"Une époque en or" de Titiou Lecoq : entre aventures et quotidienneté, un roman réjouissant et engagé
Titiou Lecoq a commencé sa carrière littéraire en écrivant son quotidien sur un blog personnel. Journaliste, romancière et essayiste, elle est reconnue pour ses écrits féministes, notamment consacrés à la vie domestique, à la charge mentale et à l'effacement des femmes de l'histoire. Une époque en or signe son retour à la fiction avec un récit plein d'humour et de tendresse qui mêle les grandes thématiques qui traversent son œuvre.
L'histoire : Chloé Berthoul habite la ville de Gabarny avec son compagnon, son fils et sa belle-fille. Située quelque part en France, cette commune fictive est un lieu calme, un endroit moyen, et à l'ordre inébranlable. La narratrice navigue entre son travail, les sorties d'écoles, ses réunions au BMA – le club des Belles-mères anonymes – et quelques crises d'angoisse. Une existence presque heureuse, jusqu'au bouleversement.
Des voisins arrêtés par la police, un collectif de masculinistes, un enfant qui traîne dans une cage d'escalier, un secret de famille, une grand-mère perfide et une soudaine chasse au trésor : en quelques mois, le quotidien de Chloé et de sa famille vacille. Prise entre ces vents contraires, celle qui n'est qu'une femme "comme tant d'autres" cherche à donner du sens aux choses, à reprendre sa vie en main.
Chroniques d'une vie de famille
"La vie familiale est une répétition sans fin des mêmes gestes, mais j'avais décidé de savourer cette routine plutôt que de m'en plaindre." Si Une époque en or est un roman plein d'aventures et de suspens, la quotidienneté, notamment domestique, y tient une place centrale. Titiou Lecoq, autrice de l'essai Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale consacré à la charge mentale des mères, dresse la routine de Chloé, l'organisation au sein de son couple et de sa tribu : un savant mélange d'horaires décalés, de raviolis cuisson rapide et de télétravail.
Véritable récit sur les manières de faire famille, Une époque en or explore également les relations complexes qui se nouent au sein des familles recomposées. L'autrice aborde le sujet à travers le facétieux BMA, ralliement hebdomadaire de toutes celles qui ne parviennent pas à aimer leurs beaux-enfants, ou, tout au contraire, craignent de les perdre. Titiou Lecoq écrit ainsi les liens forts qui se tissent entre les petits et les grands, parfois même bien au-delà de la famille ou de la belle-famille.
Des beaux-parents aux enfants en passant par les grands-parents, Une époque en or aborde le partage, mais aussi les manquements et les non-dits. Le roman est traversé par un secret de famille, une histoire d'outre-tombe pour le moins saugrenue. Moteur d'intrigue et source de rires pour les lecteurs, le secret porte aussi la trace de vieilles douleurs.
Violences et maux d'époque
Tout en étant un livre joyeux, Une époque en or fait le récit de trajectoires complexes, d'impensables souffrances. "Toute fiction s'inscrit dans une réalité : d'après un rapport de 2018, en France, 400 000 enfants vivent dans un foyer où s'exercent des violences intra-familiales", écrit Titiou Lecoq dans les remerciements qui clôturent son roman.
L'autrice aborde ainsi, toujours avec un ton juste, les violences familiales et les nombreuses répercussions qu'elles peuvent avoir sur les enfants, les violences sexuelles, le harcèlement, les féminicides. Du récit d'un jeune voisin à celui d'une grand-mère, Une époque en or peint les choses telles qu'elles sont, ne nie aucune souffrance, et, de la même manière, ne tait aucun bonheur.
"La France de René Coty se marrait plus que nous", écrit Titiou Lecoq, statistiques à l'appui. Difficile de rire à notre époque ? Entre éco-anxiété, violences systémiques et écrits cyniques, son troisième roman en est la parfaite démonstration et la contradiction idéale. On rit en effet éperdument avec Titiou Lecoq.
"Une époque en or" de Titiou Lecoq (L'Iconoclaste, 394 pages, 21,90 euros).
Extrait : "En arrivant dans mon immeuble, j'ai entendu du bruit. J'ai coupé ma playlist. Des cris d'hommes venaient du premier étage. L'autre ivrogne avait bien entamé son apéro lui aussi. J'ai pensé au pauvre môme qui devait supporter ça et puis, arrivée au deuxième étage, j'ai trouvé ledit môme assis sur le palier. Il était penché sur sa console portable. Il a levé la tête et il m'a souri.
Depuis combien de temps était-il là ? Il était beaucoup trop tard. Trop tard pour qu'il joue à la console, trop tard pour être debout.
J'ai hésité.
"Est-ce que tu veux que j'aille voir comment va ta mère ? Ou qu'on appelle quelqu'un ?
- Pas la peine. Ma mère, elle travaille. Elle est de nuit à l'hôpital."
L'autre sac à vin était en train de gueuler tout seul. C'était pathétique. Mais il était minuit et demi, je n'allais pas laisser cet enfant comme ça.
Je lui ai dit : "Allez, viens".
Et il s'est passé un truc miraculeux. Il m'a obéi." (Une époque en or, pages 78-79)
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