Benetton renoue avec le scandale
Mercredi soir, le groupe italien a annoncé sa décision de retirer le photomontage montrant le pape en train d'embrasser l'imam d'Al-Azhar au Caire. Il s'est dit "désolé que l'utilisation de l'image ait heurté ainsi la sensibilité des fidèles". Cette affiche, comme toutes celles de la campagne, est surtitrée de la mention "Unhate" (en gros, "non-haine").
Le Vatican avait fustigé "un grave manque de respect au pape" et promis "des démarches auprès des autorités compétentes pour garantir (...) le respect de la figure du Saint Père". Le Saint-Siège a annoncé jeudi des actions en justice dans le monde pour empêcher la diffusion de l'image, "y compris à travers les médias".
Côté Benetton, on se défend de toute intention malveillante. "Nous rappelons que le sens de cette campagne est exclusivement de combattre la culture de la haine sous toutes ses formes", a plaidé dans un communiqué un porte-parole du groupe à propos de la série de photomontages -fort réalistes- qui montrent aussi de chauds baisers entre les grands dirigeants politiques de ce monde.
En France, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a confié jeudi qu'il n'était "pas du tout choqué" par cette campagne, qu'il a jugée "plutôt ironique". Il en a profité pour faire un constat : "Il y a une régression incroyable. Il y a 30 ans, Luis Bunuel faisait un film, "La Voie lactée" (réalisé en 1969, ndlr), où on fusillait le pape... Des gens étaient choqués, d'autres pas, et voilà."
Des baisers langoureux d'Obama, Sarkozy, Netanyahou...
La sulfureuse campagne, lancée mercredi à Paris par le vice-président Alessandro Benetton, rend un hommage tout particulier à Barack Obama. Le très glamoureux président américain est représenté tantôt en train d'embrasser son homologue chinois Hu Jintao, tantôt l'ombrageux Vénézuélien Hugo Chavez. La Maison Blanche a réagi en rappelant qu'elle "désapprouvait" l'usage commercial de l'image du président américain.
Autres sujets de la campagne, le "couple" franco-allemand Sarkozy-Merkel, mais aussi la même Angela Merkel avec Silvio Berlusconi (quelle veinarde !), le dirigeant israélien Benyamin Netanyahou et le numéro un palestinien Mahmoud Abbas (moyennement reconnaissable), ou encore le dictateur nord-coréen Kim Jong-Il avec son frère ennemi sud-coréen Lee Myung-bak...
Les photomontages ont été réalisés par le centre de recherche en communication sociale du groupe italien, Fabrica. Même si Alessandro Benetton s'en défend, ils ne manquent pas de raviver le souvenir de campagnes choc des années passées. On se souvient notamment de ce jeune prêtre embrassant une ravissante nonne, en 1992. A l'époque, le maître d'oeuvre de ces opérations marketing s'appelait Oliviero Toscani. Il faisait usage de cette tribune publicitaire pour marquer son engagement contre toutes les discriminations. Au moins aussi controversées, les images crues des trois coeurs identiques étiquetés "blanc", "noir", "jaune", le tatouage "H.I.V. positive" au-dessus d'un pubis, le nouveau-né ensanglanté encore relié à son cordon ombilical, ou encore la photo d'un malade du sida sur son lit de mort, ont profondément marqué les esprits. Pourtant, le groupe Benetton ne semble plus les assumer pour le moment, puisque les images des anciennes publicités ont été retirées du site officiel du groupe. On pouvait encore les voir cet été, souligne "Le Figaro" dans son édition de jeudi.
Un clin d'oeil au fameux baiser entre Brejnev et Honecker
De fait, dès mardi soir, le vice-président Alessandro Benetton assurait que la nouvelle campagne ne constituait pas une forme de "revival" des années Toscani, mais une simple allusion à une photo historique entre ce baiser fraternel, à la Russe, échangé en 1979 par les deux hommes forts de l'ancien bloc soviétique : Leonid Brejnev et son "camarade" est-allemand Erich Honecker. "La relation fondamentale qui lie Benetton à ses clients est basée sur le dialogue, l'échange de points de vue, la défense de certains principes, l'évocation sans fard de problèmes de société. L'idée n'est pas de choquer, mais si possible d'être créatif, constructif et positif", plaidait ainsi le deuxième fils de Luciano Benetton. Frapper les esprits, et réaffirmer un engagement et un ancrage dans la société, face aux mésententes du monde. Est-ce le rôle d'une marque d'habillement ? Vingt ans plus tard, le débat est relancé !
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