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Ecrire, une passion française ? Enquête dans les ateliers d'écriture du Festival du livre de Paris

Surfant sur une tendance désormais bien installée, le Festival du livre de Paris propose pour la première fois des ateliers d'écriture aux visiteurs. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Atelier d'écriture proposé par Desir d'écrire, Festival du livre de Paris, 22 avril 2022 (Laurence Houot / FRANCEINFO CULTURE)

Les Français sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l'écriture : on en comptait déjà un sur cinq il y a dix ans, la crise sanitaire a encore amplifié le phénomène, à tel point que la maison Gallimard s'est fendue en 2021 d'un tweet invitant les postulants à "surseoir à l'envoi de manuscrits", débordés qu'ils étaient par l'afflux de projets éditoriaux : jusqu'à cinquante par jour en sortie de confinement.

Qui sont ces Français chatouillés par la plume ? Pourquoi écrivent-ils ? Enquête au Festival du livre de Paris, qui a organisé cette année des ateliers d'écriture et des masterclass avec des auteurs à succès comme Franck Thilliez, une star du polar made in France.

Ce samedi en début d'après-midi, ils sont sagement assis dans la petite salle des ateliers créatifs. Ils l'attendent, petit sourire de satisfaction aux lèvres. Ils ont pensé à réserver, les autres resteront à la porte. A son arrivée, applaudissements, murmures d'admiration, portables qui se lèvent pour la photo.

 

Franck Thilliez figure dans le trio de tête des écrivains les plus lus de France. "C'est mon auteur de thriller préféré", souffle Emmanuelle, une bordelaise qui a fait spécialement le déplacement à Paris pour "découvrir" le festival du livre. "Quand j'ai vu qu'il faisait une MasterClass je me suis inscrite, je me suis dit qu'il allait expliquer comment il écrit, et parler de son inspiration", ajoute la jeune femme. Juste derrière, Brigitte confie être venue un peu par hasard. "Le manuscrit  de mon premier roman est chez les éditeurs", confie-t-elle en croisant les doigts.

Emmanuelle, originaire de Bordeaux, assiste à la MasterClass de Franck Thilliez, auteur de romans policiers, Festival du livre de Paris, le 23 avril 2022 (Laurence Houot / FRANCEINFO CULTURE)

" Que se passerait-il si…?"

Franck Thilliez attaque sa MasterClass. "Cinquante minutes, c'est court, alors je ne vais pas rentrer dans les détails", commence l'écrivain, "mais je vais tenter de donner quelques clés pour ceux qui souhaitent se lancer dans l'écriture d'un roman". D'abord, "il faut s'organiser", affirme Franck Thilliez, "parce que c'est important de garder en permanence une connexion avec l'histoire que l'on est en train d'écrire, avec les personnages, et si cette connexion est maintenue, même quand vous ne travaillez pas, votre cerveau lui, travaille".

L'écrivain poursuit en évoquant l'importance de l'idée, et des personnages. "Écrivez de préférence sur vos sujets de prédilection, ce sera plus facile", conseille-t-il. "Amusez-vous avec cette phrase : que se passerait-il si … par exemple un homme arrivait un matin au bureau et que personne ne le connaissait. Essayez d'imaginer qu'un événement vient bousculer le quotidien", suggère l'auteur de polars. "C'est important aussi de créer une empathie entre le lecteur et vos personnages".

L'écrivain Franck Thilliez anime une MasterClass au Festival du livre de Paris, le 23 avril 2023 (Laurence Houot / FRANCEINFO CULTURE)

"Je sais que certains écrivains n'aiment pas faire ce genre de choses, moi, j'aime partager mon savoir-faire", confie-t-il à franceinfo Culture. "J'ai déjà fait des ateliers d'écriture, je pense que cela peut être très utile, pour déclencher le processus. Souvent les gens ont envie d'écrire, mais ils sont bloqués, ils n'osent pas se lancer à cause du regard des autres", constate Franck Thilliez. De son côté, il a tout appris sur le tas. "Je n'avais jamais imaginé publier un livre un jour. Quinze jours avant de commencer à écrire, je ne savais même pas que j'aurais envie d'écrire. Par contre j'ai toujours aimé qu'on me raconte des histoires, au cinéma, ou avec les livres".

"J'étais fasciné par la capacité des écrivains ou des réalisateurs à déclencher des émotions à distance, comme la peur, comme le frisson. Je crois que c'est ça qui m'a donné envie d'écrire."

Franck Thilliez, écrivain

à franceinfo Culture

"Trouver une bonne histoire, voilà ce par quoi il faut commencer, et si vous voulez en savoir plus, je publie prochainement aux éditions Robert Le plaisir de la peur, un livre dans lequel je développe tout ce que nous avons évoqué aujourd'hui", conclut l'auteur avant d'être assailli pour les selfies et les dédicaces.

Akim, 29 ans, écrit lui aussi des polars. "C'est intéressant de voir comment les autres travaillent", confie-t-il. "Je me suis lancé dans l'écriture il y a quelques années, et je calais toujours à la quinzième page, et puis en 2019 j'ai enfin réussi à passer le cap, et j'ai trouvé un éditeur, mais depuis quelques semaines, je me suis inscrit à un atelier d'écriture en ligne, c'est toujours bon de prendre des conseils, pour s'améliorer", confie le jeune homme, qui se dit confiant pour l'avenir.

"Ça s'apprend"

"Ces formations pour apprendre à écrire existent depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, mais ils sont encore mal vus en France", explique à franceinfo Culture Céline Zufferey, qui animait la veille au même endroit un atelier d'écriture. La jeune auteure est depuis quatre ans formatrice pour Désir d'écrire, un organisme suisse de formation à distance. "Je pense que c'est à cause de la figure du poète maudit, cette idée de l'écrivain inspiré et puis c'est tout, comme si cela suffisait", ajoute cette romancière formée à l'Institut de littéraire suisse.

Céline Zufferey romancière et formatrice chez Désir d'écrire, le 22 avril au Festival du livre de Paris (Laurence Houot / FRANCEINFO CULTURE)

"C'est quand même étrange de voir qu'il existe des conservatoires pour apprendre la musique, des écoles d'art pour apprendre la peinture, mais rien pour apprendre à écrire. C'est peut-être parce qu'on apprend tous à écrire à l'école, mais l'écriture créative, c'est encore autre chose, et cela s'apprend ", insiste Céline Zufferey, qui a publié un premier roman Sauver les meubles, en 2017 aux éditions Gallimard.

Face à elle ce vendredi au festival du livre, un auditoire quasi exclusivement féminin, qui s'évente en attendant le début de la séance. "Nous avons des étudiants et des étudiantes de toutes origines, de tous âges, un peu plus de femmes que d'hommes. Souvent, ce sont des gens qui sont arrivés à une étape de leur vie, la retraite, par exemple, et qui décident de consacrer du temps à leur passion", explique Hélène Auboyer Treuille, responsable marketing de Désir d'écrire

"L'écriture est un exercice solitaire, et on se sent souvent seul, c'est important de pouvoir échanger"

Céline Zufferey, auteure et formatrice chez Desir d'écrire

à franceinfo Culture

"Nous proposons un cadre, une méthode, et des conseils. Les étudiants ont des exercices à faire, nous les lisons, et nous leur faisons systématiquement un retour", explique la formatrice.

"Je suis venue parce que nous écrivons un livre avec mes frères et sœurs", confie Audrey Ndoza. "J'ai vu cette proposition d'atelier dans le dépliant du festival alors je me suis inscrite. J'ai vu que l'organisme de formation proposait des diagnostiques littéraires, cela m'intéresse", explique-t-elle.

Dans le secret 

Après avoir lu et expliqué quelques ressorts de l'écriture sur le thème de l'objet, Céline invite le public à se lancer. Sujet : "décrire un objet, pour parler d'un personnage, vous avez un quart d'heure". Des nez se lèvent pour trouver l'inspiration. La température monte d'un cran. "La figure de l'écrivain est tellement pesante, qu'une grande partie de mes étudiants, qui écrivent pour la plupart depuis longtemps, n'en ont jamais parlé à leur proches, et n'avouent même pas qu'ils suivent une formation", confie Céline Zufferey.

 

L'atelier tire à sa fin. Céline invite les convives à partager leur texte. Des mains se lèvent, les mots fusent, ici "la brosse à dents de Paul", là une "madame Porte", ou encore un étrange "objet archéologique", et pour finir, "un stylo""Un texte parfait pour conclure cette séance", sourit Céline Zufferey.

"Je n'ai pas osé lire mon texte", confie Melissa, une lycéenne de 18 ans en visite au festival avec son professeur. "Je suis la seule de ma classe à avoir suivi cet atelier. J'écris des poèmes", chuchote l'adolescente. "J'écris depuis que j'ai 14 ans, et je suis toujours preneuse d'informations, de conseils pour m'améliorer. C'était vraiment intéressant de réfléchir sur ce thème des objets" conclut-elle enthousiaste.

Airbnb

Hélène et Agnès sont venues pour prendre la température, elles animent un atelier d'écriture Couleurs d'écriture, à Pontoise, en région parisienne. "C'est toujours intéressant de voir comment font les autres", explique Hélène. Curieuse également, Nada, est elle aussi animatrice d'ateliers d'écriture, qu'elle propose depuis la plateforme Airbnb. 

Les ateliers d'écriture et les formations fleurissent en France. Cette tendance répond à une inclinaison de plus en plus répandue pour l'écriture. "En cinq ans, le nombre d'étudiants inscrits à notre formation a augmenté de 50%", explique Hélène Auboyer Treuille.

"Beaucoup de gens ressentent un fort besoin de s'exprimer. Écrire un roman c'est difficile, c'est un projet d'ampleur. Souvent, on se lance dans l'écriture d'un roman, et au bout de 40 pages, on cale parce qu'on on n'entend pas tout de suite les fausses notes, comme en musique", précise Céline Zufferey.

"Nos étudiants ne deviendront pas tous écrivains, mais nous sommes là pour les aider à aller au bout de leur projet, ce qui est déjà énorme", conclut la romancière.

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