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Serge July : "Il n’y a pas de culture journalistique chez les journalistes"

De grâce, résistez à votre pulsion première. Ce n’est pas parce que vous voyez écrit le mot "journalisme" qu’il faut détourner le regard. Et ne considérez pas que l’appellation "dictionnaire" constitue une circonstance aggravante. Observez plutôt le caractère "amoureux" de l’entreprise.
Article rédigé par franceinfo - Hervé Brusini
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Publié
Temps de lecture : 6min
Serge July, auteur du "Dictionnaire amoureux du journalisme" (Plon)
 (Thomas Padilla/MAXPPP )

Serge July, auteur d’un "Dictionnaire amoureux du journalisme", déclare sa flamme pour ce métier avec passion et lucidité. De quoi séduire les pourfendeurs de gens de presse autant que leurs admirateurs.

 
Astucieusement, un "A" comme "à bas les journalistes" démarre l’ouvrage. Ce florilège de l’ironie, du coup de gueule ou du trait d’esprit signé par les plus grandes plumes françaises et mondiales constitue un véritable délice. Voici, par exemple, ce que dit Zola : "Le flot déchaîné de l’information à outrance a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion , tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux procès-verbaux des reporters et des interviewers."

Étonnante prémonition que celle de l’auteur de "La bête humaine". Car, vous ne l’ignorez pas, ce jugement date de la fin du XIXe siècle et Zola a aussi été journaliste. D’où cette question : le passé s’est-il déjà posé les questions que nous nous posons aujourd’hui en matière d’information ? "Évidemment, répond Serge July. Nombres de critiques ou de problématiques qui existent aujourd’hui - et parfois de façon très violemment polémiques - ont été déjà vécues dans l’histoire du journalisme.

On pourrait ainsi parler du fait divers, de l’immédiateté, de l’abondance des nouvelles, du pouvoir de l’argent et bien sûr de la soumission au politique. Mais prenons le reportage de guerre. Comment parler du cauchemar de la bataille ? Jusqu’où faut-il s’approcher ? Quelles sont les marges de manœuvre du journalisme face au silence, au mensonge de l’État en guerre? Peut-on seulement traduire en mots ou en images l’extrême violence des armées qui s’affrontent ?

Michael Herr au Vietnam, ou Vassili Grossman face au stalinisme, Capa et ses photos, Hemingway… tous ont constaté la quasi-impossibilité de "dire" la guerre et ses vérités. Mais tous se sont résolus à approcher au plus près pour décrire ce que vivent les gens, les combattants avec les risques que cela suppose.

Mettre les drames en récits

Telle serait donc l’une - si ce n’est la - grande découverte de ce dictionnaire : depuis belle lurette, les hommes s’obstinent à mettre en récit leurs drames et cela au prix d’une multitude de contradictions. A commencer par cette relation toujours complexe entre subjectivité et objectivité du grec Hérodote. Elle jalonne sa série de livres baptisée "l’enquête".

Cela date du Ve siècle avant JC, et pourtant, qu’on accepte ou pas cette façon de questionner le journalisme, on en parle toujours. Car il s’agit rien moins que de savoir comment les professionnels de l’info affrontent ou accompagnent la réalité.

"On a l’impression que nos débats sont tout à fait nouveaux, grâce à l’histoire on peut les relativiser. Cela permet sinon de les résoudre, au moins de leur donner un éclairage neuf". Dans le dictionnaire de l’ancien patron de Libération, "Audimat", "Bourrage de crâne", "Café du commerce", "CSP+", voisinent ainsi avec l’évocation des grands anciens.

Le coeur de la démocratie

Modernité des questions posées et réminiscence utile des références historiques. "Pour connaître un peu cette profession, j’oserais affirmer qu’il n’y a pas de culture journalistique chez les journalistes ou en tout cas chez la plupart d’entre eux. A titre d’exemples, les mots "reporter" ou "éditorial" sont d’origine anglaise, de même le "in" ou le "off". Et tout cela parce que la liberté de la presse est une invention américaine, consacrée qui plus est par la Constitution de ce pays. En France, nous ne connaîtrons cela qu’un siècle plus tard. Cette histoire est tout bonnement celle de la liberté de la presse, et donc du cœur de la démocratie. On peut vivre en ignorant que le reportage est une invention venue de ce pays qui a été créé par des proscrits, des miséreux européens, des rebelles, des victimes de l’absolutisme… Mais le savoir c’est beaucoup mieux. C’est même un enjeu pour affronter les bouleversements actuels"

Et le dictionnaire de s’enrichir de nouveaux mots. "Technologies", "Robots", "Réseaux", "Droniste", constituent quelques repères pour évoquer la crise que traverse à présent le journalisme. Une refonte totale du métier et de sa fonction sociale sous l’effet dévastateur du numérique.

"Cela a déjà été dit mais cette révolution est une vague de fond. Comme l’imprimerie a produit le protestantisme, les grandes découvertes, bref une partie du monde moderne, ce que nous vivons désormais est du même ordre quant à ses conséquences prévisibles. Notre vieux système vertical est remis en cause. Le réseau social est un bouleversement démocratique. En France, on continue à se crisper sur le modèle vertical. On refuse de partager l’autorité. Et du coup, bien des imbécillités se disent sur Mai 68, l’école ou la vie en société. Mais tout cela est d’ores et déjà battu en brèche. Les temps nouveaux vont être douloureux pour tout le monde, à commencer pour les journalistes."
  (PIERRE GUILLAUD / AFP )
A la page 402, un nom est écrit par l’auteur de la façon suivante : "July (Serge) Itinéraire d’un enfant gâté". Sans fard aucun, l’homme dresse son autoportrait. On y devine la trajectoire d’une vie avec joies et peines. Mais une phrase est décrochée à la fin du chapitre, comme une mise en exergue, une clé qui résume tout : "J’ai fait, avec ce journal (Libération), le plus beau métier du monde".
 


"Dictionnaire amoureux du journalisme" de Serge July (Plon) - 928 pages - 25,00 €

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