Cet article date de plus de dix ans.
"Taipei" de Tao Lin, le roman halluciné d'une génération (dé)connectée
Bret Easton Ellis le considère comme "le styliste le plus intéressant de sa génération" et la presse anglo-saxonne a réservé un triomphe à "Taipei", son dernier roman, publié en France le 16 janvier aux éditions Au diable Vauvert. Tao Lin y raconte dans un style inédit la vie d'un jeune écrivain consommateur de drogues en tous genres, qui cherche un sens à sa vie.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'histoire : Paul a 26 ans, il écrit des livres et fait des tournées promotionnelles, voit ses amis, se sépare de sa petite amie et en trouve une nouvelle, mais surtout il se drogue, et ça l'occupe pas mal. Paul est un américain d'origine chinoise. Sa famille est retournée vivre à Taiwan après 30 ans de vie en Floride. Paul passe beaucoup de temps sur son lit, devant l'écran de son Macbook ou rivé sur celui de son iphone. Il fait des expériences sous l'effet de la drogue (réaliser des films avec son ordinateur dans un centre commercial, par exemple), ou se drogue pour vivre des expériences (être défoncé pendant une lecture publique, par exemple).
Comme Baudelaire, Thomas Quincey ou William Burroughs en leur temps, Tao Lin décrit les "paradis artificiels", sauf qu'il ne s'agit plus d'opium ou de haschisch mais de substances chimiques, dont les noms (Adderral, MDMA, Oxycodone, Seroquel, LSD, Ritaline…) sonnent comme des ordonnances pharmaceutiques (ou de la poésie, c'est selon).
L'écrivain décortique les effets de la drogue, mais pas seulement. Bien d'autres sujets traversent ce roman : quête de sens, famille, rapports avec la mère, amour, sexualité, solitude irrémédiable, y compris dans une société où les "réseaux sociaux", la "communauté", et le "partage" sont légion.
La singularité d'une écriture
On ne sait pas vraiment où mène le récit, comme si l'écrivain avait découpé une tranche dans la vie de son personnage (deux ans environ) et décidé de nous la donner à observer au microscope. Mais au-delà des questions abordées, fortement inscrites dans le présent, c'est surtout la manière de raconter qui fait de ce roman un livre parfaitement neuf. Tao Lin décrit son personnage, ses faits et gestes, lieux, sentiments et sensations avec un soin quasi clinique, à la manière (presque) d'un commentaire de documentaire animalier.
Dans "Taipei" on ne dit pas "tomber amoureux", on dit "une situation stable d'attraction mutuelle et croissante". On ne dit pas "manger" mais "ingérer". Tao Lin précise les heures des évènements, des plus anodins aux plus importants, et leur durée : "Ils s'étaient enlacés dix à quinze secondes puis avaient commencé à s'embrasser et à enlever leurs vêtements".
D'où cette impression par moments de lire un procès verbal, un précis de psychologie, une étude d'anthropologie ou une thèse en sciences comportementales, tous ces éléments étant pourtant intégrés à un récit romanesque. On pourrait s'y ennuyer (comme devant un documentaire animalier) mais il y a aussi dans "Taipei" des morceaux de pure poésie, des phrases à perdre haleine. Des phrases "pour expliquer aux gens comment parvenir jusqu'à lui, pour décrire la géographie particulière de l'autre monde dans lequel il était reclus."
"Taipei" est le récit d'une adolescence qui se prolonge, effet d'un monde de plus en plus virtuel, où il faut caresser la mort pour se sentir vivant.
Taipei Tao Lin traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé (Au diable vauvert – 346 pages – 20 euros).
Extrait
Il avait envie de se cacher en rapetissant en dessous de zéro, passant par le point à la fin de lui-même, jusqu'à une taille négative, pour atteindre un autre monde dans lequel il trouverait un endroit – une ville immense, trop grande pour se connaître elle-même, ou une banlieue à la lente croissance- où être seul et se bâtir soigneusement une vie qui lui permettrait peut-être de commencer, tôt ou tard, à réfléchir à ce qu'il allait faire de lui-même.
Tao Lin, né en 1983, est l'une des voix les plus remarquées de la jeune littérature américaine et l'auteur de poèmes de nouvelles et de romans. Il est l'auteur de deux recueils de poésie, "Thérapie cognitive du comportement" (Au diable vauvert) et "You are a little bit happier than i am", d’un recueil de nouvelles, de la novella "Vol à l’étalage chez American Apparel" et de trois romans, dont "Richard Yates", paru Au diable vauvert en 2012. Il vit à Brooklyn.
(Source : Editions Au diable vauvert).
Comme Baudelaire, Thomas Quincey ou William Burroughs en leur temps, Tao Lin décrit les "paradis artificiels", sauf qu'il ne s'agit plus d'opium ou de haschisch mais de substances chimiques, dont les noms (Adderral, MDMA, Oxycodone, Seroquel, LSD, Ritaline…) sonnent comme des ordonnances pharmaceutiques (ou de la poésie, c'est selon).
L'écrivain décortique les effets de la drogue, mais pas seulement. Bien d'autres sujets traversent ce roman : quête de sens, famille, rapports avec la mère, amour, sexualité, solitude irrémédiable, y compris dans une société où les "réseaux sociaux", la "communauté", et le "partage" sont légion.
La singularité d'une écriture
On ne sait pas vraiment où mène le récit, comme si l'écrivain avait découpé une tranche dans la vie de son personnage (deux ans environ) et décidé de nous la donner à observer au microscope. Mais au-delà des questions abordées, fortement inscrites dans le présent, c'est surtout la manière de raconter qui fait de ce roman un livre parfaitement neuf. Tao Lin décrit son personnage, ses faits et gestes, lieux, sentiments et sensations avec un soin quasi clinique, à la manière (presque) d'un commentaire de documentaire animalier.
Dans "Taipei" on ne dit pas "tomber amoureux", on dit "une situation stable d'attraction mutuelle et croissante". On ne dit pas "manger" mais "ingérer". Tao Lin précise les heures des évènements, des plus anodins aux plus importants, et leur durée : "Ils s'étaient enlacés dix à quinze secondes puis avaient commencé à s'embrasser et à enlever leurs vêtements".
D'où cette impression par moments de lire un procès verbal, un précis de psychologie, une étude d'anthropologie ou une thèse en sciences comportementales, tous ces éléments étant pourtant intégrés à un récit romanesque. On pourrait s'y ennuyer (comme devant un documentaire animalier) mais il y a aussi dans "Taipei" des morceaux de pure poésie, des phrases à perdre haleine. Des phrases "pour expliquer aux gens comment parvenir jusqu'à lui, pour décrire la géographie particulière de l'autre monde dans lequel il était reclus."
"Taipei" est le récit d'une adolescence qui se prolonge, effet d'un monde de plus en plus virtuel, où il faut caresser la mort pour se sentir vivant.
Taipei Tao Lin traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé (Au diable vauvert – 346 pages – 20 euros).
Extrait
Il avait envie de se cacher en rapetissant en dessous de zéro, passant par le point à la fin de lui-même, jusqu'à une taille négative, pour atteindre un autre monde dans lequel il trouverait un endroit – une ville immense, trop grande pour se connaître elle-même, ou une banlieue à la lente croissance- où être seul et se bâtir soigneusement une vie qui lui permettrait peut-être de commencer, tôt ou tard, à réfléchir à ce qu'il allait faire de lui-même.
Tao Lin, né en 1983, est l'une des voix les plus remarquées de la jeune littérature américaine et l'auteur de poèmes de nouvelles et de romans. Il est l'auteur de deux recueils de poésie, "Thérapie cognitive du comportement" (Au diable vauvert) et "You are a little bit happier than i am", d’un recueil de nouvelles, de la novella "Vol à l’étalage chez American Apparel" et de trois romans, dont "Richard Yates", paru Au diable vauvert en 2012. Il vit à Brooklyn.
(Source : Editions Au diable vauvert).
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.