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"Rêver debout" : la belle déclaration d'amour de Lydie Salvayre à Don Quichotte, à Cervantès, et à la littérature

"Rêver debout est un vibrant hommage à Don Quichotte, et à son auteur, Cervantès, subversif et subtil. A travers ce livre vivifiant, Lydie Salvayre nous interpelle sur notre monde contemporain, souvent étriqué, et sur les vertus irremplaçables de la littérature pour élargir nos horizons.  

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Portrait de la romancière Lydie Salvayre, 30 août 2021, couverture de "Rêver debout", Seuil, 2021 (JOEL SAGET / AFP)

Avec Rêver debout, publié le 19 août aux éditions du Seuil, Lydie Salvayre propose dans cette rentrée littéraire un livre inattendu. Dans ce court roman en forme de manifeste, la lauréate du prix Goncourt 2014 interpelle le créateur de Don Quichotte dans une suite de missives aussi engagées que drolatiques, qui évoquent l'Espagne de Cervantès, mais renvoient également de manière cinglante à notre époque contemporaine.

Ce nouveau roman de l'autrice de Pas pleurer est une invitation à "rêver debout", à défendre ses convictions coûte que coûte, tel le "vaillant chevalier à la triste Figure", quitte à se prendre les pieds dans le tapis, se relever, et repartir à l'assaut des noirceurs du monde pour tenter de les vaincre, encore et encore, envers et contre tout.

"Le promontoire des songes"

Dans un fervent plaidoyer, Lydie Salvayre défend Don Quichotte, en tous points. "En un mot, je suis fan", dit-elle à Cervantès. Pourquoi l'aime-t-elle autant ? D'abord pour son "goût immodéré pour la liberté et la justice". Don Quichotte ne se satisfait pas "de cette plate, cette pauvre, cette piteuse réalité".

Loin d'être un doux rêveur cherchant à "imposer une illusion spécieuse en lieu et place de la réalité", Don Quichotte au contraire "perçoit parfaitement la réalité", nous dit-elle, "mais il la perçoit depuis ce que Victor Hugo appelle le promontoire des songes".

Ainsi, à travers ses yeux, c'est une réalité "élargie" qui s'ouvre à nous, une réalité "qui se transmue, qui se déploie, s'exorbite et prend parfois des aspects fantastiques". Toujours prêt à en découdre, Don Quichotte n'est pas un calculateur, il veut "la fin sans disposer des moyens", d'où ses nombreux déboires.

"S'il échoue donc vingt fois d'affilée, c'est parce que son ambition de départ est titanesque, et son combat colossal : rien de moins que braver l'univers entier, comme il sera écrit sur sa tombe ; rien de moins que combattre l'asservissement des plus faibles, l'injustice des puissants et l'immunité des salauds."

Lydie Salvayre

"Rêver debout'", page 37

Amoureux inconditionnel de sa Dulcinée (même si cette jeune fille d'extraction paysanne, sans pedigree, "cocotte", il "l'aime dans son entièreté"), ami fidèle de son compagnon de route, Sancho Panza, qu'il traite comme son égal, Don Quichotte est un vrai rebelle, un personnage subversif, doté d'une bonté et d'un courage sans limites.

Subversif

Au fil du texte, c'est à Cervantes que Lydie Salvayre adresse son admiration, en montrant à quel point ce texte, à l'époque, était audacieux et subversif. Derrière Quichotte se cache un auteur courageux, qui pour faire passer le message sans risquer la censure ou la condamnation, n'hésite pas à ridiculiser son personnage. "J'ai l'impression que vous lui faites endosser tout ce que vous ne pouvez formuler ouvertement". Contre l'Eglise catholique, apostolique et romaine, "méchante", contre l'oisiveté de la bourgeoisie, mais pour l'égalité des hommes et l'émancipation des femmes…

"Je suis éblouie au-delà du pensable par le soin malicieux que vous mettez à déguiser votre pensée et par les ruses que vous imaginez pour accroître; en démultipliant les points de vue, les pouvoirs de votre fiction", lui dit la romancière. Car il s'agit bien de cela aussi dans ce livre, de la puissance de la littérature, de ses fonctions vitales, de sa capacité à élargir le monde. Cette littérature qui "bouscule les morales établies et toutes les polices de l'esprit".

"Est-il insensé de considérer que la littérature n'est pas lettre morte, parure de cheminée, boniment inutile, mais plutôt lettre vivre, ardente, expérience intime qui bouleverse la vie ?"

Lydie Salvayre

"Rêver debout", page 9

Et de s'interroger sur une censure "plus insidieuse" qui s'exerce aujourd'hui, imposée par des impératifs économiques qui "condamnent certains livres au silence pour ne promouvoir que ceux supposés rentables, autrement dit ceux qui, sous couleur de toucher le grand nombre, fricotent sans vergogne avec l'esprit du temps et ne reculent devant aucune lècherie". Fille de Républicains espagnols réfugiés en France, Lydie Salvayre ne mâche pas ses mots. 

Dans l'esprit de Cervantès, la romancière déploie ce texte épistolaire d'une écriture à la fois lyrique et prosaïque, charriant aussi bien les enthousiasmes que les révoltes qui sourdent derrière ce livre aux apparences légères, en réalité rageusement à contre-courant. Du très bel ouvrage plein de vitalité, qui interroge sur ce qu'il convient de tenter pour rester vivant, à savoir, "rêver debout", avec l'aide de la littérature.

"Rêver debout", Lydie Salvayre (Seuil, 208 pages, 18 €)

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