Secrets de libraire : comment réussir une belle rentrée littéraire
Jeudi 4 septembre, les premiers des 604 romans prévus pour cette rentrée 2014 sont en place depuis le 20 août, et dans cette librairie, on s'est préparé à l'évènement depuis le mois de mai dernier. De longs mois de préparation, de lectures, de prévisions, d'achats, de stratégies, de mise en place et de "réassort"…
Statistiques, anticipation et stratégie
"L'acheteur travaille sur les quantités dès le mois de mai", explique Fabien Vignaud, le responsable littérature et documents de la librairie Chantelivre à Issy-les-Moulineaux. L'acheteur est l'intermédiaire entre la librairie et le diffuseur. Le choix d'un titre et la quantité d'exemplaires commandés est le fruit d'un savant dosage entre la notoriété de l'auteur, les statistiques des ventes des précédents romans, ce qui pourrait plaire à la clientèle de la librairie, et aussi les goûts du libraire. "L'idée n'est pas d'avoir une quantité astronomique mais de trouver ce qui permettra d'honorer la demande", explique le libraire.
Ensuite, chaque jour, en fonction des ventes, de l'actualité ou d'une lecture coup de cœur, le libraire affine en faisant ce que l'on appelle dans le jargon le "réassort", autrement dit de nouvelles commandes "Par exemple pour "Le royaume", d'Emmanuel Carrère, on en avait commandé 50 exemplaires et en trois jours on a déjà vendu 35. Donc là j'ai tout de suite appelé le représentant pour en redemander", explique Fabien Vignaud.
"Je lis en priorité ce qui me fait vraiment envie"
Pour le libraire, la rentrée se prépare aussi en lisant. Fabien Vignaud y a passé son été, maintenant il y passe "toutes ses soirées". Comment choisir dans la masse des 607 romans ? "D'abord les éditeurs organisent des réunions de présentation des livres dès le mois de mai. Ensuite on peut avoir des épreuves, et donc commencer à lire très en avance".
Fabien Vignaud déclare en avoir lu peu jusqu'ici. Peu, c'est quand même une vingtaine de romans. "Je lis pendant les vacances, donc j'essaie de me faire plaisir, de lire ce qui me fait vraiment envie", avoue-t-il. Lecture en priorité donc, des romans susceptibles de lui plaire.
"Bon mais il y a aussi les figures imposées". Cette année c'était le Carrère, par exemple. "Mais je ne me fie pas qu'à mes goûts. J'essaie de discerner ce qui pourrait plaire aux lecteurs, même si moi cela ne me plaît pas. Et puis je lis aussi la presse et j'échange avec mes collègues d'autres librairies… Pour cette rentrée, Fabien Vignaud a déjà ses chouchous : "Le fils" (Albin Michel) de Philip Meyer, "Viva" (Seuil), de Patrick Deville, et "Peine perdue" (Flammarion) d'Olivier Adam.
"C'est une question de couleurs, de relief et de mouvement"
Bien vendre les livres de la rentrée, c'est aussi une question de présentation."C'est une question de relief, de couleurs, de thèmes et de mouvement". Trois tables et un présentoir vertical sont consacrés presque exclusivement aux livres de la rentrée. "J'essaie de jouer avec les couleurs. Si je juxtapose des livres tous blancs, ou même tous de la même couleur, ils s'annulent", explique Fabien Vignaud. "J'essaie de ne pas faire quelque chose de plat, je joue sur les reliefs et aussi sur le mouvement".
Ici pas de bandeaux, pas de petites notes rédigées par le libraire sur les livres, Fabien Vignaud privilégie avant tout le contact avec les clients. "Par exemple, les livres que j'ai lu et que je défends, je ne les mets pas forcément près de l'entrée. Parce que je préfère les prendre en main pour en parler, et dans l'entrée, ce n'est pas le meilleur endroit, ça dérange", explique-t-il.
"Je ne m'impose pas de règles. C'est selon l'humeur, selon l'actualité. Je fais tourner les livres dans la librairie, je m'amuse à faire des expériences. Parfois je place un livre à un endroit dans la librairie et il ne se vend pas. Je le change de place et hop, il se vend. Il paraît que cela s'appelle les zones de vente chaudes ou froides, il y a des théories là-dessus, mais moi, je fais au feeling", ajoute le libraire.
En attendant la rentrée de janvier
La vitrine aussi fait l'objet d'une grande attention. "On commence par une vitrine rentrée littéraire un peu neutre, avec les livres dont les gens ont entendu parler. Mais dans un deuxième temps on refait la vitrine. Là on a déjà commencé à y réfléchir. Une vitrine avec le roman de Carrère et des livres autour de la religion. Il y a aussi cette année plusieurs romans qui mettent en scène des écrivains, comme Begbeider avec Salinger, Deville avec Malcom Lowry ou Lydie Salvayre avec Bernanos. C'est une autre piste pour notre prochaine vitrine".
Un travail de tous les jours, donc, que cette rentrée littéraire, jusqu'à la prochaine. "Trop tôt ! Quand j'ai commencé il y a quinze ans je ne me souviens pas qu'il y avait une rentrée de janvier. Là, on a à peine fini le travail sur les livres de l'automne, qu'il faut déjà penser à la rentrée de janvier, avec entre temps les fêtes de fin d'années", conclut le libraire, avec le sourire, toujours. Même si aujourd'hui la rentrée littéraire a été un peu éclipsée par la sortie impromptue d'un essai qui a fait exploser en un jour les records des ventes, écrit par une certaine ex-Première dame.
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