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"Sentinelle du climat" : rencontre avec la glaciologue Heïdi Sevestre qui veut donner l'envie d'agir

La situation a beau être alarmante sur le front du changement climatique, Heïdi Sevestre n'en garde pas moins le sourire pour essayer de convaincre à tous les niveaux qu'il n'y a plus de temps à perdre. C'est le message porté par ses deux ouvrages sortis au printemps : "Demain, c'est nous" et surtout, plus récemment, "Sentinelle du climat". Rencontre avec une glaciologue qui garde espoir en notre capacité d'action.
Article rédigé par Marie Herenstein
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 15min
La glaciologue Heïdi Sevestre présente "Sentinelle du climat" et "Demain c'est nous" (M. Herenstein)

Il y a des chiffres qui font froid dans le dos. Comme celui qui prévoit la disparition de la moitié des glaciers sur terre d'ici la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre restent à leur niveau actuel. Or ces glaciers "ont un rôle de chateau d'eau naturel, donc vital", explique Heidi Sevestre. La glaciologue originaire d'Annecy a grandi près de ces géants alpins qui se réduisent comme peau de chagrin. Elle leur consacre désormais sa vie, avec une prédilection pour ceux des régions polaires, même si ses travaux l'ont également menée dans les Andes ou en Himalaya. Convaincue que l'action face au changement climatique passe par l'éducation et la vulgarisation, la jeune femme est sur tous les fronts.

Elle cosigne deux livres sortis au printemps : Sentinelle du climat, indispensable playdoyer dans lequel elle raconte son parcours et explique de façon limpide pourquoi il est urgent d'agir et comment le faire. Et Demain, c'est nous, écrit avec François Bernard, ou la passionnante aventure d'un professeur qui emène ses élèves de 3e au Svalbard. Nous l'avons rencontrée. 

Rencontre avec la glaciologue
Heïdi Sevestre, sentinelle du climat Rencontre avec la glaciologue (M. Herenstein / France 3 Toutes Régions)

Franceinfo Culture : Les dernières études sont alarmantes aussi bien pour les glaciers que pour la banquise arctique qui disparaîtrait complètement en été. On peut dire que ça va mal pour la planète. En quoi est-ce préoccupant ?

Heïdi Sevestre : Les glaces en général sont les meilleurs baromètres du climat, et on voit que, partout sur terre, elles sont en train de réagir extrêmement rapidement, que ce soit en Arctique, en Antarctique ou dans les Alpes. Quand on regarde ce qui se passe au niveau du climat, tout est lié : les activités humaines qui émettent des gaz à effet de serre, les glaciers qui réagissent et les impacts liés à la perte de ces glaces, avec la perte des ressources. Si on étudie les glaciers, c'est parce que l'humain et les écosystèmes en dépendent directement. Sur terre deux milliards de personnes ont besoin de l'eau des glaciers aujourd'hui. Donc c'est vraiment cataclysmique parce que derrière chaque mètre cube de  glaciers que l'on perd, se joue la survie d'êtres humains.

Que peut-on encore faire aujourd'hui pour inverser la tendance ?

Aujourd'hui l'urgent c'est vraiment d'avoir des actions concrètes, efficaces, voire radicales, parce que le changement climatique lui-même est radical ! La première étape, essentielle, c'est de s'éduquer sur ces sujets du dérèglement climatique, de la perte de la biodiversité, des inégalités sociales, parce que là encore tout est lié. Les températures ont augmenté de 1,1 degré depuis l'ère préindustrielle. 1,1° ça paraît très peu de choses mais on se rend compte qu'à partir d'aujourd'hui on commence à franchir des points de bascule au-delà desquelles les conséquences du dérèglement climatique deviennent irréversibles. La perte de la banquise d'été dans l’Arctique va nous impacter jusque chez nous, notamment par des phénomènes météorologiques extrêmes qui vont encore plus menacer notre agriculture, notre économie.

Alors qu'est-ce qu'on fait ? Je dis souvent de commencer par calculer son empreinte carbone, pas pour se culpabiliser mais pour trouver une chose que l'on peut améliorer de façon efficace, suivant ses moyens. Ça peut être son alimentation, l'isolation de son bâtiment, sa mobilité… La 2e chose, c'est de voter. Quand on est une jeune génération aujourd'hui on peut élire des éco-délégués dans son établissement scolaire. Et bien élisons des personnes motivées pour changer les choses ! Ensuite au sein d'une entreprise, on peut élire nos représentants, essayer d'influencer les décisions pour réduire l'empreinte carbone de l'entreprise. Et enfin bien sûr il faut voter au niveau des municipalités, des départements, des régions, du gouvernement. En tant que citoyens on est assez critiques, on a l'impression que les choses ne bougent pas assez vite. Mais est-ce qu'on est allé voir les élus, travailler avec eux sur les décisions à court, moyen, long terme ? C'est un travail d'équipe, il ne faut pas rester passif. Pour qu'une municipalité arrive à faire la différence, elle a besoin que les habitants de la commune y aillent aussi. 

Même si on fait des choses aujourd'hui on ne verra les résultats que dans très longtemps. C’est peut-être démotivant ?

Alors, ce n’est pas tout à fait vrai. Si on passe à l'action dès aujourd'hui, on peut voir les résultats très rapidement. Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) disait dans les rapports précédents qu’il y a un laps de temps d'une vingtaine / une trentaine d'années, mais cette période se réduit. On a vu pendant le Covid que les activités humaines, notamment les plus polluantes, avaient été réduites. Et on a vu des glaciers de l'Himalaya reprendre du volume rapidement, parce qu’il y avait beaucoup moins de pollution de l'air en Inde et en Chine. Il y a une latence dans le climat, mais cette latence est beaucoup moins longue qu'on le pensait. Donc les impacts positifs, on va pouvoir les voir au cours de notre vie. Et ce n'est pas une excuse de se dire que les graines que je plante aujourd'hui, on les verra grandir dans 30 ou 40 ans. 

Comment motiver ceux qui pourraient se dire qu’on nous demande des efforts, alors que d’autres ne font rien et que donc ça ne sert à rien ?

Des excuses pour l'inaction climatique je pourrais en publier une encyclopédie. "Quand je vois mon voisin avec son 4x4", "Quand je vois la Chine, l'Inde ou les États-Unis", "Quand je vois telle entreprise très polluante", "Quand je vois le secteur de l'aviation qui n’est pas taxé au niveau souhaité"… Aujourd’hui il y a huit milliards de personnes sur terre et le moindre dixième de degré d'augmentation de température va tous nous impacter. Alors bien sûr qu’on n’a pas tous la même vitesse de réaction et d'action face au dérèglement climatique, mais finalement on a besoin de leaders et ce n’est pas en se regardant en chien de faïence qu'on va y arriver. On met les œillères et on embarque les personnes qui veulent y aller, et petit à petit ça va faire son effet boule de neige. Parce que les conséquences sur notre quotidien on les voit déjà aujourd'hui : c'est le prix de l'énergie, c'est le prix de la nourriture, quand ce n'est pas l'environnement autour de nous qui brûle ou qui est sous les eaux. Donc le jeu en vaut largement la chandelle. 

Dans "Sentinelle du climat" vous dénoncez la puissance des lobbies, notamment lors de la dernière COP 27 en Egypte, plus puissants que les lobbies écologistes… Malgré les alertes, y compris au sommet de l’ONU.

Les lobbies du gaz, du pétrole, des énergies fossiles, sont très puissants. Depuis les années 70 ils ont calculé avec une très grande précision que plus on va brûler d'énergie fossile plus on va menacer la survie de l'humanité.  Donc ça fait 50 ans qu'ils le savent et ça fait 50 ans qu'ils ont mis en place une campagne de désinformation ultra efficace, qui sème le doute dans la tête des gens, des gouvernements, et on le voit encore aujourd'hui très largement en France, avec 40% de la population qui doute du consensus scientifique face au dérèglement climatique. On le ressent principalement dans les grandes conférences internationales du climat où des centaines voire des milliers de personnes sont payées par l'industrie des énergies fossiles pour dézinguer ces négociations et ils y arrivent très bien. Mais on est beaucoup plus nombreux que ce lobby-là ! Si seulement on arrivait à s'organiser, parce que pour l'instant je pense qu'on n'y arrive pas, si celles et ceux qui défendent les océans, les forêts, les glaciers, on arrivait à faire bloc, à créer notre propre lobby en quelque sorte, on pourrait être beaucoup plus efficaces. C’est aussi à nous de prendre nos responsabilités. Il faut aussi qu'on se remonte les manches. 

Dans votre livre vous dites qu’on n’est pas adaptés. Alors on utilise des "pansements"... 

Le GIEC travaille beaucoup en ce moment sur la "mal-adaptation" au changement climatique. Les températures sont en train d'augmenter très rapidement, les prochains mois vont être assez compliqués à gérer, et donc on est en réaction : on met la clim, on met des bâches blanches sur les glaciers, on met en place des retenues collinaires, des méga bassines, ça ce sont des pansements. Je comprends tout à fait qu'on cherche des solutions immédiates quand on est agriculteur et qu'on ne peut plus irriguer ses cultures. Mais il ne faut pas oublier qu'on doit à tout prix réduire le problème à la source parce que sinon nos réactions seront de plus en plus extrêmes et de plus en plus mal adaptées. Il faut réduire nos investissements dans les énergies fossiles, il faut tout faire pour investir cet argent dans du renouvelable et ensuite il va falloir s'adapter.  

Vous abordez aussi la fausse bonne idée selon laquelle on pourrait sauver le climat grâce aux nouvelles technologies.

En termes de mal-adaptation, il y a aussi toutes ces pseudo-solutions de géo-ingénierie. Il y en a deux catégories : la première, qui vise à absorber le CO2 de l'atmosphère et le stocker dans le sous-sol. La seconde c’est de bloquer une partie du rayonnement solaire pour qu'il fasse moins chaud sur terre. Les volcans le font de façon naturelle et très temporaire, mais là ça serait fait de façon artificielle. Parce qu'on sait que si on bloque une partie du rayonnement solaire, en réaction forcément il fera un peu plus froid sur terre. Le problème de la géo-ingénierie c'est que cette manipulation du climat risque de créer d'autres conséquences. Balancer des sulfates dans la stratosphère, ça crée des pluies acides, ça modifie le cycle de l'eau encore plus. Dans l'avenir, on peut tout à fait imaginer qu'un pays, une entreprise ou un multimilliardaire décide de le faire, et on ne sait pas tout à fait à quel point les conséquences peuvent être cataclysmiques. Le changement climatique est un problème qui a été créé par la technologie, je ne pense pas que la technologie nous sauvera. Elle fera partie des solutions mais la géo-ingénierie en elle-même, il faut vraiment s'en méfier.

Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux, dans les médias, vous avez publié deux ouvrages cette année. La vulgarisation, c’est la clé ?

On est face à des changements très rapides et humainement on a beaucoup de mal à les appréhender. Mon cheval de bataille aujourd'hui c'est vraiment l'éducation, pour faire en sorte que tout le monde, y compris les non convaincus, comprennent l'urgence dans laquelle on est, parce que si on ne comprend pas qu'on est dans une crise de la survie de l'humanité, pourquoi est-ce qu'on aurait envie d'agir ? Il y a une citation que j'adore de Baba Dioum, un ingénieur sénégalais, qui dit que on ne protège que ce que l'on aime, on aime ce que l'on comprend, et on ne comprend que ce qui nous a été enseigné. On comprend que l'éducation c'est la première étape vers le passage à l'action.

Depuis 2016 je suis bénévole sur le projet Demain c'est nous, avec un établissement de la ville de La Rochelle. Ce projet a été créé par François Bernard qui est prof de technologie dans cet établissement. Il est arrivé à libérer deux heures par semaine pour que les élèves apprennent sur le changement climatique et mettent en place des projets dont ils ont envie. Et ça c'est génial parce qu'on voit que, quand on leur fait confiance et qu'on les soutient, les choses se passent et il y a des actions concrètes, constructives, positives réalisées par ces jeunes-là. Et aujourd'hui on a vraiment besoin que ça ne dépende pas que de profs comme François Bernard. Demain c'est nous est en train de dialoguer avec l'Education nationale pour essayer de mettre en place ce genre de programmes pour tous les établissements scolaires de notre pays. C'est comme ça qu'on arrivera à toucher ces jeunes. Ce n’est pas eux qui ont créé le problème mais on va avoir besoin d'eux pour mettre en place des solutions et l'éducation peut faire une grande différence.

Quand on est glaciologue, est-ce qu'on dort quand-même sur ses deux oreilles ?

Franchement pas beaucoup en ce moment, parce qu'il y a des piliers du climat qui sont en train de s'effondrer déjà aujourd’hui. Mais finalement, moi je me réveille le matin en me disant : quelle chance de bosser sur ce sujet-là et d’avoir les outils, les connaissances, pour essayer de motiver au passage à l'action, de savoir que toutes les solutions existent - ça peut être aussi frustrant parfois -  pour tacler le changement climatique, les inégalités sociales, pour essayer de préserver la biodiversité. Nous, on fait partie du pilier de l'action je trouve ça assez extraordinaire. C'est ce que je dis aux jeunes générations : vous êtes nés à un moment dans l'histoire de l'humanité où on peut sauver l'humanité. C’est à nous de sauter dans le train des solutions et d'y aller ! Ça va nous demander de taffer pas mal mais on a une bonne raison de se lever le matin quand même, non ?

"Sentinelles du climat", Heïdi Sevestre, avec la collaboration d'Isabelle Marrier. Editions Harper Collins (19€) 

"Demain, c'est nous", François Bernard et Heïdi Sevestre, Editions du Faubourg (18€)

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