"Sans eux, Paris est foutu" : les bouquinistes ouverts mais sans clients, entre dépit et résilience
Que serait Paris sans ces fameux vendeurs de livres, parfaitement alignés sur les quais de Seine ? Ces professionnels passionnés font grise mine, en raison du manque de touristes et de clients.
Ils font partie de la carte postale, connus dans le monde entier et même inscrits depuis 2019 au patrimoine culturel immatériel de la France : les bouquinistes sont ouverts en ce moment, malgré les restrictions liées à l'épidémie de Covid-19, car jugés "commerces essentiels". Mais les temps sont durs, les touristes ont déserté la capitale et les clients se font rares.
"Parlez-en beaucoup pour qu'ils ne disparaissent pas. Sans les bouquinistes, Paris est foutu !", lance une passante, quai de Conti, en face du Louvre. "Je suis bouquiniste depuis 30 ans ici. Aujourd'hui, c'est la cata. On a eu les mouvements sociaux pendant presque deux ans et on a enchaîné sur le Covid, donc ça fait environ trois ans qu'on galère", raconte Jérôme Callais, le président de l'Association culturelle des bouquinistes de Paris. Ils sont 220 en tout, sur les quais de Seine, avec leur "boîte", comme ils ont l'habitude de dire pour désigner leurs stands de livres, cartes et autres affiches.
"Parfois, c'est cinq euros la journée ou dix euros, en semaine c'est terrible."
Jérôme Callais, bouquinisteà franceinfo
"Aujourd'hui quai de Conti, on doit être quatre ou cinq. En temps normal, or Covid, on serait une quinzaine au moins, sur les 20 ou 22 emplacements du quai, poursuit Jérôme Callais. Cela veut dire qu'on fait de la figuration. J'ai un de mes voisins qui est reparti un jour complètement la tête dans les chaussettes, il avait vendu un seul livre." Selon le professionnel, la perte moyenne de chiffre d'affaires pour les bouquinistes est "facilement aux trois quarts".
Les bouquinistes, comme les autres commerçants, peuvent toucher les aides mises en place par l'État. "Mais il faut bien prendre en compte que le droit au fonds de solidarité que nous avons est sur la base de mauvaises années, explique Jérôme Callais. Les bouquinistes à Paris sont fragilisés."
On traverse le Pont neuf, pour aller voir un autre bouquiniste. David Nosek a lancé, il y a à peu près un an – et c'est totalement inédit – un site de vente en ligne, bouquinistesdeparis.com, avec une cinquantaine de collègues. "On fait cinq à dix ventes par semaine", explique-t-il. Sur internet comme sur le trottoir, les affaires ne marchent pas bien. "J'ai eu deux dames, qui m'ont acheté trois livres, pour la royale somme de 12 euros. Hier c'était zéro", confie David Nosek. Il a bien demandé des aides de l'État, "mais maintenant que j'ai le droit à la petite retraite, je n'ai plus le droit aux aides". Retraité depuis un an, il touche le minimum social, 900 euros par mois.
"Il y a un avantage à être bouquiniste, c'est qu'il n'y a pas de loyer, confie David Nosek. On achète les boîtes, moi je les ai achetées d'occasion, pas chères, à 500 balles. Comme on n'a pas de loyer, on ne paye que des charges sociales sur le chiffre d'affaires qu'on déclare, c'est à dire 14%. Donc, si on ne vend rien ou presque rien, comme on n'a pas de loyer, ça ne coûte pas cher, même s'il faut quand même acheter de la marchandise." De potentiels clients passent, mais dans le secteur, le démarchage ne se fait pas, "jamais". Le bouquiniste attend. Le déconfinement, entre autres.
Dernière étape, en face de la statue de Condorcet. Le ton est plus optimiste : "De toute façon, les bouquinistes ont résisté à tout", assure Jean-Pierre Mathias, 74 ans, bouquiniste, comme la plupart de ses collègues, depuis plus de 30 ans. "Ils ont résisté aux inondations, à la crue, au choléra, à la peste, aux épidémies, à l'expulsion. La pandémie, c'est une anecdote. Bon, je suis un peu marseillais... Vous savez, un bouquiniste meurt quand il n'arrive plus à ouvrir ses boîtes. Elles ont 100 ans mes boîtes, elles ont résisté à tout."
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