Violences sexuelles : une littérature "à hauteur d’enfant" pour prévenir et sensibiliser
La littérature, pour faire comprendre aux professionnels de l’enfance "ce que les victimes ont ressenti", explique Henriette Zoughebi, qui a réalisé pour la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) un recueil d’œuvres littéraires pour lutter contre le déni. Il accompagne le rapport de la Ciivise, qui a fait 82 préconisations après avoir recueilli pendant trois ans le témoignage des victimes.
"Ce qui permet aux hommes de voir la réalité, c’est d’abord la littérature", a estimé le juge Edouard Durand, co-président de la Ciivise s'exprimant lors d’une intervention au Salon du livre et de la presse jeunesse, qui s’est achevé le 4 décembre à Montreuil, en région parisienne. Pour recueillir la parole des victimes de violences sexuelles, il faut une "une doctrine claire", résumée en trois mots – "On vous croit " – qui, selon lui, "commence par une ambition existentielle : voir la réalité".
"La littérature fait penser parce qu’elle fait d’abord ressentir"
Henriette Zoughebiau Salon du livre et de la presse jeunesse
Elle permet à la fois de "ressentir, de mettre à distance et cela aide à comprendre, c'est-à-dire 'prendre avec soi' '', précise l'une des fondatrices du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil qu'elle a dirigé pendant plusieurs années. Le recueil de la Ciivise, réalisé avec l’association Idéokilogramme, s’adresse aux professionnels de l’enfance et aux adultes en général, qui doivent être formés pour aider les enfants victimes dont la parole est trop souvent niée : "92%" de ceux qui font des révélations ne sont ni crus ni protégés, indique le juge Edouard Durand. L’autrice Sandrine Beau a écrit plusieurs livres jeunesse sur les violences sexuelles, dont La Porte de la salle de bain (Editions Talents hauts), après avoir fait ce constat. "Je me suis rendu compte à quel point les traumatismes étaient durablement profonds, notamment pour les victimes qui n’avaient jamais été entendues".
Croire et protéger les victimes dès l'enfance
Et quand elles le sont, Henriette Zoughebi note qu’il faut "un minimum de formation pour accueillir (sa) parole et protéger l’enfant". Le travail qu’il reste désormais, à partir de cette brochure, est celui de "faire des préconisations en littérature jeunesse". Des pistes sont déjà données. "L’étude de la mythologie en classe de 6e en français et en histoire pourrait être l’occasion de sensibiliser aux enjeux de la lutte contre les violences sexuelles (en développant) la capacité des élèves à (les) définir et (les) reconnaître (ainsi qu'en) analyser les représentations de façon critique", suggère Henriette Zoughebi. La mythologie gréco-latine est "un point de départ" parce qu’elle a inspiré des œuvres littéraires qui ont façonné "notre imaginaire collectif". La déconstruction doit donc commencer aux origines du mal. Les contes, par lesquels l’on "donne le goût de la littérature" dans l’enfance sont une autre piste.
Dans la pratique d’associations comme L’Enfant Bleu, le livre s’est imposé ces dernières années comme un outil de prévention et de sensibilisation incontournable. "La littérature jeunesse est au cœur de notre travail à l’association", souligne Laura Morin, directrice nationale de la structure qui s’est fixée pour mission d’accompagner les enfants et les adultes victimes dans leur enfance de maltraitance. Parler des violences sexuelles subies n’est pas aisé, notamment pour les plus jeunes. L’Enfant bleu, qui mène des actions dans les établissements en Ile-de-France et dans plusieurs régions du pays, a mis ainsi en place des ateliers contes. Ce qui donne "la possibilité à des enfants âgés de 3 à 8 ans de parler de ce qu’ils ont vécu à travers des histoires, les contes, parce que parfois pour un enfant, c’est plus facile de parler d’un personnage, d’un autre que lui pour raconter ce qu’il a vécu".
"Un vecteur pour dialoguer avec l'enfant"
Le livre s'avère être également "un appui" pour les parents afin d'aborder ces questions délicates, "un support incroyable", "un vecteur pour dialoguer avec l'enfant", affirme Laura Morin. Après son passage dans les écoles, l’Enfant Bleu laisse ainsi une mallette de livres qui permettront aux équipes pédagogiques de poursuivre le travail de sensibilisation entamé.
"La littérature générale permet de sensibiliser les adultes", résume Anne Clerc, déléguée générale de l’association Face à l’inceste qui rappelle que les livres de Vanessa Springora et Camille Kouchner ont permis de faire évoluer la loi Billon sur le consentement sexuel. Toutefois, poursuit-elle, la littérature jeunesse a "un apport supplémentaire", celui d’être "à hauteur d’enfant". Les ouvrages servent à sensibiliser mais il est déterminant de rappeler "le cadre de la loi" et les violences sexuelles y sont "sévèrement punies". Anne Clerc est par ailleurs convaincue que les politiques "bougeront" si "les mineurs parlent eux-mêmes des violences sexuelles qu’ils subissent", plaide-t-elle. Et la littérature peut, encore une fois, être une bonne médiatrice.
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