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Rentrée littéraire - "Le jour d'avant" : 5 questions à Sorj Chalandon

"Le jour d'avant" (Grasset), le nouveau roman de l'écrivain et journaliste Sorj Chalandon est enraciné dans la noirceur des mines et des terrils du Nord. Michel a perdu son frère Joseph dans la catastrophe du 27 décembre 1974 qui tua 42 mineurs dans la fosse 3 bis de Lievin. Devenu adulte, Michel a quitté le Nord, s'est marié, a fait sa vie, sans jamais cesser de ruminer sa vengeance. Interview.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Sorj Chalandon, "Le jour d'avant" (Grasset)
 (Laurence Houot / Culturebox)
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Quel est le sujet de votre roman ?
Sorj Chalandon : Michel Flavent, petit frère d’un mineur du Nord, passe son enfance à espérer le rejoindre au fond. Comme lui, il veut faire partie de l’armée des gueules noires, partager leur bataille pour le charbon, leur courage.

Le 27 décembre 1974, Joseph, frère de Michel, est mortellement blessé dans la dernière grande catastrophe minière de France. Quarante-deux morts, à la fosse 3 bis de Liévin. Coup de grisou. Morts parce que toutes les précautions n’avaient pas été prises, parce que la sécurité de ces hommes n’avait pas été assurée. Morts pour des raisons d’économie. Morts parce que ce quartier de mine allait fermer et qu’il n’avait pas été dégrisouté, ni contrôlé. Alors Michel Flavent n’ira pas à la mine.

Et je suis Michel Flavent."


C’est moi qui vous raconte comment j’ai fui le Nord, mon coron, mon horizon de terrils. Comment je suis allé vivre et travailler à Paris. Comment j’ai rencontré Cécile, ma femme. Comment, ma vie entière, j’ai fait croire à tous que j’étais heureux. Et comment, à la mort de Cécile, après toutes ces années passées, j’ai décidé de rentrer au pays pour me venger de ceux qui avaient tué mon frère. Ceux qui avaient joué avec la vie des mineurs. Ceux qui les avaient humiliés et opprimés.

Restait qui, dans ma ville ?


Un vieux contremaître. Il était chargé de la sécurité des hommes, quarante ans plus tôt. Aujourd’hui, il n’est rien ni personne mais pour moi, pour Michel Flavent, il est le symbole de l’injustice qui nous a été faite. Frapper cet homme, c’était me faire poursuivre par la justice et transformer mon procès en réquisitoire contre les Charbonnages de France et tous ces salauds qui n’avaient jamais été punis pour leurs crimes.
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Comment est né le livre ?
En décembre 1974, je travaillais au journal Libération et l’histoire des 42 m’avait bouleversé. Elle était pour moi l’illustration tragique du fait que la fatalité n’existait pas. En 1984 – dix ans plus tard – lors de la longue grève des mineurs britanniques, je m’étais installé dans le village de Brampton (Yorkshire), là où tout avait commencé. Et chaque mot de mes reportages d’alors était à la fois chargé de cette actualité et hanté par les 42 hommes de Liévin. Rendre compte du combat des uns était rendre hommage aux autres.

Hommage à cette armée de simples gens. Et à leur dignité.
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Comment avez-vous travaillé sur "Le jour d'avant" ?
Je l’avais au cœur depuis longtemps, à la fois nourri des victimes de 1974 et des grévistes de 1984, mais je ne savais comment lui donner vie. Un précédent roman, "La légende de nos pères", paru en 2009, racontait l’histoire d’un biographe familial travaillant sur deux histoires d’hommes : celle d’un résistant lillois de la guerre du rail et celle d’un rescapé de la catastrophe de Liévin. A la lecture de mon texte, mon éditrice m’a dit que je devais choisir entre les deux histoires, et elle avait raison. J’ai donc tout axé sur le vieux résistant et j’ai laissé mon mineur de côté. En lui jurant que je reviendrai le chercher plus tard. Je suis revenu. Et je l’ai appelé Joseph Flavent.
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"Le jour d’avant" , pourquoi ce titre, comment l’avez-vous choisi ?
Le 26 décembre 1974, veille de la catastrophe, joue un rôle capital dans ce roman. Je l’avais donc appelé "La veille". Mais je me suis aperçu qu’à chaque fois que je prononçais le mot, les gens me demandaient s’il s’agissait de veille dans le sens de "veilleur". Pour leur expliquer simplement, je leur disais : "non, je parle du jour d’avant". Et le titre s’est imposé. Ce même titre ayant été utilisé par le réalisateur Loïc Prigent et la chaîne Arte pour une série télévision de six documentaires sur la mode, nous leur avons demandé si nous pouvions l’utiliser à notre tour. Et ils ont eu l’élégance de dire oui.
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Le pitch pour donner envie de lire "Le jour d'avant" ?
Méfiez-vous des histoires trop belles. Méfiez-vous des choses trop simples. Ce n’est pas un livre sur la vengeance que vous aurez entre les mains mais un roman sur la culpabilité. J’aime Michel. Il me touche profondément car je lui ai légué ma colère. Mais c’est une âme noire, pas une gueule noire. 
 
"Le jour d'avant", de Sorj Chalandon
(Grasset - 326 pages - 20,90 €)

Sorj Chalandon - Bio

L'écrivain Sorj Chalandon, 2017
 (JF Paga)

Sorj Chalandon est né à Tunis le 16 mai 1952. Journaliste, il travaille à "Libération" de 1974 à 2007. Grand reporter, il reçoit le Prix Albert-Londres en 1988 pour ses reportages sur le procès Klaus Barbie. Depuis 2009, Sorj Chalandon est journaliste au "Canard enchaîné", ainsi que critique cinéma. En 2005 il publie son premier roman, "Le Petit Bonzi", puis l'année suivante "Une promesse", couronné par le Prix Médicis. Suivent "Mon traître" en 2008 (Prix Joseph Kessel), "Retour à Killybegs" en 2011, Grand Prix du roman de l'Académie Française. En 2013, "Le quatrième mur" reçoit le Goncourt des lycéens . En 2015, il publie "Profession du père" son roman le plus autobiographique

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