"Usurpation" de Jean-Marc Pitte, un thriller glaçant à lire cet été
Se réveiller avec le soleil, sur une sensation de plaisir. Chaud. Glisser la main sur sa compagne d'une nuit et toucher un corps glacé. Froid. Cette sensation de balancier, de chaud et froid, tient en haleine tout au long des deux cent trente pages d'Usurpation. Le thème ? Une jeune femme, Camille, la narratrice, s'apprête à se glisser dans la peau d'une autre.
…Et le roman, implacable, dévide en parallèle le cours des deux existences. Un parcours jonché de cadavres pour la narratrice, entre des moments de bonheur en Seine-Maritime, à l'ombre du "château de Sissi", et des amours intenses à Port-au-Prince. Haletant, le roman se lit d’une traite, et secoue le lecteur.
Haïti au coeur
Comment l’auteur, grand reporter à France 3 qui fête ce mois-ci ces cinquante ans tout rond, a-t-il bâti son roman à suspense ? Et pourquoi tant de meurtres sous la plume d’un journaliste qui parait si paisible ?
A-t-il recyclé des reportages en roman, notamment en Haïti, contrée tourmentée qui a connu, en quelques décennies, d’innombrables crises politiques et un séisme majeur en 2010? S'il s'insurge contre le terme "recyclage" , il reconnaît s'être inspiré de situations réelles. « Haïti, confie-t-il, c’est mon deuxième pays".
A sa sortie du CFJ, en 1987, il a pu faire sa coopération dans l'ancienne colonie française. Et il est tombé fou amoureux de ce pays attachant et violent. Il se souvient comme si c'était hier du premier soir, et de l'odeur du vetiver séchant sur le goudron. De la première nuit : « Dans la pension où j’étais, je n'ai cessé d'entendre des tirs". Du premier matin, et de sa marche solitaire dans les rues de Port-au-Prince au soleil levant. Il noue alors avec la demi-île caribéenne une liaison qui se traduira en mariage puisqu'il épouse une Haïtienne (avant d'en divorcer), et qu'ils ont eu ensemble deux enfants.
La violence, la guerre des gangs, le racisme des expats blancs "imbuvables" qu'il raconte dans Usurpation, tout comme l'élection et le retour raté du président Aristide ou l’attaque de l’hôpital Sainte-Catherine, dans la Cité Soleil, gigantesque bidonville, il les a vécues, lors d'une douzaine de voyages.
La violence "est un strip-tease"
Qu'a-t-il mis d'autre de lui-même dans ce roman où la narratrice est une femme sans guère de point commun avec lui ? Une enfance normande. Le bonheur des "Petites Dalles", plage secrète à galets et eau froide d'une bourgeoisie traditionnelle qui fuit le clinquant.
Son écriture sèche, sans affect, qui enchaîne brutalité et sensualité comme deux réalités d'évidence, pointe ses affinités. Avec d'autres écrivains normands à la phrase crue (Maupassant hier, Annie Ernaux aujourd'hui). Avec des auteurs de polars comme Jean-Bernard Pouy. Ou avec ceux qui ont construit leur matériau littéraire sur les faits divers, sans s'appuyer sur la pierre friable de la psychologie, tel Emmanuel Carrère.
Garçon "bien élevé au parcours assez lisse", Jean-Marc Pitte se dit « fasciné par ce qui est différent ». Et par la violence rencontrée dans de multiples guerres couvertes pour France 3, parce qu'elle "exacerbe les caractères humains. C’est un strip-tease".
Strip-tease : le mot est bien trouvé. Usurpation met à nu les ressorts d'une vie. Jusqu'à l'os. Jusqu'à une autre vie. Jusqu'à la vie d'une autre ?
"Usurpation" Jean-Marc Pitte (Editions du Préau)
240 pages -17 euros
Extrait et début du livre :
"D'abord, il y eut la chaleur : celle qu'un rayon de soleil avait agréablement déposée sur ma peau. Il s'était immiscé dans la chambre à travers les doubles rideaux mal fermés. Il avait escaladé le lit et s'amusait maintenant sur ma fesse droite. C'est l'asymétrie de la sensation qui m'a réveillée."
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