Cet article date de plus d'un an.

Rentrée littéraire : "Ouragans tropicaux ", la mort d’un "salopard" ou le voyage au bout de la désillusion d’une Cuba sclérosée

Leonardo Padura revient avec un livre ambitieux, plein d’humour et jubilatoire. Dans "Ouragans tropicaux", il développe deux récits haletants, qui se passent dans deux périodes différentes. Chef-d’œuvre.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Portrait de l'écrivain cubain Leonardo Padura. (Ivan Geménez Tusquets Editores)

Deux romans en un, pour un exercice jubilatoire et réussi. Leonardo Padura est un pessimiste multirécidiviste, ou un réaliste doté d’une lucidité mélancolique. Pour la dixième enquête de Mario Conde, ancien policier devenu détective et libraire de livres d’occasion, Ouragans tropicaux (éditions Métailié), l’écrivain cubain signe un très grand livre. Un chef-d’œuvre, sûrement l’un de ses meilleurs romans. Cette fois-ci, le célèbre détective fauché doit enquêter sur la mort d’un apparatchik. Nous sommes en 2016 à La Havane. La capitale cubaine se prépare à accueillir Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé Chanel. La police, dépassée, fait donc appel à Mario Conde qui observe cette effervescence avec détachement. "C’est comme les ouragans tropicaux : ils passent, ils font un max de dégâts et puis ils s’en vont, ils se perdent… ". Ceux qui croyaient en une nouvelle Cuba ont vite déchanté. Pour Mario Conde, il n’y aura pas un avant et un après Obama à La Havane, juste une continuité immuable, émaillée de spectacles passagers.

La mort d’un "salopard"

La victime est un ancien cadre de la censure qui veillait à ce que les artistes de l’époque respectent l’orthodoxie du régime. Des carrières, il en a brisé. Des œuvres, il en a spolié. Le meurtre du haut fonctionnaire, qui s’est enrichi sur le dos des artistes souvent voués à la misère et à l’effacement laisse Conde indifférent. "C’est que tout semble indiquer qu’on a tué un type qui, sans le moindre doute, était un salopard patenté. Un type qui avait des choses de valeur, mais qu’ils n’ont pas toutes raflées. Et qu’on a mutilé allègrement. Ce qui me fait croire qu’on ne l’a pas tué pour le voler. On l’a tué pour ce qu’il avait été et qu’il était toujours : un putain de gros salopard. Tu as vraiment besoin que j’enquête davantage ou tu me ramènes chez moi pour que je me mette à écrire ?" Le bouquiniste accepte finalement d’enquêter, non sans réticence.

La guerre des proxénètes

Mario Conde se lance dans l'instigation alors qu’il nourrit des ambitions littéraires. Sur sa machine à écrire naît un roman historique marqué par une guerre entre proxénètes français, les fameux Apaches, et cubains. Des personnages épiques prennent corps, notamment Alberto Yarini, un fils de très bonne famille et tenancier de bordel prêt à devenir président de la toute nouvelle République de Cuba. Nous sommes, alors en 1910. La comète de Halley menace la Terre. Les habitants de La Havane vivent comme si le lendemain n’existait pas. Dans un quartier pauvre, un assassinat sordide d’une prostituée, suivi par un autre tout aussi macabre, laisse planer la peur d’un meurtrier en série. Leonardo Padura décrit avec force de détails Cuba au début du XXe siècle, dans un contexte politique explosif.

Les deux narrations vont-elles se rejoindre ? Les crimes d’hier et d’aujourd’hui ont-ils un lien ? Ouragans tropicaux est vibrant d’humanité. Ouragans tropicaux est une œuvre foisonnante qui ne se résume pas. Leonardo Padura, né en 1955, raconte le Cuba de l’intérieur. Fin observateur de la société cubaine, l’auteur de la tétralogie Les quatre saisons signe un chef-d’œuvre.

(Ouragans tropicaux, Leonardo Padura, traduit par René Solis, éditions Métailié, 23,5 euros)

Couverture du livre "Ouragans tropicaux" de Leonardo Padura. (Editions Métailié)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.