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"Un autre Eden" : Bernard Chambaz, en quête de son fils disparu, trace la route à vélo dans les pas de Jack London

Bernard Chambaz nous embarque sur son porte-bagage dans un périple sur les traces de Jack London, ce grand écrivain du XXe siècle. Une aventure doublée d'un voyage intérieur vers son garçon, Martin, disparu dans un accident de voiture à l'âge de seize ans. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le romancier Bernard Chambaz (Astrid di Crollalanza / Seuil)

Jack London et Martin, le fils de l'auteur, sont tous les deux nés en janvier 76, à un siècle de distance. Le premier est mort à quarante ans à l'issue d'une vie si pleine qu'elle en contient des milliers. Quarante ans. C'est l'âge qu'aurait aujourd'hui le second, ce fils disparu dans un accident de la route à seize ans. Le poète et romancier Bernard Chambaz les réunit dans un voyage géographique, littéraire, astrologique et poétique. Avec Un autre Eden, publié aux éditions du Seuil le 14 août, le romancier (à vélo) et son "amoureuse" entament ensemble un voyage entre les Etats-Unis et le Canada, sur les traces de Jack London. Un voyage au cours duquel Martin, leur fils disparu, manifeste sa présence, "descendu de je ne sais quel angle du ciel dans un froissis de soies".

L'histoire : c'est celle, romancée, de la vie du grand écrivain aventurier du XXe siècle, auteur de L'appel de la forêt ou de Croc Blanc. Chambaz remonte aux sources de l'enfance : sa mère Flora, qui se retrouve seule avec cet enfant, et qui lui apprend à lire à quatre ans et veille à ce qu'il ne manque de rien pour l'étude mais qui le confie à une nourrice, Virginia. Puis sa mère se marie et il devient Jack London.

Bernard Chambaz nous raconte la découverte et l'appétit pour la lecture de Jack London et "les histoires qui le tirent hors de son monde". L'enfant commence avec des livres prêtés par sa maitresse, qu'il met en scène dans la cour de la ferme familiale pour les garder en mémoire après les avoir rendus. Une passion qu'il pourra ensuite cultiver avec l'aide de Miss Coolbrit, employée de la bibliothèque publique d'Oakland mais aussi écrivaine et poète. Jack s'initie aussi dans la baie de San Francisco aux joies de la navigation, qu'il découvre avec son beau-père. C'est le début d'une passion pour la mer, les bateaux, et les voyages, qui ne le quittera jamais 

Des livres et des aventures

Dès l'enfance, le jeune Jack doit aussi aider la famille à vivre. Il commence des petits boulots "débitant des bâtons de glace l'été, balayant les pistes d'un bowling le week-end, livreur de journaux, à pied d'œuvre pour l'édition du matin et pour l'édition du soir, la nuit noire l'hiver". Et à treize ans, c'est l'usine et la prise de conscience des injustices, terreau de son engagement futur du côté du socialisme. Puis la chasse aux phoques à 17 ans, puis les premiers écrits, les reportages, les femmes, les guerres, la gloire, la paternité, le ranch, le Snark (son bateau), le surf, la photographie, le tour du monde et Charmian, "son opérante merveille de gonzesse" ... Bref, une vie comme un roman d'aventures. 

Un autre Eden est un voyage dans l'histoire de ce grand écrivain et homme libre mais aussi dans l'histoire avec un grand H et dans celle de la littérature du XXe siècle, qui irrigue tout le roman. A ce récit épique s'ajoutent, comme des pauses dans le tourbillon "londonnesque", en chapitre courts et pudiques, des séquences qui évoquent le disparu, en conversation avec Jack London, ou apparaissant au détour d'un paysage, "soudain, radieux, dans le reflet d'une vitre".

Avec ce dernier roman, Bernard Chambaz poursuit une œuvre romanesque hantée par le deuil. Dans une langue magnifique, il raconte avec une liberté et un souffle époustouflants la vie aventurière de Jack London, qui dans son sillage offre au fils disparu une nouvelle présence au monde.

Couverture de "Un autre Eden", de Bernard Chambaz (2019) (ÉDITIONS DU SEUIL)
Un autre Eden, Bernard Chambaz (Seuil – 342 pages – 19,50 €)

Extrait :

"En route pour les Marquises pour deux mille milles dans l'inconnu. Pas de manuel nautique, pas d'île, pas de bateau. Ces deux mois seront les plus beaux, dans une solitude complète, juste l'océan et le ciel "comme une queue de paon", la ligne d'horizon pour tout horizon, puisant là une preuve ontologique de l'existence de soi, ratant même le cérémonial du passage de la ligne équatoriale à cause d'un grain violent. Aucune monotonie dans la routine, que ce soit à la barre, sur le pont, dans la cabine, la consultation des grandes cartes marines, l'entretien des gréements, la lecture à haute voix le soir, Jack alternant Melville et Stevenson et les nouvelles qu'il rédige au jour le jour, les anecdotes de la terre ferme quand le marin hollandais raconte les joies du patin à glace sur les canaux gelés et Martin Johnson sa fugue à l'âge de treize ans à travers les épis de maïs, les parties de poker, les parties de pêche à la ligne ou la Winchester, les thons à nageoires jaunes, les daurades qui escortent les myriades de poissons volants, une tortue verte, les parties de boxe entre Jack et Charmian, puis, quand ils ont remisé les gants, "le festival de météorites" et alors chacun fait un vœu."

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