"Tu t’appelais Maria Schneider" : fragments de vie d'une star brisée
Pour le grand public, Maria Schneider (1952-2011) évoque avant tout la Jeanne de vingt ans du “Dernier Tango à Paris”, l'objet d'un fantasme sexuel masculin avant d'être une femme libre de son destin. Faut-il le rappeler ? La scène phare du film représente un viol. Violence vécue en direct par l'actrice, non prévenue quand Marlon Brando, couchée à côté d’elle, lui baisse son jean, se plaque contre elle et mime en direct une scène de sodomie.
“La scène du beurre est une idée que j’ai eue avec Brando le matin du tournage”, expliquera sans honte, sans regrets et sans remords le cinéaste Bernardo Bertolucci à la Cinémathèque de de Paris en 2013. “Je ne voulais pas que Maria joue l’humiliation et la colère, je voulais qu’elle ressente l’humiliation et la colère”. Elle ne lui pardonnera jamais ni l'agression, ni cette image qui la marquera au fer rouge.
“Après le Tango, tu n’as plus dessiné”
Quel aurait été le destin de l’actrice de vingt ans sans ce film qui l’a broyée ? Écrivain et journaliste au “Monde”, sa cousine Vanessa, de dix-sept ans plus jeune, ne se perd pas en conjectures. Elle raconte une autre Maria, qu’elle a connue et côtoyée, et avec qui elle partage une histoire familiale tourmentée.
Plus précisément, par flashes successifs, elle raconte plusieurs Maria. Une jeune fille lumineuse, qui danse joyeusement sur les tables des boîtes de nuit où l’emmène son père biologique Daniel Gélin (marié par ailleurs, il ne l’a pas reconnue à la naissance). Une enfant douée qui dessine “d’un trait précis des hommes et des femmes vêtues d'étoffes colorées à la manière des estampes japonaises”. Des “couples, des princesses, des mariés, des danseurs”, qu’elle décline sur des cartes de vœux ou des menus de restaurant, et dont “Régine Desforges raffole”. “Après le Tango, tu n’as plus dessiné”, note tristement l’auteure.
Bardot et Delon comme parrains de cinéma
Flanquée à la porte de chez elle par sa mère, Maria est recueillie à seize ans par Brigitte Bardot, qui la prend sous son aile. La star des années 60 accueille l'adolescente dans son appartement de l'avenue Paul Doumer, dans le 16e arrondissement, avec une générosité qui ne se démentira jamais. La jeune fille, d'ailleurs, est douée pour se trouver de prestigieux parrains.A 17 ans, elle est recrutée par Alain Delon pour une apparition dans “Maddly”, où joue le couple vedette Delon-Mireille Darc. Après "Le dernier Tango", cette Maria rayonnante sombre, flambant l’argent du film délétère dans l’héroïne et effrayant sa cousine Vanessa, avec ses bras percés de multiples piqûres. Menaces, internement, cures de désintox n’y feront rien jusqu’à ce qu’elle rencontre, à l’aube des années 80, "A." (son nom n'est pas donné), jeune étudiante en cinéma qui la sauvera, et deviendra la compagne d’une vie.
Le chaos familial en héritage
Revient la possibilité du bonheur, même si des ombres tenaces planent sur la jeune femme. Des fantômes que sa cousine Vanessa projette en pleine lumière, à commencer par le couple grand-parental embrouillé qu'elle partage avec l'actrice. Car le père de la journaliste et la mère de Maria appartiennent à une même fratrie de sept enfants “réunie sous le patronyme de Schneider”. Les deux ont grandi, comme les autres, “entre un père officiel pianiste et homosexuel mort trop jeune et une mère violoniste et alcoolique partie trop tard”.En réalité, les enfants sont issus de quatre pères biologiques différents, plus ou moins connus. A partir de ce nœud familial toxique, chacun(e) se construira à sa façon, dans l’excès de rigidité, fût-il maoïste (comme le père de Vanessa) ou la continuation du désordre (comme la mère de Maria). Deux générations plus tard, les deux cousines sont aussi les héritières de ce chaos. Elles avaient songé à signer ensemble ce récit tentant de démêler l'écheveau, comme Maria l'avait voulu, avant d'y renoncer. Le cancer a rattrapé cette fumeuse, avant de la tuer à 58 ans.
La journaliste du "Monde" écrit donc seule cette histoire, quitte à fouiller plus loin que ne l'aurait souhaité Maria. Il nous semble cependant que, sous sa plume habile et empathique, la belle interprète de "Profession reporter" (son film préféré, signé Antonioni) reprend vie, dans un jeu d'émouvants fragments où brillent encore ses yeux noirs. Et qu'on voit encore rire, en trinquant au champagne, cette "étoile" à la "chevelure sauvage" et aux "yeux tristes", à qui, après sa mort, l'Américaine Patti Smith a dédié la chanson "Maria".
"Tu t'appelais Maria Schneider", de Vanessa Schneider
(Grasset, 260 pages, 19 euros)
Extrait
Parfois au cours de rencontres familiales, tu faisais allusion à ce livre. Tu disais que tu n'étais pas encore prête, mais que nous le ferions un jour. Je faisais semblant de te croire, je me doutais que tu ne t'y résoudrais jamais. Je savais alors que je l'écrirais seule. Non pas ton histoire, qui t'appartient et dont je sais finalement si peu de choses, mais la nôtre".
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