Bill Cunningham, le photographe inventeur du street style
Toute personne de moins de 70 ou 75 ans se voit appeler "enfant". Quand on lui parle, il se concentre, fronce les sourcils et tend l'oreille, mettant parfois sa main en cornet. Pourtant rares sont les figures du monde de la mode d'aujourd'hui qui peuvent se targuer, comme lui, d'être perpétuellement en vogue, voire de savoir prédire le futur "dernier cri". Cet homme discret, né dans le Massachusetts des années 1920, sait voir avant tous "ce qui sera la tendance dans six mois", estimait Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue USA, dans un film documentaire sur le photographe, "Bill Cunningham New York" (2010).
"Il ne dit pas grand chose, mais lorsqu'il s'agit de mode, il est le meilleur", confie à l'AFP Hal Rubinstein, de InStyle magazine, à l'issue d'un défilé printemps-été 2015. "Il a certainement plus de flair que tous les rédacteurs de mode ici", résume cette plume influente de la mode, qui dit connaître M. Cunningham "depuis 35 ans".Si elles lui ont permis d'accumuler une connaissance encyclopédique, les années semblent n'avoir jamais eu de prise sur son art de dénicher les tendances maîtresses, voire avant-gardistes, dans la rue, sur les podiums ou les soirées mondaines. Silhouette omniprésente, souvent à vélo, de la 5e avenue et des défilés new-yorkais, on le retrouve aussi à la semaine de la mode parisienne, où ce qu'il voit "éduque l'oeil" de l'expert qu'il est, selon ses dires. "Il faut laisser la rue vous dire quelle est l'histoire"
L'intérêt que M. Cunningham suscite dans les médias l'irrite au plus haut point : "Cela attire trop l'attention sur moi" et détruit son travail, avoue-t-il à l'AFP. Figure singulière d'un monde portant aux nues l'ego, l'ostentation et l'individualité d'un style, où chaque starlette ou blogueuse cherche l'objectif, il n'aspire lui qu'à une chose : être "invisible". Car au coeur de son art réside ce secret : "Il faut laisser la rue vous dire quelle est l'histoire", confie celui qui affirme volontiers "ne pas être un bon photographe". Savoir saisir la beauté d'un vêtement en mouvement mais aussi de l'instant, l'élégance d'une femme sautant par-dessus une flaque d'eau, d'un dandy à chapeau traversant la rue, d'un mannequin à l'allure folle... Sans jamais intimider ou influencer le modèle improvisé.
"Il ne faut pas avoir d'idée préconçue, il faut sortir et laisser la rue vous parler", insiste celui qui a commencé sa carrière en créant des chapeaux pour les New-Yorkaises de la bonne société. En 1963, il travaillait Chez Ninon, un atelier de couture sur-mesure, lorsque Jackie Kennedy, une cliente régulière, lui a fait parvenir un tailleur Dior rouge avant les funérailles de son mari, le président assassiné. "On n'avait pas le temps de faire venir du tissu pour en confectionner un neuf, alors on l'a teint en noir dans la nuit", a-t-il raconté lors d'une conférence à New York. Une tribune dans le New Yorlk Times
Ses premiers clichés volés d'inconnues mais aussi de célébrités, telle l'actrice Greta Garbo en 1978, lui ont permis de décrocher une tribune dans le New York Times, "On The Street" ("Dans la rue"), où chaque semaine sont toujours mises en avant les dernières tendances. Les hommes en jupe, le léopard, les chemisiers le jour comme le soir, une nouvelle palette de couleurs ou d'imprimés.
"Bill Cunningham est l'inventeur de la photographie de mode dans la rue", estime Brad Paris, qui enseigne la photographie à l'école de mode new-yorkaise FIT. D'autres s'y sont peut-être essayés avant lui mais il en a donné une vision cohérente". Et a permis la naissance d'une communauté à l'influence croissante, "le blogueur de mode, son héritage", souligne l'expert. En effet, "la tribune de M. Cunningham a imposé l'idée que toute personne possédant un appareil photo, un compte Wordpress (pour la création d'un blog) et quelques idées peut avoir une réelle influence sur le monde de la mode".
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