgules. La scène de "Éponyme and Clyde", j'ai voulu que ce soit construit sur le rythme de la montée du plaisir. Un crescendo.
Et pour finir, je viens du rap, et de la boxe. Ce sont deux choses que je ne mobilise pas sciemment quand j'écris, mais qui sont là. Mon obsession de la précision, de l'exercice, des gammes, je pense que ça vient de la boxe. On peut envisager le geste précis du boxeur comme une phrase, qui commence par une majuscule, et se termine par un point. Pour moi l'écriture est un exercice de concentration extrême. La magie n'existe pas. L'inspiration, c'est un moment de concentration extrême. Parfois j'allume une cigarette, je la pose dans le cendrier et je me mets au travail. Et quand je reprends ma cigarette, une seconde plus tard, il n'en reste rien.
J'ai choisi ce titre après avoir fait le deuil de mon premier titre, qui était "Aquarium". L'aquarium, c'est le lieu où l'on tourne en rond. La pièce close. Mais c'est aussi le terme qu'on emploie pour dire l'endroit fermé qu'on remplit de fumée. Ça peut être une voiture, une chambre, une salle de bain. Je jouais sur ce double sens. Et puis l'auteur américain David Vann a publié un livre qui s'appelait "Aquarium". Ça a été très dur. C'était un titre qui m'avait accompagné pendant tout le travail d'écriture, qui m'avait guidé pour écrire toutes ces scènes de huis clos. A ce moment-là, j'ai pensé à prendre l’un des titres des chapitres. J'ai fait une "short list" et "Fief" était en haut de la pile.4"Fief", comment avez-vous choisi ce titre ?
Le fief c'est l'endroit où on est chez soi, auprès des siens. C'est l'idée de la base. Le fief c'est aussi ce qui était donné par le seigneur à son vassal, pour l'affranchir tout en le gardant sous son contrôle. Donc ce titre va bien avec cette idée de la servitude volontaire que pratique Jonas. Il fera de la boxe tant que son entraîneur Pierrot voudra bien le faire boxer. Il continuera à voir Wanda tant qu'elle le laissera faire. Tout concorde à décider pour lui. Et c'est une manière pour lui de ne pas prendre ses responsabilités.
Il me semble que partout tout le monde peut écrire son fief. C'est un univers dans lequel on peut se laisser aller. Par exemple, Paris pour moi, c'est pas chez moi. C'est un peu comme Brice de Nice qui dit devant la Méditerranée : "C'est pas ma mer" (il rit).
C'est quelque chose que je ne fais pas. Qu'est-ce que je pourrais dire… Je ne vais pas énumérer les qualités de mon livre. Quand je croise mes potes, je leur dis, si vous n’avez rien à faire, lisez mon livre. Je ne revendique rien. Mon livre ne cherche pas à démontrer. Mon ambition est plutôt d'être dans la "monstration".5Que diriez-vous pour donner envie de lire votre livre ?
Il y a un des gars de la bande, qui est assez reconnaissable pour ceux qui le connaissent. Il m'a appelé après la sortie du livre et il m'a dit, faut qu'on parle. J'ai un peu flippé. Il m'a dit, mec, dans tel passage, ta phrase, là, il fallait la mettre plus haut dans le texte ! Et il avait raison. Voilà, moi ce qui m'intéresse, c'est de parler de la forme, de la langue !
"Fief", David Lopez
(Seuil - 251 pages - 17,50 €)
David Lopez - Bio
David Lopez a trente-deux ans. Après avoir un peu boxé, beaucoup rappé, poursuivi des études de sociologie, il a opté pour un master de création littéraire de l’université Paris 8. "Fief" (Seuil) est son premier roman.
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