"Sérotonine": Michel Houellebecq est-il vraiment un écrivain visionnaire ?
Depuis vendredi, les fans de Houellebecq se ruent sur son dernier roman, "Sérotonine", impatients de replonger dans l’univers sombre de l’"enfant terrible" de la littérature française. Une perception du monde, une façon de rendre compte de la souffrance des gens et de parler de l’envers du décor, de ce dont personne ne veut entendre parler, qui fait la richesse du style Houellebecq, mais qui en agace certains selon Agathe Novak-Lechevalier, auteur de "Houellebecq, l’art de la consolation" (Stock).
Visionnaire ?
Ici l’auteur se penche sur la condition et le désespoir des paysans français accablés par la mondialisation et les politiques européennes, avec des scènes qui évoquent le mouvement des gilets jaunes, par la violence des actions, et par l'émergence d'une parole jusque-là interdite à cette frange de la population.Reportage: L. Hakin / E. Beraud / L.Hauville
Deux précédents
Le 3 septembre 2001 paraît "Plateforme". Il y est question de tourisme sexuel en Thaïlande. Peu avant la fin du roman, un groupe d'islamistes massacre 117 personnes dans une boîte de nuit fréquentée par des touristes étrangers (dont Valérie, la femme du narrateur). Huit jours après la sortie du roman, surviennent les attentats du 11 septembre. Mais c'est au moment des attentats de Bali (en octobre 2002) que certains évoquent "la capacité prédictive" des intuitions de Houellebecq. Sur l’île indonésienne, des islamistes ont attaqué deux boîtes de nuit fréquentées essentiellement par des Occidentaux.Dans un texte paru en décembre 2002, l'universitaire Jean-Luc Azra parle d'un "roman prémonitoire". "L'attentat fictif du roman et celui, réel, survenu un an plus tard impliquent la même partie du monde, les mêmes circonstances précises, des assassins similaires, des victimes en nombre comparable et d'origine identique", écrit l'universitaire. "Pourtant, ajoute-t-il, "Plateforme" n'est ni un roman sur l'islamisme ni un roman sur le terrorisme (...) Houellebecq ne se pose pas en spécialiste du terrorisme, et on sait par ailleurs qu'il a de l'Islam une vision biaisée et au moins caricaturale. Dans ce cadre, on peut se dire que cette similitude de lieux, de circonstances et d'acteurs n'est peut-être qu'une simple coïncidence.
Force est cependant d'admettre, pour le moins, que Houellebecq a bien compris "quelque chose" au monde moderne (...)'quelque chose' qui n'a réellement été entrevu par personne et qui nous donne à penser qu'il pourrait bien nous en apprendre encore sur notre avenir".
"Soumission" et Charlie
"Soumission" paraît le 7 janvier 2015, le jour de l'attentat contre Charlie Hebdo. Dans ce livre, l'écrivain imagine l'élection d'un président musulman en France en 2022. Avant même sa parution le livre fait polémique. Michel Houellebecq évoque des émeutes à Paris, décrit un pays au bord de la guerre civile. "Une colonne de fumée s'élevait dans le ciel au-dessus des immeubles; cela devait venir à peu près de la place de Clichy...", écrit-il.Charlie Hebdo, où l'écrivain compte des détracteurs et des amis (notamment l'économiste Bernard Maris), a pris le parti d'en rire. La couverture du numéro du 7 janvier dessinée par Luz représente l'écrivain sous le titre "les prédictions du mage Houellebecq".
Caricaturé en diseur de bonne aventure, l'écrivain déclare: "En 2015 je perds mes dents...", "En 2022, je fais ramadan". L'attentat qui fera 12 morts dont Bernard Maris, contraint Houellebecq à suspendre la promotion de son livre.
Trois ans après, le journal satirique n'a pas perdu son sens de l'humour. "Le prochain livre de Houellebecq sortira le 4 janvier. On s'abstiendra d'en dire du mal : la dernière fois, ça ne nous a pas franchement réussi."
Ce qu'en pense Houellebecq
Entretien aux Inrockuptibles, 2005 (à propos de "Plateforme"): "J'ai trouvé qu'on exagérait quand même un peu mes capacités prophétiques (...) Le fait que les musulmans allaient finir par réagir négativement au tourisme sexuel n'était pas très difficile à prévoir. C'était une prophétie mais pas une prophétie difficile".Entretien à La Revue des Deux Mondes, été 2015 : "Si je regarde mes livres, je dirais que je constate, et puis après je fais des projections, qui ne sont pas des prophéties... C'est assez difficile à expliquer, la projection dans la science-fiction. On va prendre un cas typique : quand Orwell écrit 1984 en 1948 en Angleterre, il ne dit pas du tout que c'est ce qui va arriver. Il veut exprimer une peur qui est dans l'inconscient des Britanniques de son époque, qui est on va tous devenir socialisés et contrôlés. "
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