Arty et décalé, le dernier show de Charlie Le Mindu ébouriffe le Palais de Tokyo
J'ai découvert son travail en marge de la semaine de la haute couture avec sa collection printemps-été 2013 "Métal Queen" : un assemblage de coiffes et perruques élancées, étirées, sculptées portées sur des robes fourreaux et des bustiers ornés de tresses, de franges soyeuses ou de cascades de mèches. J'avais aussi vu sa collection automne-hiver 2014-2015 lors d'un show délirant avec le Cabaret Paris Hait Gris dans le cadre des Soirées Nomades de la Fondation Cartier pour l'art contemporain, en 2014.
Alors assister à la première de son nouveau spectacle Charliewood, le 17 mars 2016, m'a réjouie. Au sous-sol du Palais de Tokyo, après avoir passé une porte en forme de bouche ouverte, je suis happée par l'obscurité.
En bas d'un escalier des halos rouges attirent l'oeil, en réalité m'y attendent d'étranges créatures chevelues qui se dandinent derrière leur vitrine en forme de bulles. "Pour les filles dans les bulles, je souhaitais justement m'éloigner des clichés d'Amsterdam et de celui de la femme objet, je suis attiré par des femmes à caractère et fortes", explique Charlie Le Mindu.
On entre dans le vif du sujet avec la reprise de ses deux précédents spectacles Paris Hait Gris (2014/2015) et A Male Gaze (2015/2016). Petit entracte pendant lequel le transsexuel américain Allanah Staar déguisé en poule -déjà croisé en début de soirée poussant un caddie rempli d'oeufs- se retrouve quasi nu sur un rocher de carton avec à ses côtés deux poules vivantes ! Interrogé, Charlie Le Mindu a répondu : "Allanah Staar en poule, tout simplement car on peut se poser cette question : qui est arrivé en premier l'homme ou la femme? L'oeuf ou la poule ?".
Puis, débute sa nouvelle création Charliewood mêlant musique, danse, vidéo et performance. Il y aborde les métamorphoses du corps humain, un de ses thèmes fétiches. Le corps est fragmenté, hybride, il se déconstruit pour n’être plus que bouche, nez, oreille, moustache et cheveux. Ces personnages sont vêtus pour certains d'étranges sculptures capillaires pour d'autres d'un nez, d'une oreille, d'une bouche.... ils dansent et s'entrechoquent sur scène.
Dans une autre scène, la danse est plus lacive et les paillettes dorées qui recouvrent le corps du danseur s'écoulent comme de la pluie sur lui.
Enfin, une créature chevelue des pieds à la tête monte sur scène : dans sa chevelure sont entrelacées des guirlandes lumineuses, l'effet est des plus détonnant dans cette salle obscure.
Les productions du créateur irrévérencieux mêlent postiches, costumes, maquillage, peinture corporelle, sculptures et décors, s’inspirent de la mythologie antique, des bestiaires fantastiques, des coiffes médiévales ou des mystères des grands fonds marins.
Le créateur-coiffuriste
"Moi, je ne me considère pas comme un artiste. Philippe Decouflé avait trouvé un mot que j’aime bien : "coiffuriste", explique Charlie Le Mindu, qui manie le cheveu naturel comme une matière textile, le dresse en casques à écailles, en gigantesques corolles ou en drapés sculpturaux jaillis de son imaginaire teinté de culture underground.À 17 ans, il part pour Berlin "sans parler allemand, ni anglais et sans argent". Attiré par sa culture underground, il côtoie le milieu de la nuit et commence à couper les cheveux dans les clubs qu'il fréquente, lançant le concept du "salon pop-up". "Je m'amusais bien mais c'était dur d'être créatif là-bas", commente-t-il. Il décide, alors, de tenter sa chance à Londres. Son premier défilé a lieu en 2009. Le succès est immédiat. L'icône et chanteuse Lady Gaga fait appel à lui, première d'une longue série de célébrités. Aujourd'hui Charlie a un studio dans l'est de la capitale britannique où il travaille avec une dizaine de personnes et un salon chez Harrods. "C'est le bon goût du mauvais goût que j'aime ici, il est drôle, il m'inspire. La beauté c'est d'abord une question de bien-être intérieur", dit-il. "C'est un génie, il est créatif, innovant, talentueux !", s'exclame son ami et figure new-yorkaise de la mode André J, mannequin Noir transsexuel barbu aux longs cheveux venu défiler pour lui à Paris.
Créateur de mode, perruquier, artiste ou coiffuriste, Charlie Le Mindu s’est fait remarquer en conjuguant les disciplines de la coiffure, de la couture et de la sculpture. En 2009, il lance sa première collection de perruques et revivifie la haute coiffure -complément raffiné de la haute couture- pour la présenter sur le catwalk dans le cadre de défilés de saison ou à l’occasion de concerts sous formes de costumes exubérants. Il considère le cheveu comme une parure comparable au vêtement.
Ses créations ont été exposées au Victoria & Albert Museum, à Londres (Power of Making, 2011) et présentées à la Fondation Cartier à Paris (Moebius-Transe-Forme, 2011 ; Les Soirées Nomades, 2015). Il a collaboré à plusieurs reprises avec le chorégraphe Philippe Decouflé et était l’invité principal de la soirée de charité performative de Robert Wilson au Watermill Center (New-York) en 2011.
Les 25, 26 et 31 mars 2016, le spectacle comprend Charliewood et les spectacles Paris Hait Gris et A Male Gaze, tandis que les 8 et 9 avril, le show de Charlie Le Mindu s'inscrit dans le cadre du festival Do Disturb et les représentations ne concernent que Charliewood.
DO DISTURB est un festival créatif, vibrant et impertinent, mêlant des créations nouvelles, des pièces inédites en France ainsi que des performances. Son principe : la déambulation du public au travers de 50 événements proposés par 70 artistes. "Pour cette nouvelle édition, DO DISTURB fait du transgenre le leitmotiv d’une création toujours plus expérimentale, nourrie par des processus de recherche dans les arts plastiques mais aussi dans les arts du cirque, la magie, la danse ou la mode", explique Vittoria Matarrese, responsable de la programmation culturelle et des projets spéciaux du Palais de Tokyo.
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