"Six ans déjà" : Harlan Coben égal à lui-même
En achevant la lecture de "Six ans déjà", on ne peut s’empêcher d’avoir immédiatement en tête la chanson de Gilbert Bécaud, "Nathalie, mon guide" : vous savez, cette Nathalie, qui entraîne son touriste amoureux de détour en détour dans les rues de Moscou, lui enflammant le cœur, avant de le laisser seul, avec sa "vie qui semble vide"… Et bien le dernier opus d’Harlan Coben, c’est exactement ça. Sauf que dans son roman, Natalie s’écrit sans H. C’est la seule différence.
Natalie, donc, c’est une jeune femme artiste peintre en résidence dans le Vermont, qui s’éprend de Jake, professeur de philosophie à l’Université. Ils vivent une passion fusionnelle et violente : "Je repensai à ces grasses matinées où nous faisions l’amour, après quoi elle enfilait ma chemise bleue, et nous descendions prendre le petit déjeuner. On lisait le journal, puis elle sortait son carnet de croquis et commençait à griffonner (…). J’avais pensé naïvement que nous deux, c’était pour toujours. Moi qui fuyait toute forme d’engagement, j’avais su d’emblée –enfin, au bout d’une semaine-, que cette femme là, je me réveillerais à ses côtés chaque jour que Dieu fait. Que je ne pourrais plus me passer d’elle et qu’avec elle, le quotidien serait inoubliable". Et puis un jour, brutalement, Natalie rompt. Elle épouse un autre homme, au nez et à la barbe de Jake, qu’elle a eu la cruauté d’inviter à son mariage, lui fait jurer de ne jamais chercher à la revoir… et disparaît.
Sombre complot
Six ans plus tard, comme l’indique judicieusement le titre de l’ouvrage, Jake tombe sur la nécrologie du mari qui l’a supplanté dans le cœur de Natalie. Puisque son rival est mort, Jake estime que sa promesse ne tient plus… et se lance à la recherche de la femme de sa vie, qu’il n’est jamais parvenu à remplacer, et dont il espère toujours secrètement qu’un jour elle sera sienne. Mais voilà : Natalie a véritablement été absorbée par le néant : pas d’adresse, pas d’existence administrative, pas la moindre preuve de vie, nulle part. Même sa famille ignore ce qu’elle est devenue. D’indice en indice, Jake remonte le fil de l’histoire… et découvre les arcanes compliqués d’un sombre et mafieux complot.
On s’arrêtera là pour ne pas briser net l’élan des amateurs de thriller, surtout les admirateurs d’Harlan Coben. Car avec les tribulations de son héros récurent Myron Bolitar, puis avec le succès planétaire de "Ne le dit à personneo" (adapté au cinéma par Guillaume Canet en 2006), l’homme - immense échalas au crâne rasé et au sourire désarmant- a en France un véritable fan club. Ceux qui en font partie, avec toute leur indulgence de groupies, ne seront pas déçus car l’écrivain américain maîtrise toujours aussi bien ce qui a fait l’inépuisable recette de ses best-sellers : pas de cadavre ou si peu, mais l’être aimé qui brutalement disparaît.
Des clichés et de l'humour
Une histoire d’amour à l’eau de rose, qui ne redoute aucun cliché ("Je courus pour la rattraper et, malgré la blessure, la serrai dans mes bras. Nos yeux se fermèrent. Jamais encore, je crois, je n’avais éprouvé pareille sensation de bien-être. Elle se mit à pleurer. Je l’attirai tout contre moi. Elle posa la tête sur ma poitrine… "). Des méchants très méchants (ici, ils s’appellent Otto ou Musclor). Des amitiés troubles, et un happy end intensément américain et pour tout dire… assez mièvre. Mais, si on est bien disposé, ça fonctionne.
Harlan Coben fait même régulièrement preuve d’un humour grinçant au long de ses 368 pages, et on ne niera pas s’être parfois esclaffée à la lecture de certains passages réellement drôles : "Ces pseudos intellos précieux écrivaient tous le prochain chef d’œuvre de la littérature américaine, et quand on aborda le sujet tout sauf littéraire de ma thèse, il retomba sur la vieille table de cuisine avec le bruit mat du crottin d’âne (…). Un dénommé Lars était en train d’écrire un poème de six cents pages sur les derniers jours d’Hitler dans le bunker, du point de vue du chien d’Eva Braun. Sa première lecture se composait de dix minutes d’aboiements". "Six ans déjà", c’est pour tout dire un roman fidèle à son maître : il est aimable, casanier, comme un bon toutou qui veut faire plaisir et qui va où on lui dit d’aller, qui rapporte bien le bâton et qui ne déçoit pas, mais qui ne surprend pas non plus : pas du genre à mordre au moment où on ne s’y attend pas, c’est sûr. Reste qu’on a passé un bon moment de lecture... Un os plutôt sympa à ronger, en somme, bien qu’il nous laisse un peu sur notre faim.
"Six ans déjà" d'Harlan Coben (Belfond) - 374 pages - 19,95 euros
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