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Mes goûts et mes couleurs : Franck Sorbier, le poète haute couture

Le créateur français Franck Sorbier est un homme à part dans le sérail de la mode. Couturier libre et inclassable, il aime les univers poétiques et, saison après saison, puise son inspiration dans des rêves oniriques. Rencontre avec un couturier à l'univers très éclectique.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le couturier Franck Sorbier, à Paris, novembre 2017
 (Corinne Jeammet)

5 questions à Franck Sorbier :

Quelle est la pièce préférée de votre collection printemps-été 2018 ?

Pour cette collection haute couture, j’aime tout particulièrement cette tenue parce qu’elle est le fruit d’un travail à quatre mains (ndlr : avec Isabelle Tartière). Le kimono est en jacquard de panne de velours et mousseline de soie peint à la main comme un paravent japonais, gansé d’un ruché en organza de soie noire. Il est porté sur une robe à pans en velours dévoré, appliquée de broderies cirées et de ruchés de tulle point d’esprit et gansée de petites franges en perles noires. C’est une tenue flottante qui libère le corps de toute contrainte, une ode au mouvement.
Franck Sorbier haute couture printemps-été 2018, à Paris, janvier 2018
 (Courtesy of Franck Sorbier)
Lors du défilé haute couture du 24 janvier 2018, Franck Sorbier a invité le Charleston et ses vedettes Joséphine Baker et Sidney Bechet. Sur le podium, la silhouette est libre et épurée, la taille descendue plus qu’à l’origine (années 20). Les organzas de soie peints à la main sont le fil conducteur et évoquent le verre de Murano, les sulfures, les opalines, la pâte de verre, les vitraux cubistes et la verrerie Art Déco.
Quel créateur vous a marqué au cours de votre carrière ?
Serge Lutens, grand couturier de la beauté, dont le travail regroupe un univers complet : création de maquillage, photo, décors et accessoires… Je me souviens d’une image que j’ai vue quand il était directeur artistique de Shiseido. Ces images perdurent dans le temps. J’ai trois livres de lui. C’est vraiment le grand couturier de la beauté. On n’emploie plus le titre de grand couturier, aujourd’hui, c’est un peu dépassé, on dit simplement couturier. Les gens ne font pas le distinguo entre designer, couturier et styliste. C’est quelqu’un qui a un parcours d’autodidacte. J’aime l’idée du self made man, il a commencé par être coiffeur, puis maquilleur. Il a commencé en faisant l’inverse de ce qui était à la mode à l’époque. 
Quel est le dernier livre lu ?
Je ne lis pas beaucoup mais cependant j’aime bien les autobiographies, les gens qui racontent leur propre histoire, ce qu’ils ont vécu, un angle de vie. Je suis fan, entre autres, d’Emile Zola et de Stendhal. Le livre qui m’a touché, c'est "La passion dans les yeux" d’Andrea Féréol. Elle y raconte sa vie d’actrice, sa vie personnelle, ses amours, ses amitiés. Il est intéressant de voir l’autre côté du miroir. Il y a quelque chose de passionnel et de passionnant, c’est un vrai personnage. Elle est à la vie comme à l’écran. Elle évoque sa relation avec Omar Sharif, parle de Robert Hossein qui l’a fait tourner dans "La grande bouffe" de Marco Ferreri. C’est aussi intéressant dans les bios de découvrir des personnes que l’on connait en commun. 
"La passion dans les yeux" d’Andrea Féréol
 (Edition l'Archipel)
Quelle est la dernière exposition vue ?
Il s’agit d’une exposition qui se tient dans un petit musée où je vais le plus souvent possible : la maison de Victor Hugo. Elle accueille de très belles expositions en rapport avec l’auteur. "Aux racines de l’art brut" concerne la folie (celle qui frappe son frère Eugène et sa fille Adèle). Elle rassemble des œuvres, des peintures, des dessins et des objets réalisés par des malades internés au cours du XIXe siècle. Les psychiatres ont souvent récupéré ces objets en cachette. C’est étonnant de voir ce travail : si l’on ne sait pas qu’il a été réalisé par des gens internés en psychiatrie, on ne peut pas l’imaginer. L’exposition rend hommage à ces malades en tant qu’artistes mais aussi aux psychiatres des hôpitaux anglais et allemands, qui ont voulu sauver une trace de leur production, de leur art. C’est émouvant et libre, cela fait penser à l’art brut (Maori). Ces malades sont dans leur monde, comme dans l’enfance avec une espèce de naïveté instinctive. Quand on regarde la peinture moderne, Bacon, par exemple, il y a aussi une sorte de folie dans son œuvre.
Quel est le dernier coup de cœur musical ?
J’aime le compositeur Parov Stelar. C’est un courant qui n’est pas d’aujourd’hui. J’aime le charleston, les intonations des années 20 et le swing manouche de Caravan Palace. J’aime ce côté qui donne envie de danser, ce n’est pas du boum-boum de la techno ! Je suis en transe quand j’écoute de la musique et alors je ne travaille pas pendant ce temps-là. C’est pour cela que j’écoute moins de musique ! J’ai aussi le disque "Lafayette" que Charlelie Couture m’a envoyé. Il a été enregistré en Louisiane et je pense que cela rejoint le swing de Parov Stelar. 

FRANCK SORBIER

Franck Sorbier invente et poétise les matières : la dentelle qu’il bouillonne ou cisèle, le tulle qu’il froisse ou cloque, le crin qu’il ébouriffe, la soie qu’il presse et compresse…. Celui qui fait ses débuts à Paris dans des bureaux de style devient en 1996 membre de la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-porter des Couturiers et des Créateurs de Mode. Membre invité de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne en 1999, il est labellisé grand couturier en 2005. 4 ans plus tard, il réalise un film intitulé "La haute couture n’est plus ce qu’elle était ! So What !". Il est aussi commissaire d’exposition pour ses dix années de haute couture au Musée des Tissus et des Arts Décoratifs de Lyon. 

En 2009 et 2010, il s’ouvre à l’univers du design et de la décoration avec ses "Gueules d’Atmosphère" composés d’éléments d’orfèvrerie de récupération. En 2011, il reçoit le prix du Sommet du Luxe et de la création "Talent de l’originalité". En 2012, il présente une collection en mapping 3D sur une robe de cuir blanc. En 2013, il rend hommage à Peggy Guggenheim, l'année suivante sa collection ‘Voyage" inspirée des Voyages de Gulliver où mannequins et géant d’osier se côtoient. Juillet 2014, sa collection "Poème" rend hommage aux courants artistiques de la fin du XIXe siècle, début XXe. En janvier 2015, Franck Sorbier dédie sa collection à Pirate, son inséparable disparu quelques mois auparavant. En août 2015, il signe un co-branding avec la marque de vêtements pour enfants Tartine & Chocolat puis l’année suivante lance une collection cortège pour petites filles.


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