Ils ont la cote auprès des petits et des grands : les conteurs ont fait des merveilles au Salon du livre jeunesse de Montreuil
Le Salon du livre et la presse jeunesse de Montreuil s'est achevé hier soir. Franceinfo a rencontré ces précieux intermédiaires de la littérature pour enfants, les conteurs. Parfois considéré comme désuet, leur métier n'a pourtant rien d'anachronique.
Le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil vient de fermer ses portes. Et ce brouhaha si caractéristique va bientôt nous manquer. L'événement est aussi reconnaissable par le niveau sonore qui se dégage de ses allées. "Nous recevons environs 2000 jeunes par jour", indique Jean-Philippe Trigla, médiateur du salon. Près des scènes aménagées au rez-de-chaussée et à l’étage du bâtiment accueillant l’événement, les décibels montent encore. Surtout lorsqu’Adrien Madinier et Giulia De Sia, comédiens de la compagnie Le Carrelage Collectif, se retrouvent sur les planches pour des lectures très animées.
Capter l'attention des plus jeunes
Armés d’un looper - une machine permettant de reproduire un son à l’infini - ils content des histoires aux tout-petits. "C’est très intéressant pour les effets d’accumulation", indique la comédienne. Sur le Salon, ils s’en sont servis notamment lors de leur lecture de l’album Dix de plus, dix de moins de Marie Mirgaine (éd. Albin Michel Jeunesse). "Reproduire en boucle les bruitages des différents personnages de l’histoire permet d’ouvrir l’imaginaire des enfants, et surtout de les intéresser." C’est là tout l’enjeu pour les conteurs : comment réussir à capter et maintenir l’attention de leur jeune public ?
"Avec les plus petits, on implique davantage le corps, la voix. On instille une ambiance", indique Heza Botto, lui aussi comédien, invité pour une lecture au Salon. Giulia De Sia n’hésite pas à se métamorphoser en wallaby, le temps d’une histoire. Pour Le cauchemar du Thylacide (éd. La Partie) signée Claudia Palmarucci, la conteuse rebondit sur la scène, à la manière d’un kangourou, devant les petits spectateurs hilares. "C’était mon histoire préférée", s’exclame un élève de l’école maternelle Auguste Delaune de Baubiny, après la représentation. "On prend une autre voix, on les fait participer, et c’est gagné !", se réjouit Giulia De Sia.
Interagir
L’interaction est aussi le maître mot pour Heza Botto, et ce même avec les adolescents. " On pourrait les penser bougons, voire réfractaires, et pourtant chaque fois je suis étonné de voir comme ils ont envie de participer." Souvent, le comédien leur propose de se joindre à sa lecture. "On se partage les personnages comme dans une pièce de théâtre." Les élèves deviennent alors leurs propres conteurs, et même parfois ceux des plus petits. "L’année dernière, j’ai repéré un collégien très doué pour la lecture à voix haute. Alors, il a lu avec moi devant des maternelles."
Pour attirer les ados, Heza Botto utilise d’autres formats – comme la BD – et cherche à diversifier les thèmes abordés. "On s’éloigne des classiques princes ou princesses." "Tout est une question de répertoire", précise Frédérique Bruyas, lectrice publique, et partenaire d’Heza sur le Salon. Elle modifie peu sa manière de lire selon les âges, mais choisit minutieusement ses ouvrages en fonction des générations. Lors de son dernier passage devant des classes de 3e et 4e, elle a choisi de parler de l’exil.
"Du ping-pong avec l’actualité"
"Je fais du ping-pong avec l’actualité. La littérature permet de lui redonner une certaine sensibilité." Elle a sélectionné des "textes forts" tel qu’un extrait d’Eldorado de Laurent Gaudé - qui raconte la traversée clandestine entre l'Afrique du Nord et les îles italiennes d’une maman et son bébé - et un poème de Salah Al Hamdani. "Je travaille beaucoup, et j’essaie de dire les mots avec beaucoup d’intensité." L’objectif ? Epater les élèves, grâce à sa lecture "pas comme les autres". "J’ai fait cette séance en banlieue, à Saint-Quentin-en–Yvelines, et j’aurais pu entendre une mouche voler."
"Je leur rappelle que le livre n’est pas lettre morte, mais un concentré de vie", ajoute-t-elle. Elle envisage ses interventions comme un moyen de déclencher l'intérêt pour la lecture. "En lisant à voix haute, il y a une prise de conscience de la beauté de la langue et de l’instrument extraordinaire qu’est la voix. On peut être soi-même véhicule de la beauté, il suffit d’ouvrir un livre." Comme Heza Botto, elle est parfois rejointe par de jeunes conteurs emballés par sa prestation.
Le numérique, complémentaire ?
Face au numérique, Frédérique Bruyas est inquiète : "c’est plus facile, même pour nous adultes, de se mettre devant un écran que de lire", déplore celle qui ne regarde plus la télé depuis deux mois. Mais pour Heza Botto, si les jeunes sont souvent sur leurs smartphones, "ils ont, comme tout être humain, besoin d’interactions physiques, et c’est ce que nous leur apportons à travers ces lectures".
Finalement, il voit presque le numérique comme un allié : il a enregistré, dans le cadre du Salon, des lectures audio. Il les travaille encore d'une toute autre manière. Comme au cinéma, il peut refaire ses prises autant de fois qu'il le souhaite. Il aime aussi ajouter quand cela est nécessaire des accompagnements sonores, "des bruits de vagues ou de coquillages". Il se souvient de l’effet d’un tel dispositif sur un enfant turbulent venu assister à l’une de ses interventions. "Il n’était pas sur la même longueur d’onde que ses camarades, je lui ai prêté mon casque, et il est parti dans un autre monde, émerveillé."
Alors lorsqu’on demande à Heza Botto ou Frédérique Bruyas si leur métier n’a pas quelque chose d’anachronique, ils répondent massivement par la négative. "La question de l’époque ne se pose pas, sourit Heza Botto, tout le monde adorera toujours écouter des histoires !"
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