"Washington Black", d'Esi Edugyan : un roman initiatique sur la conquête de la liberté par un jeune esclave
Ce récit historique autour de l'esclavage résonne avec l'actualité américaine autour de la mort de George Floyd. Ce livre, déjà paru en grand format, est une épopée emmenant le lecteur voguer des tropiques au pôle Nord. Finaliste du Man Booker Prize, un prix américain parmi les plus prestigieux, il paraît aujourd'hui en poche.
L’histoire : Il porte un nom en forme de devinette. Son prénom est le nom du premier président américain, Georges Washington, et son nom est la couleur de sa peau. Mais c'est aussi le nom de famille du propriétaire de la Faith plantation, à La Barbade, où ce jeune esclave est né au début du 19e siècle. Etre né noir sur cette île des Caraïbes en ces années-là, c’est être condamné à l'éreintante culture de la canne à sucre, aux sévices, à l’absence totale d’espoir de cette prison à ciel ouvert où les fuyards sont inexorablement retrouvés, enfermés dans des cages, et exposés au regard de tous, baignant dans leurs excréments.
La seule issue, parfois, pour ces hommes et femmes traités moins bien que des bêtes, c'est se donner la mort. Selon une croyance ancrée dans les esprits de ces esclaves déportés de ce qui est aujourd’hui le Bénin, se tuer est le seul moyen de se réveiller au Dahomey, sur la terre de ses ancêtres. Mais même cela, le jeune et vif Wash, comme on l’appelle dans la plantation, n’y croit plus.
Alors lorsque le frère de son maître, Christopher Wilde, dit Titch, débarque avec ses lubies scientifiques, son rêve de construire un ballon pour voler, son humanité et son dégoût de l’esclavage, en contraste total avec la barbarie qui règne alors sur l’île, c’est pour Wash, doué pour le dessin, qui lui est "prêté" par son propriétaire pour l’assister dans ses recherches, une déflagration humaine. Commence un parcours initiatique vers la liberté pour l'adolescent, sur fonds de commerce triangulaire et de chasseurs de primes qui traquent impitoyablement les esclaves fuyards.
Une magnifique épopée humaine
Esi Edugyan ne se contente pas de raconter une magnifique épopée humaine, elle la met en mots avec des phrases chaloupées qui nous entraînent dans un récit rythmé par ses accélérations - comme si nous étions spectateurs de ce qui est en train de se passer : "Une nouvelle rafale de vent traîna le ballon au-dessus des eaux noires. Le Fendeur-de-nuages se remit d’aplomb et recula vivement en raclant le pont, poussant un terrible cri. Je le vis s’écraser contre une rangée de tonneaux à l’avant, ricocher et soudain, il fut aspiré par la tempête, ne laissant que des débris. Pendant tout ce temps, la pluie, colorée d’argent par les faibles lanternes du navire, continuait de nous transpercer.
Et c’est ainsi que nous eûmes la vie sauve."
Cette écrivaine canadienne vit sur une autre île au climat beaucoup moins tropical que La Barbade, au large de Vancouver, dans une nature sauvage. Avec ce récit elle a reçu la reconnaissance des lecteurs canadiens, été finaliste du Man Booker Prize, et reçu le Giller Prize, l’un des plus prix littéraires les plus prestigieux outre-Atlantique. Pour la petite histoire, l'ancien président américain Barack Obama l'a mis sur la liste de ses livres préférés l'an dernier. Cet ouvrage qui sort aujourd’hui en poche, et dont la traduction française est déjà parue en grand format aux éditions Liana Levi l'an dernier, a récemment été remarqué en France par le Prix des libraires.
Extrait: "Cela s'était fait très lentement, mais ces derniers mois passés avec Titch m'avaient porté à croire que je pouvais laisser tous mes malheurs derrière moi, oublier toute violence, échapper à une mort injuste. Je commençais à penser que j'étais né pour un meilleur destin, pour profiter des bienfaits terrestres, et pour dessiner ; je voyais mon existence comme faisant vraiment, légitimement partie de l'ordre naturel du monde. Comme je m'étais trompé ! J'étais un enfant noir et rien d'autre - je n'avais aucun avenir devant moi et dans mon passé, il y avait peu de clémence. Je n'étais rien, et je mourrais n'étant rien, hâtivement traqué et massacré.
Les champs défilaient lentement au soleil, les vastes champs verts de la Virginie au printemps. L'étendue de la terre, son immensité m'étonnaient. Quand nous traversions un bois, j'étais étourdi par l'odeur de petites fleurs blanches, par le doux parfum qu'elles dégageaient. J'apercevais aussi des esclaves dans les champs et en fixant leurs silhouettes, j'étais submergé par un sentiment de culpabilité et de peur pour moi-même."
Washington Black, d'Esi Edugyan, traduit de l'anglais (Canada) par Michelle Herpe-Volinsky, paru le 28 mai 2020 aux éd. Gallimard Folio, 480 pages, 7€50.
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