"Trois jours chez ma tante", le dernier roman diabolique d'Yves Ravey
Marcello Martini a peu de temps devant lui, dans le bras de fer qui l'oppose à sa tante pour récupérer le morceau. On l'attend en Afrique, au Liberia, où il s'occupe d'affaires humanitaires. Ce retour le propulse dans le passé, 20 ans en arrière, au cœur des événements qui ont précédé et précipité son départ de la France…
Pièce par pièce, le romancier reconstitue "façon puzzle" le scénario qui autrefois obligea Marcello Martini à quitter la France. Le récit est déroulé à la première personne et c'est donc à travers son propre récit que l'on découvre qui est Marcello Martini, progressivement démasqué au gré des événements qui s'enchaînent et qu'il a de plus en plus de mal à maîtriser, laissant le piège se refermer sur lui.
Yves Ravey : l'art d'installer une ambiance
Yves Ravey déploie son roman avec lenteur, s'attardant sur les petits détails anodins : les yeux verts de l'auxiliaire de vie, un tube de rouge à lèvres en équilibre sur une tablette, les hortensias desséchés du parc de la maison de retraite, "une paire de lunettes de soleil disposée dans son étui, sur la couverture, à côté d'un journal"…Ces détails ne font pas avancer l'intrigue. Ils posent un décor, une ambiance. Yves Ravey est un champion olympique. D'un rien, il vous fait plonger dans une atmosphère pesante, oppressante, faisant monter peu à peu le suspense, et vous faisant transpirer à la simple évocation d'une "plume crissant sur le papier".
Derrière le suspense il y a aussi l'exploration d'une personnalité, vue de l'intérieur (on vous laisse la découvrir). Avec ce 18e roman, Yves Ravey pousse à son paroxysme son style, épuré et ultra efficace, agrémenté d'une pincée d'humour (noir bien sûr). "Trois jours chez ma tante" est dans la liste de la première sélection du Goncourt 2017.
"Trois jours chez ma tante", d'Yves Ravey
(Éditions de Minuit – 192 pages – 15 €)
Lire l'interview d'Yves Ravey
Extrait :
"Ma tante a saisi la soucoupe d’une main, ensuite elle s’est laissée aller dans le creux de son siège, pour porter la tasse à ses lèvres, et elle a bu, doucement, avec cette remarque que l’infusion avait déjà refroidi, me priant de le faire savoir à la personne qui lui avait apporté son plateau.
"Trois jours chez ma tante", page 177, Yves Ravey (Editions de Minuit)
Elle a reposé la tasse. Je n’ai pas pris le risque de sonner le personnel pour qu’on lui serve une autre verveine. Elle m’a dit souhaiter en finir. J’ai sorti son stylo-plume, et j’ai dévissé le capuchon, avec cette remarque que je n’avais pas besoin de beaucoup de temps pour remplacer la cartouche, ce que j’ai fait en quelques gestes. Je lui ai rappelé qu’on pouvait aussi trouver des encres couleur turquoise, bleu nuit, bleu outremer, j’en avais aperçu dans le tiroir de son meuble de bureau, dont une rouge orient... Ensuite, je m’étais arrêté dans un magasin spécialisé, et j’avais pris soin d’acheter des cartouches violettes.
Ma tante avait cette fois le stylo bien en main. J’ai approché le chèque sorti à l’instant de mon portefeuille.
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