"C'est un parcours du combattant" : le chausseur Philippe Zorzetto défend le fabriqué en France mais n'y assure pas, encore, toute sa production
De plus en plus d'entreprises françaises de mode tentent de relocaliser leur production sur le territoire national mais le processus est long. Si face aux coûts engendrés certaines font marche arrière, d'autres, malgré les difficultés, retrouvent des ateliers dans l'Hexagone.
C'est le cas de Philippe Zorzetto qui a lancé sa maison de souliers en 2009. Il dessine ses modèles à Paris et les fait réaliser dans des ateliers différents et complémentaires. Sa collection printemps-été 2023 est produite à 40% en France et à 60% en Italie mais, au lancement de sa marque, sa production venait uniquement d'Espagne faute d'avoir trouvé des ateliers en France. "Le parcours est semé d'embuches. Véritablement, c'est un parcours du combattant. Dès 2015, j'ai cherché des ateliers français mais il n'y en avait que très très peu. Ils étaient débordés et ne prenaient pas de nouveaux clients." Son objectif : valoriser l’artisanat et les savoir-faire locaux, favoriser le circuit court pour limiter l’empreinte carbone tout en protégeant l’emploi aussi bien dans l’approvisionnement de ses matières premières que pour la conception et la production de ses collections. Explications d'un créateur passionné.
Franceinfo Culture : Vos cuirs proviennent de tanneries européennes. Pourquoi ne travaillez-vous pas uniquement avec la France ?
Philippe Zorzetto : Au niveau des peausseries, c'est, en effet, européen. C'est très difficile de savoir l'origine exacte des peaux, mais en France et en Italie, il y a des labels de qualité européenne qui permettent de connaître la filière. C'est le plus important. Ils sont les plus clean et l'on sait que ce ne sont pas des peaux qui viennent du bout du monde. Le cuir de bovin pleine fleur vient de la tannerie Mastrotto (Italie) qui fait partie du projet GREEN L.I.F.E et est certifié Gold par le Leather Working Group, organisation indépendante qui évalue les pratiques environnementales des tanneries. Pour mes espadrilles, mes sneakers et aussi certaines boots, je privilégie les cuirs des tanneries françaises.
Le cuir est un déchet de l'industrie agroalimentaire, on ne tue pas d'animaux pour faire des chaussures ou des sacs, c'est très écologique. J'ai fait des tests sur des cuirs de raisin et de bananes, c'est intéressant mais en terme de durabilité on n'est pas, encore, au même niveau.
Comment sélectionnez-vous ces tanneries ?
Ce sont les ateliers qui me proposent des peaux. Ils ont fait une pré-sélection car ils ont déjà travaillé sur les labels de qualité. Le choix des peaux, c'est un peu comme un chef, au bout d'un certain nombre d'années, on apprend à reconnaitre une belle peau, cela se développe au fils du temps.
C'est compliqué de trouver des artisans aujourd'hui ?
En France, dans les années 2000, il y avait à peu près 100 000 personnes qui travaillaient dans l'industrie de la chaussure. En 2023, je pense que l'on est en dessous des 10 000. Il faut une vraie volonté pour chercher et trouver des ateliers avec lesquels travailler, c'est devenu extrêmement rare. Je les connais à peu près tous, car il n'y en a plus tellement. Ce sont des ateliers très très fragiles aujourd'hui.
Vous travaillez principalement avec des ateliers familiaux, à taille humaine
Déjà, pour des raisons personnelles : je suis le fils d'un artisan [d'une famille franco-italienne, son grand-père paternel travaillait dans des ateliers de chaussures dans la région de Venise]. Un artisan, c'est un créatif. Il y a quelque chose de très humain dans le choix d'un atelier, un échange de savoir-faire et de valeur. Un petit atelier travaillera aussi les plus petites quantités : c'est intéressant pour développer de nouveaux produits et, puis, je n'aime pas le côté trop industriel. Cela a toujours été mon ADN, l'artisanat associé à un côté plus mode. Je propose un savoir-faire artisanal, fait main, avec un look, plus rock, plus contemporain.
Ces ateliers ont des savoir-faire spécifiques ?
Quand je dessine ou que j'ai envie d'un modèle, il est associé à un atelier car chacun a un savoir-faire bien spécifique : celui qui fait de la basket ne sait pas faire le Cousu Blake d'une boots, ni d'une sandale.
En France, je travaille, principalement, avec des ateliers familiaux. En fait, cela arrive souvent dans l'industrie de la chaussure car ils se transmettent d'une génération à une autre. La nouvelle génération, qui reprend l'activité, a la trentaine et une vision plus globale, plus moderne mais aussi plus écologique. Chaque atelier travaille différemment, il faut composer avec les contraintes de chacun sans perdre son idée initiale.
Il y a dans ma collection une trentaine de modèles dont une dizaine de classiques incontournables qui en constituent la structure et c'est amusant de trouver un nouvel atelier qui va m'ouvrir d'autres possibilités de création.
Ce savoir-faire artisanal joue-t-il un rôle dans la durée de vie d'un soulier ?
Dans la chaussure, il y a deux types de construction, l'industrielle et la fait main notamment avec le Cousu Blake où la semelle en cuir n'est pas simplement collée mais cousue sur la tige d'une Richelieu ou d'une boots. Ce qui veut dire que l'on peut la remplacer, qu'elle est plus durable, plus solide et plus confortable mais c'est plus de process de fabrication. J'ai toujours travaillé avec ce type d'ateliers, même pour mes modèles féminins. En principe, ils ne font que des chaussures masculines alors au début je me suis battu pour l'obtenir. En général, les chaussures féminines sont extrêmement industrielles et ne sont pas cousues.
Vos Richelieu, mocassins, certaines boots et escarpins proviennent d'Italie alors qu'auparavant elles étaient faites en Espagne ?
L'atelier italien est d'un niveau supérieur à celui que j'avais en Espagne. Cela fait trois ans que je bosse avec eux. Pour moi, la France et l'Italie, il n'y a pas de concurrence, il faut exploiter les meilleurs savoir-faire. C'est vrai que cela serait plus simple de tout produire en Italie mais je me bats pour produire en France.
Pourquoi avez-vous opéré ce changement ?
Au moment du Covid, il y a eu un basculement. Je me suis dit qu'il n'était plus possible de tout produire à l'étranger, qu'il fallait essayer de rapatrier au maximum pour donner plus de valeur encore à ma chaussure. Et je me suis souvenu de quelque chose que j'avais complétement oublié : je suis né à Carcassonne et, à côté à Limoux il y avait une grosse industrie de la chaussure. J'ai vu cette entreprise rachetée par un fond d'investissement puis fermer. J'étais adolescent, et des amis de mes parents ont perdu leur emploi et cela m'a beaucoup choqué.
Vos sneakers proviennent de Montjean-sur-Loire
Mes dessins de sneakers étaient dans des cartons car je ne voulais pas les faire au Portugal comme tout le monde. Leur fabrication dans le monde équivaut à 400 000 vols AR Paris-New York, c'est l'une des industries les plus polluantes.
Je voulais, aussi, une basket vraiment écologique. En terme de bilan carbone quand on produit et vend en France, le bilan est très très bas. Je voulais une valeur ajoutée liée à la localité pour faire un vrai produit écoresponsable. J'ai mis des années à trouver cet atelier, assez important, qui est capable de réaliser une sneaker de A à Z. Je souhaitais des matières naturelles : la semelle est en caoutchouc recyclé, le cuir est en tannage végétal, le lacet en coton bio et la semelle compostée. En combinant le fabriqué en France aux matières naturelles et recyclées, j'ai divisé par trois l'empreinte carbone. Sa réalisation en France, c'est 6 kilos de CO2, au Portugal c'est 12, en dehors de l'Europe, c'est 18. Et après recyclage, je suis à 2 kilos CO2, presque la neutralité carbone !
Donc je suis très fier de ce modèle décliné en six couleurs. C'est important aussi de pouvoir vendre à l'international : pour les étrangers, c'est un vrai produit de luxe à l'ancienne.
Vous lancez des espadrilles fabriquées à Mauléon au Pays Basque
Cela faisait aussi des années que je voulais faire de belles espadrilles. Elles sont entièrement fabriquées à l’atelier de Mauléon Licharre qui préserve et perpétue cet artisanat depuis quatre générations. Les artisans travaillent au milieu de machines centenaires ! Mon modèle est fabriqué dans la plus pure des traditions françaises depuis de vieilles formes et techniques nées au Pays Basque. C'est une semelle en jute tissée et en caoutchouc vulcanisé : un savoir-faire historique garantissant un soulier aussi robuste qu'agréable à porter. L'espadrille cousue-main, c'est une journée de travail pour l'artisan qui travaille le tressage, l'ourdissage, la couture semelle, la vulcanisation, le piquage puis la couture à la main.
Votre deuxième collection de sandales, elle, vient d'Arles
J'ai commencé à travailler avec eux, il y a trois ans environ. C'est un des derniers ateliers ancestraux qui possèdent ce savoir-faire venu du monde équestre. Cette technique réalisée à la main est transmise de génération en génération, issue d’un savoir-faire des selliers ou harnacheurs depuis plus d’un siècle. Ils ont la technique du point sellier qui est l'équivalent du Cousu Blake pour relier la semelle à la sandale. La semelle suit la forme du pied, elle n'est pas droite. Je propose cinq modèles déclinés dans des tons clairs et neutres - camel, noir, beige et or. Les cuirs pleine fleur proviennent du sud-ouest et de la région d’Espelette et sont traités au tannage végétal, que j'essaye de privilégier quand c'est possible. J'aimerais étendre ce procédé naturel à l'ensemble des collections.
Une partie des boots est y aussi produite : on développe de nouveaux prototypes mais il faut qu'ils soient à la hauteur de ce que je fais en Italie.
Produire en France a un coût ?
C'est deux fois plus cher : si je produisais mes baskets au Portugal, je les paierais deux fois moins. Ma marque est premium mais je vends deux à trois fois moins cher que les marques de luxe traditionnelles : sandales (180/200 euros), boots (jusqu'à 680 euros), sneakers (220 euros), espadrilles (120 euros) et mocassins (300).
Un salaire français d'ouvrier moyen est deux fois supérieur à celui du Portugal par exemple. Le coût du travail est plus cher mais mes clients savent que les gens qui les produisent ont été payés avec un salaire et ont une protection sociale française ou italienne. L'avantage de travailler avec des ateliers européens, c'est qu'ils sont surveillés contrairement à d'autres pays, comme les Philippines, le Bangladesh, la Chine... Tout est légal, c'est leur responsabilité en tant que producteur.
Vous revendiquez une démarche éco-responsable
Oui, ce n'est pas suffisamment responsable de produire au Brésil ou en Chine même avec des matières naturelles et recyclées, c'est beaucoup trop loin. En termes de bilan carbone, il faut rajouter la notion de localité et ma démarche est de rapatrier la production au maximum en France ou en Italie.
Mon rêve est d'avoir plus de production pour baisser les prix et que plus de gens aient accès à la qualité made in France. Si j'arrive à vendre à l'international des baskets aux Américains et aux Chinois, je pourrai baisser mon coût d'échelle et avoir un prix plus intéressant.
Vous prônez aussi la circularité ?
Nous travaillons pour que chacune de nos chaussures soit conçue pour pouvoir, en fin de vie, être réparée ou démontée afin de redevenir la matière première d’un nouveau produit. On récupère les anciens modèles, que l'on recycle, contre un bon cadeau de 50 euros.
Des projets ?
Je travaille pour obtenir le label origine France Garantie : pour cette certification, Il faut que 50% de la production soit en France.
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