"Soixante kilos de soleil" de Hallgrimur Helgason : les requins, le hareng et Gestur
Avant de devenir une destination touristique, l’Islande était un des pays les plus pauvres d’Europe. À la fin du XIXe siècle, le pays vivait dans une terrible misère. Soixante kilos de soleil (éditions Gallimard) s’ouvre sur un drame qui donne tout son souffle à cette fresque historique bouleversante. Hallgrimur Helgason, peintre avant de devenir écrivain, décrit l’Islande comme un tableau blanc : "Le fjord se résumait à un manteau immaculé à perte de vue depuis la cascade la plus enfoncée à l’intérieur des terres jusqu’à l’océan, et l’on avait aucun moyen de distinguer sous cette immensité ce qui était la mer de ce qui était la terre."
À la veille de Noël, le fermier Eilifur Gudmundsson brave les éléments pour aller chercher les trois kilos de farine qui sauveront sa famille de la famine. À son retour, plus de maison. Une avalanche a tout emporté. Un miracle : la vache a survécu et, surtout, le fils de Eilifur Gudmundsson, petit garçon de deux ans, Gestur. En voyant grandir Gestur, on suit l’histoire de l’Islande, qui s’extrait progressivement d’un passé fait de privations et de souffrances.
Après les requins, le hareng
Gestur représente cette transition de la pêche au requin, qui a emporté son père, à celle du hareng, censée apporter la prospérité pour tout le pays. En découvrant le capitalisme et le salariat, les Islandais accèdent à un autre univers. Lorsque les Norvégiens arrivent avec la pêche au poisson pélagique, Gestur, lui, rêve d’Amérique avant de rejoindre le petit port de Fanneyri. Il fait son deuil d’un ailleurs plus clément, plein de promesses fantasmées, pour se fixer sur l’île volcanique. Avec ses églises qui s’envolent, emportées par des bourrasques, une presque fiancée en manque d’affection et d’attention, et des voisins lunaires, attendrissants.
Hallgrimur Helgason raconte avec un humour féroce non dénué de tendresse une nation qui se "contente d’affronter une tempête à la fois et imagine toujours que le temps finira par se lever". L’auteur de 101 Reykjavik (Actes Sud, 2002) est un formidable conteur qui cultive une ironie caustique. Et un amour monumental pour son peuple. "Les Islandais avaient beau habiter depuis mille ans un des endroits les plus neigeux du monde, ils continuaient à espérer que cet épais manteau n’était qu’un phénomène passager et n’avaient jamais conçu des outils efficaces pour lutter contre la neige. C’est un exemple criant de l’infatigable optimisme de notre nation". Ses personnages secondaires sont très attachants. Et ses portraits émouvants.
Soixante kilos de soleil, premier tome d’une trilogie, (le second est paru en 2021, mais non encore traduit), est une preuve d’amour, acte de résilience et de grande générosité. Soixante kilos de soleil, une œuvre poétique.
("Soixante kilos de soleil", Hallgrimur Helgason, traduit par Éric Boury, Gallimard, Paris, 560 pages, 27 euros)
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