Sylvain Tesson, parrain du Printemps des poètes : ce qu'il faut retenir de la polémique

Le choix de l'écrivain Sylvain Tesson comme parrain de la 25e édition du Printemps des poètes a déclenché une polémique qui ne cesse d'enfler.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
L'écrivain Sylvain Tesson photographié chez lui à Paris, le 19 mai 2022. (PHILIPPE DE POULPIQUET / MAXPPP)

Le choix de l'écrivain Sylvain Tesson comme parrain de l'édition 2024 du Printemps des poètes, qui doit se dérouler à Montpellier du 9 au 25 mars, a suscité de nombreuses réactions et contre-réactions.

Des écrivains, des poètes, des philosophes et des personnalités du monde culturel, mais aussi des responsables politiques, se sont exprimés sur ce choix. Pourquoi un tel tollé ? Retour sur les sources et les développements de cette nouvelle polémique qui agite le monde politico-culturel.

Une tribune dans "Libération" pour dénoncer la nomination d'une "figure de proue de l'extrême droite littéraire"

À l’origine de la polémique, la nomination de l'écrivain Sylvain Tesson comme parrain pour l'édition 2024 du Printemps des poètes, une manifestation coordonnée par l'association du même nom, soutenue par le ministère de la Culture, le Centre national du livre et le ministère chargé de l'Éducation. Ce choix a provoqué la colère d'un certain nombre de personnalités de la culture. Ils sont 1 200 à avoir signé une tribune, publiée jeudi 18 janvier dans Libération.

"Nous, poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignantes et enseignants, actrices et acteurs de la scène culturelle française, refusons la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes 2024", écrivent les signataires dans cette tribune.

Ces derniers, parmi lesquels les auteurs Baptiste Beaulieu et Chloé Delaume, estiment que ce choix vient "renforcer la banalisation et la normalisation de l'extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l'ensemble de la société". Ils estiment que l'écrivain de 51 ans, prix Renaudot en 2019 pour La Panthère des neiges, est une "figure de proue de (l')extrême droite littéraire", argumentant qu'il a notamment préfacé plusieurs romans de Jean Raspail, écrivain monarchiste et catholique traditionaliste, admiré par les identitaires, décédé en 2020. En réalité, l'écrivain a préfacé un livre de l'auteur, un recueil de textes publié en 2015.

Soutiens de droite et de gauche

Plusieurs personnalités conservatrices ont pris la défense de l'intéressé, comme le journaliste Pascal Praud, qui a estimé sur CNews que "la tribune de Libération contre Sylvain Tesson a été signée par 600 (au moment de sa prise de parole, NDLR) inconnus qui s'en prennent à l'un des meilleurs écrivains actuels".

"Tant de médiocrités liguées contre un très grand écrivain, peut-être le plus grand écrivain français d'aujourd'hui : Sylvain Tesson. Cette tribune transpire la haine du talent, de la grandeur, de la transcendance, le culte de la laideur, la passion de l'abaissement", s'indigne le chroniqueur Éric Naulleau sur X (ex-Twitter).

Dimanche, la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati a apporté son soutien au choix de l'écrivain pour parrainer la manifestation."Sylvain Tesson fait partie de ces écrivains qui ont le désir de partager avec tous l'amour des mots. Je suis heureuse que le Printemps des poètes célèbre partout en France cette vision de la poésie, ouverte, libre et populaire", a déclaré la ministre sur le réseau social X (ex-Twitter).

Samedi, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, lui-même écrivain, a apporté son "soutien total à Sylvain Tesson" sur le réseau social X. Utilisant des termes plus tranchés que Rachida Dati, il a dénoncé "l'exclusion sectaire d'une plume aventureuse." "Voilà où nous en sommes dans la France des Lumières, de la raison et de l'esprit libre", a-t-il affirmé.

"Tout mon soutien à Sylvain Tesson, auteur incarnant admirablement l'amour de la langue française, face au sectarisme et à une cabale scandaleuse", écrit Xavier Bertrand, le président (ex-LR) de la région Hauts-de-France, sur X. Valérie Pécresse, présidente (LR) de la Région Île-de-France, a également dénoncé "une police de la pensée" qui "croit pouvoir décréter qui est autorisé à parler et qui ne l’est pas. C’est inacceptable". "Soutien total à lui face à cette cabale", conclut-elle sur X.

Dans un tweet, l'ancien ministre de la Culture Jack Lang a, lui aussi, apporté son soutien à Sylvain Tesson, ainsi qu'à la directrice de cette manifestation qu'il a lui-même initiée il y a 25 ans. "Un tel crétinisme est une insulte à la poésie qui, par excellence, est libre et sans frontières", fustige l'ancien ministre.

À Montpellier, ville où se déroule la manifestation, le maire s'est également ému. "La France est un pays de libertés ; celles des artistes, des écrivains, des programmateurs et des poètes sont donc nos libertés : nous devons les chérir", a souligné Michaël Delafosse dans un tweet, dénonçant la "cancel culture" comme "un appauvrissement de l’esprit, un sectarisme, une négation de la diversité du génie humain".

La littérature avant tout

"Le monde est assez détestable et le serait d'autant plus qu'on n'y admettrait pas d'autres horizons que le sien", a pour sa part jugé le prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, aux idées ancrées à gauche, sur Instagram. "J'ai durant toute ma vie admiré le travail d'auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n'ai jamais pensé qu'il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès", poursuit-il. "Il faut craindre autant que le mal les moyens que l'on met à favoriser l'avènement du bien", conclut Nicolas Mathieu.

"Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ?", questionne pour sa part Patrice Jean dans une tribune parue le 21 janvier dans Le Figaro (article payant). "La seule chose qui devrait nous importer est la qualité littéraire des écrivains, qu’ils soient de droite ou de gauche ; et si un individu pense que la correction politique prime sur cette qualité, c’est qu’il se fiche de la littérature", estime l'auteur de Kafka au candy-shop (éditions Léo Scheer) dans un entretien au journal L'Express (article payant).

"On a beau être prévenu de l’intolérance des progressistes, on peine à croire que 600 écrivains, professeurs, libraires (plus de 1 200 au moment de la publication de cet entretien, NDLR) aient signé une pétition contre un écrivain. Il faut un effort pour imaginer une telle bassesse", s'offusque Patrice Jean dans les colonnes de L'Express.

"On assiste à une extension du domaine de l’extrême droite : sera qualifiée d’extrême droite toute personne qui n’est pas progressiste. Il faut réactualiser le proverbe : 'Qui veut tuer Tesson dit qu’il est d’extrême droite'", ajoute Patrice Jean.

Denis Olivennes, président d’Editis, a de son côté suggéré avec ironie de "bannir des manuels scolaires Chateaubriand, Balzac, Flaubert, Baudelaire, Valéry et tant d’autres encore, tous écrivains, tous réactionnaires, comme Sylvain Tesson, brûler leurs livres et puis, pour contrôler l’avenir, établir un ministère de la Vérité".

Contre-tribune

En riposte à la tribune de Libération, une trentaine d'intellectuels ont publié dans le journal Le Point une autre tribune, à l'initiative de Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, et écrivain, pour défendre Sylvain Tesson au nom de "l’imprescriptible liberté de parole et de pensée". Parmi les signataires figurent Pascal Bruckner, Luc Ferry ou encore l'écrivain Boualem Sansal.

"Serait-ce donc là, cette injustifiable cabale à l'encontre de l'une de nos meilleures plumes comme de l'un de nos plus beaux esprits d'aujourd'hui, le déplorable, mais dangereux effet pervers, au vu de ce qui apparaît là comme un nouveau type d'inquisition, de cet insidieux poison doctrinaire, sectaire et rétrograde, sinon réactionnaire au-delà même ses louables intentions émancipatrices de départ, de ce que l'on appelle communément le "wokisme" ?", interrogent les signataires.

Notant le caractère "franchement contradictoire" de la tribune des pourfendeurs de Sylvain Tesson, "censés défendre les droits de l'homme, le progrès des idées, la liberté de création et la noblesse de la tolérance, voire la grandeur d'une civilisation", les signataires de cette contre-tribune estiment que ces derniers auraient "sombré" "de manière aussi inconsidérée, pour ne pas dire pitoyable, dans les pernicieux travers du terrorisme intellectuel tout autant que la dictature morale, ces deux dangereux vecteurs idéologiques du totalitarisme !"

Ni les organisateurs du Printemps des poètes ni Sylvain Tesson n’ont commenté cette polémique pour le moment.

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