"Un chien à ma table" de Claudie Hunzinger, Prix Femina 2022: une peinture de la nature sauvage et du monde animal
Le livre vient d'obtenir le prix Femina 2022 : "Un chien à ma table" met en scène un étrange trio : une petite chienne, une écrivaine et son compagnon, qui vivent une vie en marge au fin fond des Vosges. Avec ce roman, Claudie Hunzinger raconte d'une plume organique une expérience quasi chamanique déclenchée par l'apparition d'un chien.
La plasticienne et romancière Claudie Hunzinger, autrice des Grands cerfs (Prix Décembre 2019) vient d'obtenir le prix Femina 2022 avec son roman Un chien à ma table, qui nous questionne sur l'état d'un monde en déclin. La romancière y dresse le portrait d'un couple vieillissant bousculé par l'arrivée inopinée d'une jeune chienne dans leur vie. Ce roman en clair-obscur (surtout en clair), qui fait jaillir des "éclairs de joie" sur "un temps d'effroi global", est paru le 24 août aux éditions Grasset et figurait dans plusieurs listes des prix littéraires de l'automne.
L'histoire : Sophie et Grieg, une écrivaine et son compagnon, un "vieux grigou" boulimique de lecture, vivent depuis trois ans au fin fond d'une forêt vosgienne, dans un lieu-dit baptisé "Les Bois-bannis". Un lieu qu'ils ont choisi, loin des villes, et même du premier village ou d'un supermarché. "Quand on en faisait le tour, ce n'était que forêt et firmament ; pâturages phosphorescents ; arcs-en-ciel immenses et toujours doubles, intensément colorés".
De temps à autres, "l'écri-vaine" comme l'a surnommée son facétieux compagnon, sort des bois et se rend en ville, pour des rencontres en librairie ou la sortie d'un roman. Grieg, lui, ne vit plus que la nuit, exclusivement dans les livres. Ces deux-là se connaissent depuis toujours, ont grandi ensemble, se sont aimés, et vieillissent ensemble, côte à côte, observant impuissants "le corps prendre ses distances" et le monde se charger de "bizarreries", un monde en déclin où des sangliers obèses, prolifèrent, un monde où "le pire peut arriver d'un instant à l'autre".
Et puis un jour, juste avant la tombée de la nuit, une petite chienne portant des traces de maltraitance débarque dans leur retraite. Ce petit chien, qui s'invite "à leur table" (mais aussi dans leur lit), va réenchanter leur vie.
"Une myriade d'existences"
Un chien à ma table est un livre en clair-obscur, dans lequel Claudie Hunzinger peint autant le désastre qui menace la planète, que sa foudroyante beauté. L'arrivée de la petite chienne baptisée Yes apparaît comme une épiphanie pour celle qui retrouve l'énergie en sortant, en vivant dehors, en goûtant la nature, avec qui elle fait littéralement corps, se nourrissant de sa force. Cette joie contamine bientôt Grieg, qui sort de sa retraite.
"Ce qui m'a permis de comprendre qu'on n'est pas emmuré dans notre espèce, une espèce séparée des autres espèces, différente mais pas séparée, et que faire partie des humains n'est qu'une façon très restreinte d'être au monde. Qu'on est plus vaste que ça"
"Un chien à ma table"p.134
Les deux vieux amoureux refont chambre commune dans un lit construit pour l'occasion, avec entre eux le corps de Yes. Claudie Hunzinger peint d'une écriture organique cette expérience quasi chamanique, et l'euphorie qui s'empare de cette vieille dame qui "ne se sent bien que dans les marges et les broussailles", se "méfie du mot nature" et puise une nouvelle vitalité dans la résilience d'une petite chienne brisée et dans la puissance de la vie, qui grouille au dehors autant qu'à l'intérieur d'elle-même, débordante malgré la catastrophe annoncée.
Ce livre un peu foutraque, bourré de fantaisie, est une invitation au pas de côté, une ode à la nature, à la vie, à la poésie, preuve que l'écrit n'est pas vain. Certaines pages sont d'une beauté à couper le souffle. Un chien à ma table figure sur les deuxièmes sélections des prix Renaudot, Femina, et Medicis.
Un chien à ma table, de Claudie Hunzinger (Grasset, 288 p., 20€)
Extrait :
"Bien sur, j'avais l'air d'être une femme en pull et jogging et grosses chaussures, accompagnée de son petit chien, quand on me croisait. Une femme au petit chien. Une romancière française et son animal de compagnie. Mais, d'abord, personne ne me croisait, et ensuite, une fois sortie de la maison, je ne fréquentais que les herbes, les arbres, leurs essences, les oiseaux, les couleurs et les nuances des couleurs, les odeurs, les appels, les cris, les chants, les insectes, les nuages, tous ces nuages, home-cinéma de nuages, mais aussi le firmament étoilé, la pluie, l'orage, les éclairs de joie. Ici, il faudrait trois pages d'éclairs. C'était devenu la folie, les éclairs de joie. Si bien que, presque sans bouger de ma place, sur mon île de 13 kilomètres de diamètre, mon corps au final était complètement bourré, bourré aux deux sens du terme, de tout ce que je côtoyais et que je viens d'énumérer. Si bien que je pourrais dire que je grouillais moi aussi, et de plus en plus, que je grouillais de nature à l'intérieur. N'étais plus une femme, seulement de la nature. La nature et moi, on ne faisait plus qu'un. Si on m'avait fait passer devant des rayons X, respirez fort, respirez fort, ne respirez plus, je ne sais pas ce qu'on y aurait vu.
On y aurait peut-être vu un être composite avec une truffe de chien, des cheveux de ronces, des yeux de mûres écrabouillées, des joues faites de lichens, une voix d'oiseau.- Et à l'intérieur ? - Oh ! A l'intérieur ! Une myriade d'existences. Une fourmilière d'existences en tous sens ! - Et au cœur de la fourmilière ? - Je crois que quelque chose écrivait. Ou s'écrivait. Comme on veut. On aurait pu entendre un très léger affairement intérieur avec griffonnements, ceux d'une mine de graphite sur du papier." (Un chien à ma table, p. 133)
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